-1- Rencontre

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« Chers spectateurs, voici le journal des informations de Taorys 4. Cela fait maintenant une semaine que notre planète est le théâtre d’une crise sans précédent. En effet, il y a sept jours, notre bien aimé souverain, le roi Thratan DANENTHAR, était retrouvé mort dans son étude. » Une image d’archive du souverain apparaît. C’est un humain ayant la quarantaine, il porte une tenue grise et or. Il est brun, cheveux mi-longs lissés sous sa couronne, il porte un tatouage sur la joue droite : un amalgame de formes hexagonales. Le présentateur reprend : « L’enquête semble pencher pour une mort naturelle, mais beaucoup de nos concitoyens s’interrogent. Notre noble dirigeant n’avait à ce jour aucun problème de santé connu. » Un autre présentateur prend la parole :

-La disparition soudaine du roi a inévitablement entraîné des questions quant à sa succession. La loi indiquait que c’était le prince Rothan, qui devait s’en emparer. » Une image d’un jeune homme brun aux traits presque enfantins apparaît à l’écran. L’autre présentateur enchaîne :

-Cependant comme vous le savez désormais, c’est son oncle Morach DANENTHAR qui s’est proclamé régent de Taorys 4 durant la veillée funèbre du roi, déclarant que son unique neveu était encore trop jeune pour prendre le pouvoir.

-Il est vrai que, âgé de seulement dix-sept ans, le prince ne rassemble pas tous les suffrages. Mais le peuple de Taorys 4 était prêt à l’accompagner dans ses fonctions avec la même bienveillance dont son père avait fait preuve durant son règne. De plus sa mère, la reine Angkel, est à ses côtés.

-Vous voulez dire, sa belle-mère : dame Angkel n’a épousé le roi Thratan qu’après la mort de la précédente reine.

-Il n’empêche que dame DANENTHAR a tenu le rôle de mère pour le jeune Rothan, elle est une figure aimée du peuple de Taorys 4.

-À ce jour cependant, le prince et la reine ont quitté le palais pour s’exiler, ils ont déclaré à l’ensemble de la population de Taorys 4 : « […] Mon oncle, le régent Morach, n’a aucune légitimité au trône. Il le sait, j’en ai discuté avec lui. Plutôt que de m’accompagner dans mon apprentissage du pouvoir, il préfère me le dérober. Son choix est incompréhensible, il refuse de revenir à la raison. C’est pourquoi j’ai décidé d’aller saisir le Bas Conseil du cadran de Nal’On. Des amis de mon père y siègent ils m’aideront à reprendre ce qui me revient de droit. [...] »

-Ensuite, le prince a encouragé la population à s’opposer au régime. Malheureusement cette déclaration a entraîné des mesures de sécurité drastiques de la part du régent. Cela fait maintenant quatre jours que nous sommes sous le coup de la loi martiale. L’ensemble des trajets hors planète est strictement réglementé par l’administration. Enfin, le régent a proclamé que la reine et le prince étaient dès maintenant considérés comme des criminels après avoir attenté à sa vie.

-Désormais le régime fait appel à la compagnie de mercenaires de Rangers Ax, ou Rax, pour maintenir l’ordre ainsi que le blocus de la planète. Aujourd’hui lors d’une manifestation certains de nos concitoyens semblaient ne pas apprécier cet état de fait, ils étaient prêts à le faire savoir au régent. La réponse brutale du régime a rapidement dissuadé les plaignants qui se sont dispersés. Nous sommes à cet instant dans l’attente d’un message, soit du prince, soit du régent, afin de sortir de cette impasse qui nuit grandement à l’ensemble des habitants de Taorys 4. Notre planète est très dépendante des échanges interstellaires, le blocus imposé par le régent provoque une crise économique et alimentaire sans précédent.

-La panique engendrée par ces brusques changements a eu pour effet de vider les maigres réserves que nous avions.

-Nous ne pouvons qu’espérer un dénouement rapide de cette situation, car déjà certaines parties de la capitale sont le théâtre de pillages ou de batailles rangées entre les Rax et les manifestants. Les ressources essentielles telles que l’eau, l’électricité ainsi que la nourriture viennent à manquer dans les bas-quartiers de la ville. Les employés en charge des services ont abandonné leurs postes lors des premiers jours de pénurie de nourriture.

-Chers concitoyens nous vous appelons à ne pas faire usage de la violence, mais à prendre contact avec l’administration pour faire remonter vos difficultés. » Les présentateurs donnent leur nom durant un générique musical puis l’émission se termine.

***

Pirau avait suivi le journal sur l’holo-écran de la salle du bar dans lequel il buvait. Il connaissait la situation de Taorys 4, il la vivait maintenant depuis quelques jours. Il eut un ricanement en pensant à la malchance dont il avait été victime. Au départ il venait sur la planète pour récupérer une cargaison puis repartir aussi vite qu’il était arrivé. Mais l’un des réacteurs de la Panse, son vaisseau cargo, avait eu un raté au décollage, il avait bien failli exploser. Son équipage avait entamé des réparations d’urgence, mais lorsqu’ils étaient parvenus à démarrer à nouveau, il était trop tard. Le blocus planétaire était en place, ils n’avaient aucune chance de le passer, encore moins de le forcer. En dehors du fait qu’ils n’allaient pas honorer leur livraison, que le client allait sûrement le leur faire payer, que leurs finances touchaient le fond, désormais ils risquaient d’être repérés puis abattus par les Rax. Car en vérité, rien de ce que faisait Pirau n’était homologué ou officiel. Il était venu sur Taorys 4 en masquant sa présence, il comptait bien repartir sans se faire prendre. Un contrebandier, comme tant d’autres. Il régla sa note avant de sortir dans une rue de la capitale. Il réajusta le pardessus qu’il revêtait pour dissimuler l’imposant paquetage qu’il avait attaché à son dos. Le bardât était lourd, il utilisait donc des jambières exosquelettes pour ne pas s’écrouler sous le poids de son chargement. Le spectacle d’Union, la capitale planétaire, ne cessait de le choquer : Les ordures qui s’entassaient, les rongeurs qui les fouillaient, les gens qui quémandaient de la nourriture dans les rues. Lui-même peinait à trouver de quoi sustenter son équipage. Il commença à marcher, son pas, contraint par son attirail, se faisait plus lourd. Il longea les colonnes décorant les façades des bâtiments, délimitant les vitrines de ce quartier commerçant dépeuplé. Les immeubles s’élevaient en abandonnant le béton pour devenir des pieux d’acier et de verre tentant de poignarder les cieux. Au loin, l’horizon était bouché par une méga-structure résidentielle, un bâtiment gigantesque aux allures de falaise urbaine. Une architecture très humaine, proche de son royaume natal. La vitesse à laquelle la situation de la ville avait décliné le surprenait encore. Certaines enseignes avaient été éventrées, pillées, des objets divers jonchaient le trottoir, l’obligeant tantôt à traverser, tantôt à les enjamber. Il retourna en direction de la périphérie de la ville, pour rejoindre son vaisseau dissimulé dans un sous-bois, quand il entendit une voix synthétique lui murmurer : Appel entrant. C’était son oreillophone, un appareil de communication longue distance implanté sous la peau de son oreille. Il lui suffisait de faire pression dessus pour enclencher l’échange avec son correspondant. Sur cette planète, seules deux personnes connaissaient ses coordonnées pour tenter de le joindre : sa seconde, Cheryle TORYNEN, ou son intendant Card ACKBURY. Il appuya sur son oreille droite, annonça : « J’écoute.

-Patron, c’est moi. » Il reconnut la voix de sa copilote et amie de longue date : « J’ai capté une fréquence pirate sur le transmetteur du vaisseau. » Toujours enjouée, cette femme ne semblait jamais malheureuse : « Ça dit que le prince ainsi que le chef de la résistance vont se rencontrer dans une heure à des coordonnées bien précises, quiconque souhaite les rejoindre est le bienvenu. » Pirau se gratta le menton pensif avant de répondre :

-Ça pue le piège. Les Raxs sont bien capables de réunir ainsi les opposants au régime pour les éliminer d’un coup.

-Je suis d’accord, mais penses-y patron : si c’est bien vrai puis qu’on passe à côté ? Combien de temps on va encore tenir sur ce caillou avant de devoir manger nos propres chaussures ? » Pirau grommela :

-T’as raison Cheryle… Je vais aller y jeter un œil. » La réponse fut moqueuse :

-J’ai toujours raison patron, c’est pour ça que tu ne peux pas te passer de moi. Je t’envoie les coordonnées, ça semble correspondre à une entrée souterraine. Fin de la communication. »

Le lien se coupa puis Pirau reçut une notification sur son pavé numérique. Un petit appareil solide capable de stocker, classer, d’envoyer des données à un autre terminal. Ces engins pouvaient avoir différentes tailles, le sien tenait dans la main. Il avait reçu les coordonnées du rendez-vous, il se mit en route. Après quelques kilomètres, il entra dans un quartier résidentiel visiblement moins aisé que le quartier commercial qu’il venait de quitter. Les immeubles n’avaient plus de fioritures, ils se collaient les uns aux autres quand ils ne se chevauchaient pas carrément. L’ancien flirtait avec le nouveau, les accès s’emmêlaient sans cohérence, des rampes piétonnes montaient parfois dans des résidences pour ensuite redescendre au niveau de la rue. Les voies pour véhicules semblaient peu praticables par endroit, il dut faire demi-tour à deux reprises pour retrouver son chemin. Au vu du nombre d’appartements, l’endroit aurait dû grouiller d’activité. Mais tout était trop calme, il n’y avait âme qui vive dans les rues, c’en était inquiétant. Quand enfin il déboucha sur le lieu indiqué par son pavé numérique, il s’agissait d’un genre de « vallée » au milieu de cette jungle urbaine. Une place sans aucune fontaine ou végétation, mais des panneaux holographiques publicitaires chamarrés qui continuaient de fonctionner. Une entrée de station de métro souterrain se trouvait au centre de l’endroit. Pirau se méfiait il fit mine de poursuivre sa route, parvint jusqu’à une flaque d’ombre d’où il observa les alentours. Il vit des silhouettes postées sur les toits ainsi que deux gardes au sommet des marches du tunnel. Ils ne portaient pas les insignes des Raxs. Il demeura caché dans un coin, patienta, à l’affût. Peu après, quelqu’un arriva puis discuta avec les deux hommes devant l’entrée du métro. Aucun incident ne se produisit tandis que l’inconnu pénétrait dans le souterrain. Il n’entendit aucun cri, aucun coup de feu. Si c’était un piège, c’était extrêmement bien préparé. Pirau patienta encore un long moment, voyant des gens approcher puis entrer sans difficulté dans le passage. Finalement haussant les épaules, il alla vers les deux armoires à glace pour leur demander : « Je viens pour la réunion, c’est bien ici ?

-Ouais. » Lui répondit le premier : « C’est une arme que tu trimballes sous ta cape ? » La brute faisait référence à l’imposant paquetage que Pirau transportait sous son pardessus.

-Oui pourquoi ? Vous voulez que je l’enlève ?

-Non, pas la peine, on a besoin de gars armés pour renverser le régent, fais juste attention de pas t’en servir. L’humeur est bien assez tendue comme ça. » Il s’écarta puis désigna l’escalier à Pirau. Ce dernier descendit avec une certaine crainte, il entendit l’un des gardes annoncer : « Un humain armé en approche. Laissez-le passer. » Pirau arriva au point de contrôle suivant, où d’autres gardes le laissèrent passer, sûrement ceux que le premier avait contactés. Après quelques pas dans les galeries il déboucha dans une station de métro abandonnée. Là il découvrit une assemblée composée de toutes les espèces intelligentes peuplant la galaxie. Taorys 4 recevait l’influence des deux royaumes dont elle était frontalière. Tandis qu’au cœur de ces derniers, la mixité raciale était moins présente. La planète accueillait de nombreuses communautés venant de l’ensemble de l’espace novemmien. Pirau reconnut le jeune homme au centre de cet attroupement : c’était le prince Rothan dont il venait de voir l’image dans le journal d’information sur l’holo-écran. Le souverain en exil était debout face à un orkhal qui le dominait de son mètre quatre-vingt-dix. Les orkhals, aussi appelés orcs, n’étaient pas très appréciés des autres peuples, ils étaient brutaux, sanguinaires. Ils se caractérisaient par leur peau pâle, des oreilles pointues, des nez à l’arête très courte, des mâchoires prononcées enfin, s’ils respectaient la tradition orkhale ; des dents acérées. Ce spécimen ne faisait pas exception à la règle. Pirau observa la scène, la station de métro était plongée dans le noir offrant un spectacle sinistre. Seul le centre était éclairé par quelques lanternes de survie autonome, disposées en cercle atour des protagonistes du rendez-vous. Pirau comprit qu’ils se disputaient sur la stratégie à employer pour combattre le régime du régent. L’orkhal tonna de sa voix rauque : « Votre majesté, avec tout le respect que je vous dois, nous ne pouvons pas nous permettre d’attendre ou de faire dans la finesse ! Les gens meurent de faim dans les rues, ou sont abattus par les Raxs comme des animaux ! » Le prince soupira en secouant la tête :

-Vous exagérez le tableau messire. Les Raxs organisent des distributions de nourriture de plus ils n’abattent pas à vue. Ils combattent les insurgés ; nous en l’occurrence.

-Nous devons frapper fort afin d’écraser Morach avant qu’il n’ait le temps de stabiliser ses forces ! » Le prince conservait son calme, il répliqua avec pondération :

-Je ne suis pas d’accord, la violence appelle la violence. Au Bas-Conseil du cadran de Nal’On mon père était apprécié, reconnu même, je compte m’y rendre pour renouer ses soutiens puis demander de l’aide. Une fois assuré de ces appuis, je reviendrai délivrer Taorys 4 du joug de mon oncle. » L’orc s’insurgea :

-Dans combien de temps ?! » Le prince baissa le regard :

-Je l’ignore… » Il se redressa : « Cependant j’ai un plan, il sera difficile à mettre en œuvre, il va demander de la préparation ainsi que du temps.

-Votre Majesté, nous n’avons pas ce luxe : prenons d’assaut le spatioport, volons un maximum de vaisseaux. Si nous partons tous en même temps certains d’entre nous arriveront bien à passer le blocus. » Le jeune homme sembla horrifié, il ouvrit de grands yeux ronds d’effroi :

-Vous n’êtes pas sérieux ?! Combien de morts ?! Pour en plus n’être même pas sûr d’y parvenir ! C’est trop risqué. Nous devons réussir à infiltrer le régime afin de… » L’orc se mit à rugir :

-Vous êtes un pleutre ! Pendant que vous hésitez, des gens meurent, c’est ça la guerre ! » Il se tourna brusquement pour crier au public : « J’en ai assez ! Puisque le prince ne fera rien, je vous propose de me rejoindre ! Si vous souhaitez agir contre le régime, je vais préparer l’attaque contre le spatioport ! » Il quitta le cercle de lumière dans un tonnerre d’applaudissements puis la presque totalité des personnes présentes partirent avec lui, sans même regarder le prince. Pirau fut presque tenté de suivre l’orkhal, mais au fond, il savait que c’était de la folie. Les Raxs étaient des soldats de métier, entraînés, plus que capables de venir à bout d’un petit groupe hétéroclite comme cette résistance. Tenter un passage en force sans stratégie était un suicide pur et simple, mais ces gens étaient désespérés. Ils n’avaient plus que leur colère ou leur violence pour répondre aux injustices du régime.

Une fois la vague des adeptes de la violence retirée, le bilan des partisans du prince fût maigre. Seule une poignée de résistants étaient restés pour entendre ce que le jeune souverain avait à proposer. Ce dernier soupira puis annonça tenir une réunion dans un autre endroit, invitant ceux qui souhaitaient l’aider à le suivre. D’abord réticent, Pirau attrapa une lanterne au sol en passant près du cercle puis emboîta le pas au prince. Leur groupe descendit sur les voies de métro désormais inutilisées puis marcha un moment. Le corps de Pirau dodelinait légèrement à cause de son paquetage. Devant lui, le service de sécurité du prince ouvrit une porte de maintenance puis y entra pour sécuriser le passage, armes aux poings. La tension était palpable dans le groupe, les résistants vivaient dans la paranoïa caractéristique des fugitifs. Ils inspectaient chaque recoin, faisaient des haltes régulières pour envoyer un éclaireur. Ils descendirent dans les entrailles du réseau souterrain, par un escalier métallique en colimaçon. Ils traversèrent des tunnels avec des gaines apparentes de câbles ou de tuyaux, Pirau se félicita d’avoir emporté une lanterne, il aurait été incapable de se déplacer dans cette obscurité totale. Il jeta un coup d’œil derrière lui pour voir que les autres volontaires l’avaient imité, ils s’éclairaient tous pour progresser à sa suite. Après quelques minutes il frissonna, la température chutait, il fut submergé par des odeurs d’humidité, de renfermé ainsi que de moisissure. Les hommes du prince s’étaient arrêtés devant une plaque de fer au sol, ils l’ouvrirent pour révéler le réseau d’évacuation des eaux usées. Un premier fantassin s’y engouffra pour effectuer une reconnaissance. Quel cliché. Pensa Pirau : Les combattants de la liberté, s’organisant au milieu des égouts. Une fois les soldats passés, il tenta de s’y glisser mais resta coincé à cause de son équipement. Il détacha son matériel, le posa à côté du trou puis descendit quelques barreaux avant d’enfin tirer son paquetage à lui. Il parvint à s’équilibrer sur l’échelle puis maugréa en son for intérieur : Pas un pour m’aider… Une fois en bas, il sangla à nouveau son équipement pour se remettre en route.

Ils marchèrent encore un long moment en suivant autant que possible les plateformes de maintenance suspendues à quelques mètres au-dessus des eaux nauséabondes. Ils arrivèrent enfin dans un immense espace aménagé, un puits d’évacuation dans lequel s’engouffraient des dizaines de tunnels similaires à celui par lequel ils étaient passés. Proche du sommet, dans l’une des parois se trouvait un petit centre de contrôle auquel ils accédèrent par une porte en acier étanche. Là, Pirau découvrit un local plus vaste qu’il ne l’avait imaginé, peuplé d’une véritable petite colonie grouillante de vie. L’ensemble du personnel arborait le symbole de la royauté de Taorys 4 : une arche grise couronnée d’or. Une installation de fortune avait permis la mise en place de générateurs à primarium, les résistants ne manquaient donc pas d’électricité. Le prince demanda à ce que les volontaires le suivent, mais Pirau s’interrogea sur la nécessité de sa présence. L’apprenti souverain en exil possédait déjà une cellule d’insurgés complète, qui plus est, organisée. Chacun semblait avoir un rôle bien défini, personne ne paraissait oisif. Ils arrivèrent dans une salle de réunion équipée d’une table holographique fonctionnelle sur laquelle des dizaines de documents étaient affichés. Là encore, comme pour la station de métro, le meuble électronique était la seule source de lumière présente, donnant un côté un peu sinistre à la pièce. Deux personnes triaient les informations, elles saluèrent le prince avant de lui laisser la place en s’éclipsant. Il se plaça debout, face à la table, les autres volontaires vinrent se mettre autour mais restèrent dans l’ombre. Il commença : « Mesdames et Messieurs, comme vous le savez je suis le prince Rothan DANENTHAR. » L’adolescent brun aux yeux verts était très beau pour son âge. Les cheveux coupés court il ne portait aucune fioriture sur lui en dehors de sa tenue gris claire qui semblait faite sur mesure. Il n’arborait aucun tatouage facial, signe qu’il n’était pas encore sorti de l’enfance. « Je vous remercie de vous joindre à nous aujourd’hui pour écouter mon projet visant à destituer mon oncle Morach. À vos yeux la différence entre le régent et moi est peut-être inexistante, mais je tiens à vous assurer que j’ai tenté de parlementer avec mon oncle. Ce dernier m’a repoussé puis a affirmé vouloir se débarrasser de moi dès que la couverture médiatique suscitée par la mort de mon père se serait calmée. Il s’est empressé de me séquestrer dans mes quartiers, m’interdisant même la visite de mes proches. Il a de plus décrété avoir des projets pour Taorys 4, qu’il ne reculerait devant rien pour les réaliser. Sans l’intervention de ma mère adoptive ainsi que de ma responsable de la sécurité, je ne serais jamais parvenu à m’enfuir. » La reine derrière lui se présenta à son tour :

-Angkel DANENTHAR, merci de nous avoir rejoints pour écouter ce que le prince souhaite vous proposer. » C’était une femme approchant de la quarantaine, d’une beauté naturelle. Elle ne portait pas d’apparat mais rayonnait pourtant de charisme. Ses cheveux blonds attachés en chignon serré, ses yeux bleu clair combinés à son maintien droit, étaient suffisants pour deviner sa noblesse. Son visage était tatoué sur la pommette droite, d’un entrelacs de plumes et de feuilles comme portées par une délicate brise. La dernière personne accompagnant le prince était une orkhale. Plus petites que leurs homologues masculins, les femmes orkhales étaient cependant grandes pour des standards humains, celle-ci dépassait le mètre quatre-vingt. Sa carrure, sa posture ne laissaient aucun doute quant à sa force ainsi que sa maîtrise du combat. Sa peau pâle s’accommodait parfaitement à son uniforme gris de garde royal. Son nez retroussé n’enlaidissait pas ses traits sauvages qui étaient encore accentués par sa coiffure jais composée de cinq tresses serrées sur sa tête. Elle avait la main sur la garde d’une épée accrochée à sa ceinture, elle annonça d’un ton contrit : « Erothe MORTCRI, chef de la sécurité du prince. » Ce dernier enchaîna :

-Avant de débuter, je me permets de vous demander de bien vouloir vous présenter. » Un malaise plana sur le groupe. Pendant quelques secondes personne ne bougea. Pirau poussa un soupir, s’avança d’un pas dans la lumière de la table. Il laissa le temps à l’assemblée de le détailler. Un homme entre deux âges, ni jeune ni vieux. Mal rasé, les cheveux bruns en bataille, les yeux vert/marron, son tatouage de chaîne sur la mâchoire gauche. Rien de bien spécial, en somme, si ce n’était sa belle gueule qui lui permettait de charmer la plupart du temps. Certaines des personnes présentes remarquèrent l’exosquelette qu’il portait aux jambes ainsi que l’imposant barda accroché dans son dos. Il se décida à donner son vrai nom : « Votre altesse, je suis Pirau THRIDA, négociant en import/export. J’ai eu la malchance de me trouver sur Taorys 4 durant la crise. Je souhaite simplement quitter votre monde pour reprendre mes activités. J’ai tenté d’expliquer mon cas au régime mis en place par votre oncle, mais je n’ai bien évidemment pas eu gain de cause. » Le prince acquiesça :

-Vous me voyez désolé de votre situation messire THRIDA, comprenez que s’il existait un moyen pour moi de résoudre cette affaire pacifiquement, je le ferais. Mais mon oncle a perdu l’esprit, il m’est impossible de le raisonner. De plus je crains que même ma chute n’arrange pas la situation de Taorys 4. » Le jeune homme jeta un œil aux autres personnes présentes. L’une d’elles s’avança, un homme-oiseau, un aviaros, vêtu d’une armure de combat légère dissimulée sous un grand pardessus à capuche ainsi qu’un enchevêtrement de vêtements amples. Pirau remarqua un fusil sanglé dans le dos de cet individu. Son visage était très semblable à celui d’un épervier recouvert de duvet noir sur le crâne, brun orangés sur les joues et blanc au niveau de la gorge, muni d’un petit bec en guise de nez et de bouche. Cependant ses grands yeux avaient été teints en bleu. La modification de la pigmentation du regard était un rite de sa race. Ses mains ainsi que ses pieds ressemblaient à des serres d’oiseau. Il annonça d’une voix légèrement nasillarde : « Devah GARUDA. Je ne suis pas non plus originaire de votre monde, je souhaite le quitter au plus tôt.

-Très bien messire. » Une autre silhouette s’avança. Un homme complètement excentrique habillé d’une chemise bariolée sous un long manteau rouge criard, il portait un chapeau à grands bords de la même couleur, rehaussé d’une longue plume blanche. Cachant son regard derrière des lunettes aux verres teintés, son visage était cependant assez séduisant, mais exempt de tatouage, contrairement à ce que la coutume des humains exigeait. On pouvait apercevoir une chevelure courte blonde sous son couvre-chef : « Je suis Borae VORTAN, peut-être que certains d’entre vous me connaissent déjà ? Dans ce cas je serai ravi de vous signer un autographe, plus tard ! » S’exclama-t-il d’une voix théâtrale qui laissa tout le monde dans l’indifférence totale. Quel bouffon… pensa Pirau. Mais il faillit s’étrangler quand la personne derrière Borae s’avança. C’était un aquarunn, un homme-poisson. Ses vêtements étaient noirs, sobres, taillés droit, son maintien était impeccable. Comme la plupart des représentants de sa race, sa peau écailleuse était gris-bleu, ses yeux protubérants noirs sans pupille. Les branchies qu’il avait au cou se fermaient lorsqu’il n’évoluait pas en milieu aquatique. En lieu et place, ses orifices naseaux situés au milieu de son visage plat, s’ouvraient pour lui permettre de respirer à l’air libre. Son crâne se voyait agrémenté d’excroissances en chitine à la forme de petits ailerons tandis que ses cheveux mi-longs s’apparentaient à des membranes de nageoires. Ses mains étaient à moitié palmées, tout comme ses pieds probablement. Cependant il ne portait pas de bijou sur son visage comme le voulaient les usages de son peuple. Au lieu de cela il avait un tatouage sur le front. Un œil grand ouvert : la marque des cérèbres… C’était un méta-enti, un télépathe. Il annonça d’une voix plate, calme, à l’attention du prince : « Votre grâce, le docteur VORTAN a oublié de préciser que nous sommes des agents de la Tour. Je suis son superviseur. » Le clown est un putain de mage ?! Pensa Pirau qui ne put s’empêcher de dévisager Borae. Cette attention semblait plaire au baladin, qui arbora un sourire fier, haussa le menton tout en posant ses mains sur ses hanches avec un air triomphal. Le prince s’exclama : « Si nous avons un mage et un cérèbre pour nous aider, notre tâche sera grandement facilitée. » L’aquarunn secoua négativement la tête, faisant voleter ses cheveux-nageoires :

-Depuis le début du blocus, les Raxs se sont chargés de couper l’ensemble de la planète du réseau extranet. Nous ne pouvons plus communiquer avec la Tour. De fait il ne nous est plus possible de faire une demande pour user de nos capacités. Sans ces formalités nous serions considérés comme des criminels si nous venions à utiliser nos pouvoirs. Nous avons bien tenté de négocier avec le régent, mais son administration ne semble pas prêter attention à notre requête. Sans accès au réseau, nous serons bientôt considérés comme des traîtres puis traqués par l’Inquisition.

-Je n’avais pas pensé à cela. Je vous prie de m’excuser messires. Votre situation est alarmante.

-Je suis Yerid AUGRHOD, bien que nous ne puissions pas faire usage de nos capacités, nous souhaitons vous aider à faire évoluer la situation pour nous permettre d’effectuer notre rapport à la Tour le plus rapidement possible. Nous ne pourrons cependant pas commettre d’actes répréhensibles pour la charte novemmienne. Il serait terrible que nous soyons exécutés alors que nous sommes victimes dans cette affaire. » Pirau savait, comme l’ensemble des habitants de la galaxie, que les méta-entis étaient sévèrement régulés par la Tour. Après tout, leurs pouvoirs étaient bien trop grands pour qu’on les laisse faire ce qu’ils voulaient. Mais de là à pouvoir prononcer une condamnation à mort, parce qu’ils étaient dans l’incapacité de faire leurs rapports… Ces mesures lui semblaient quelque peu… extrêmes. Le prince annonça : « Nous allons tout faire pour vous permettre de contacter la Tour au plus vite. » Le cérèbre s’inclina avec reconnaissance tandis que le mage faisait une révérence extravagante. Rothan se tourna vers une autre silhouette. Une elfenth s’avança. La haute et gracile elfe dominait presque toutes les personnes présentes autour de la table. Elle portait un masque, pour honorer la tradition de son peuple. L’objet représentait un visage féminin d’un blanc très pur, sans traits particuliers, mais aux arêtes tranchantes. La couleur partait en dégradé vers le pourpre sombre à mesure qu’il couvrait le reste de la tête de sa propriétaire. Il prenait la forme d’appendices tentaculaires sinistres ne laissant percevoir que ses oreilles en pointes ainsi que la chute de sa chevelure jais. Elle portait une tenue de combat noire, complète mais légère, si moulante qu’elle mettait ses formes en valeur. Elle se présenta à son tour : « Dame Issra CHEETISS, moi aussi j’ai été contrainte de rester sur cette planète que je souhaite quitter.

-Merci de votre présence ma Dame. » Une dernière silhouette s’avança, révélant un être massif, plus grand que l’elfenth. Il portait une armure lourde complète, couleur acier sombre, qui gardait les marques de nombreux combats. Chaque pièce semblait avoir été conçue autant pour blesser que protéger. Les surfaces étaient couvertes de petites pointes ou de lames aux tranchants acérés. En dessous de ces plaques venaient ensuite une combinaison renforcée avec des fourrures grises. Son équipement blindé ne faisait qu’accroître sa carrure déjà démesurée. Sa silhouette ne s’affinait qu’au niveau des articulations pour lui permettre de se mouvoir sans encombre. Accrochés au cou et aux poignets il portait les trophées macabres d’os ou de crocs, des bêtes ou des ennemis qu’il avait vaincus. Le heaume sinistre qu’il revêtait avait les traits d’un prédateur sauvage. L’individu le retira, Pirau ne fut pas étonné de découvrir un orkhal à la peau pâle. Son visage était couvert de cicatrices, son crâne rasé, Pirau cru apercevoir une vilaine balafre au côté droit de son cou. Il portait une hache à double tranchant dans le dos, une arme redoutable à n’en pas douter. Dès que l’orc ouvrit la bouche, Pirau put voir ses dents tranchantes, la voix caverneuse annonça : « Moggarr, j’ai à faire ailleurs, je veux quitter cette planète. » Il posa son heaume sur la table, croisa ses bras sur son torse, signe qu’il ne donnerait pas plus d’informations. Le prince Rothan le remercia puis fit à nouveau le tour des visages désormais découverts. Une belle bande de dégénérés… soupira intérieurement Pirau. Le souverain en exil déclara : « Nous allons maintenant parler de mon plan pour libérer Taorys 4 du joug de mon oncle. J’ai bien noté qu’aucun de vous ne souhaite se trouver ici, que vous participerez à notre combat à contrecœur. Vous pensez peut-être que me vendre à mon oncle vous vaudra son aide ainsi que son soutien, cependant souvenez-vous qu’il souhaite ma perte. De plus il n’a jamais mentionné être prêt à lever le blocus qui pèse sur notre planète. Mais nous… » La porte s’ouvrit sans que personne n’ait frappé, un des techniciens entra, interrompant le prince pour lui murmurer quelque chose à l’oreille. Avec son accord il manipula la table holographique faisant ainsi apparaître une image du régent Morach en train d’effectuer une déclaration : « C’est en direct de la salle du trône. » Expliqua Rothan. Apparut alors, flottant au centre de la table, la projection d’un homme brun à la chevelure légèrement dégarnie, coiffée en arrière. Il portait un tatouage frontal composé d’arabesques géométriques hexagonales, similaires à celles que Pirau avait aperçues sur la photo du défunt roi Thratan DANENTHAR, diffusée dans le journal holographique. L’oncle du prince prit la parole d’une voix claire : « Mes chers concitoyens, ici Morach DANENTHAR, régent de Taorys 4. Je me présente devant vous en ce jour pour vous rappeler que mon neveu, l’ancien prince héritier, est toujours activement recherché pour sa trahison. Toute information le concernant sera récompensée, vous pouvez joindre l’administration auprès de nos nombreux bureaux dans la capitale de Taorys 4 : Union. » Pirau jeta un coup d’œil à Rothan qui sembla mal à l’aise. Dans la salle les regards convergèrent sur lui. Chacun évaluait ses chances d’obtenir une grâce de la part du régent en vendant le prince. L’hologramme continua : « Avec l’aide de mes conseillers, j’ai pris la décision de déclarer l’indépendance de Taorys 4 vis à vis de la charte novemmienne. » Des exclamations résonnèrent dans la salle de réunion. Le prince était sous le choc, Pirau ne put que compatir. Taorys 4 faisait partie du royaume Humain, lui-même membre de la Primauté Novemmienne. De fait, la planète y avait adhéré, elle en suivait la charte depuis la création de la première colonie taorienne. Il était possible de la rejeter, mais les gouvernements s’y résolvant étaient couramment réprimés. Le plus souvent une armée de la Coalition était mandatée pour effectuer un blocus dans le but d’affamer la planète dissidente, afin qu’elle revienne dans le giron de la Primauté Novemmienne. Par la suite le gouvernement en place était dissolu, un nouveau prenait sa place, favorable à la Primauté Novemmienne, permettant à la planète de revenir en grâce dans l’Espace Novemmien. D’autres fois un prétexte fallacieux était trouvé pour déclarer la planète comme dangereuse afin d’y organiser une expédition punitive. On entendait parler d’une association avec le CGI, ou Conglomérat des Gouvernements Indépendants, Organisation opposante à la primauté qui était considérée comme le mal incarné par les dirigeants des neuf royaumes. Lorsque de telles accusations étaient proférées, une répression sauvage était alors menée par une compagnie de la Coalition.

Taorys 4 se situait dans le royaume des Humains, à la limite de celui des Dvaergs, autrement appelés les nains. Elle était bien insignifiante par rapport à d’autres beaucoup plus proches des régions centrales, mieux loties en matière de commerce et de prospérité. Sa localisation en faisait un avant-poste militaire parfait pour organiser des attaques dans les deux royaumes. Aucune chance que le Haut Conseil laisse Taorys 4 tranquille, le châtiment serait brutal et sans pitié. Tandis que le régent ne pourrait pas faire appel à une armée privée comme les Raxs, puisque ces derniers n’avaient le droit d’être déployés que dans l’espace novemmien. Le reste du discours du régent ne fut qu’une mascarade destinée à rassurer la population quant à son choix. Yerid, l’homme-poisson cérèbre cligna des paupières sur ses grands yeux noirs exorbités. Il se permit de demander d’une voix calme : « Les Rax ne vont-ils pas abandonner le régent s’il déclare son indépendance ? Les compagnies de mercenaires de la Coalition n’ont pas le droit de travailler pour des gouvernements indépendants.

-Vous avez raison. » Répondit Devah, l’homme-oiseau aux traits d’épervier : « Les Rax ne pourront pas continuer à travailler pour le régent s’ils veulent garder leur accréditation auprès de la Coalition… La question est de savoir si ils accepteront de devenir eux aussi des criminels…

-Pourquoi… ? » Le prince avait murmuré cette question, mais tous se turent pour l’écouter : « Ça n’a aucun sens. Si sa décision venait à se savoir, il serait déclaré comme dissident, puis sanctionné par le Bas-Conseil de Nal’On… Il va transformer Taorys 4 en théâtre de guerre… Pourquoi ?! » Il semblait complètement paniqué, la reine posa sa main sur l’épaule de son fils adoptif :

-Rothan, je comprends ton désarroi mais cette annonce renforce notre décision. Nous devons agir pour te permettre de monter sur le trône. Là tu pourras sauver Taorys 4 et ses habitants. » Le prince se redressa, la remercia silencieusement, avant de s’adresser à tous :

-Vous avez raison mère. Plus que jamais, nous devons prendre les devants afin de régler cette crise. » Il prit le temps de regarder dans les yeux chaque personne présente autour de la table : « Si vous souhaitez désormais vous associer à mon oncle pour me trahir, vous serez de fait des criminels politiques. La Primauté Novemmienne vous traquera. De plus vous ne pourrez toujours pas quitter la planète. Je doute que Morach soit assez stupide pour laisser quelqu’un aller le dénoncer au Bas-Conseil de Nal’On, vous serez donc encore prisonniers ici avec mon sang sur les mains. » Il inspira profondément s’appuyant sur la table holographique : « Vous êtes d’infortunés inconnus réunis ici pour aider une planète qui n’est pas la vôtre. La situation vient encore de changer pour prendre une tournure des plus sinistres. Je comprendrais que vous souhaitiez vous retirer. » Personne ne bougea, le prince continua : « Si vous êtes toujours volontaires, laissez-moi vous expliquer comment je compte renverser la situation. »

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