-2- Plan

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Chers téléspectateurs, bienvenue dans ce documentaire sur l’histoire de Taorys 4, depuis sa fondation à nos jours. En vérité c’est une jeune planète découverte il y a tout juste 147 ans. Il a fallu ensuite 25 ans aux mages pour la rendre habitable en la terraformant. Les premiers colons étaient administrés par le seigneur Therden DANENTHAR, ils formaient un mélange hétéroclite de représentants des neuf races de la galaxie.

Du fait de son éloignement par rapport aux centres névralgiques des royaumes des Humains et des Dvaergs, Taorys 4 a rapidement été délaissée par les investisseurs qui l’avaient fondée.

C’est à cette période, en 3821, soit il y a 102 ans, que le seigneur DANENTHAR a pris véritablement le pouvoir puis installé une monarchie. Il lui a fallu du temps pour fédérer les différentes communautés. Mais sa bienveillance ainsi que son désir de faire prospérer la jeune colonie lui valurent le soutien de la majorité. Ceux qui n’étaient pas satisfaits quittèrent la planète, mais pour les autres, un dur labeur commença. Les humains, fondèrent la capitale « Union » avec le style si caractéristique d’immeubles modernes en béton, acier et verre. Ensuite, les sylveskels, ou hommes-plantes, aménagèrent une zone agricole, parsemée d’habitations végétales. Rapidement rejoints par les dvaergs, ou nains, qui construisirent un district industriel métallurgique en périphérie de la métropole. On retrouve, proche de ce territoire, un peu de leur architecture avec des demeures en acier aux toits à deux pans. Très tôt les orkhals, ou orcs, creusèrent le réseau de transport et d’égouts souterrains, leurs prédispositions à la vie caverneuse les aida dans cette tâche. Désormais ils gèrent les élevages et abattoirs nourrissant la ville. Les félinaes, ou hommes-chats, édifièrent ensuite le campus universitaire tel que nous le connaissons aujourd’hui, avec son style si caractéristique, formé de bâtiments à plusieurs étages faits de poutres et de piliers, recouverts de toits à pignons inclinés élaborés à l’aide de tuiles en céramique. Puis les elfenths, ou elfes, conçurent puis administrèrent l’hôpital central. Son style pyramidal cristallin fait aujourd’hui encore parler de lui. Il fut rapidement suivi par le quartier du port, créé par les aquarunns, ou hommes-poissons. Certains édifices portent encore les formes de coquillages et plantes maritimes, chers à ses habitants. Le spatioport fut achevé par la communauté aviaros, les hommes-oiseaux, en 3835. Peu après les saurusks, ou hommes-lézards, fondèrent le quartier des finances. Son architecture en terre cuite décorée perdure.

Au fur et à mesure des années, les clivages entre les peuples se sont effacés. Les quartiers historiques restent visibles, mais Union possède désormais une architecture plus homogène, proche de celle des humains.

Notre monde a prospéré dans la paix, grâce aux échanges commerciaux avec l’espace novemmien et ce, malgré notre éloignement. Notre première station spatiale TRAM (Transport sur Rails à Accélération Magnétique) a été installée par la Transgalactica il y a tout juste quarante-sept ans. Réduisant le voyage vers le portail VAG (Voyage à Accélération Gravitationnelle) le plus proche à trois heures, contre un mois auparavant !

Ce simple ajout a transformé notre paysage, faisant de Taorys 4 une destination de choix pour beaucoup de citoyens souhaitant s’offrir un séjour agréable.

Il est donc d’autant plus triste de voir s’effondrer notre mode de vie suite à la crise sans précédent que nous traversons. Nous espérons de tout notre cœur retrouver Taorys 4 telle que nous la connaissons le plus rapidement possible.

***

« Mes infortunés inconnus, j’ai déjà annoncé à la population que j’ai l’intention de rejoindre des amis de mon père au Bas Conseil de Nal’On.

-C’est à dire ? » Interrompit Moggarr, l’orkhal couturé de cicatrices. Le Prince précisa :

-Le Bas Conseil du cadran de Nal’On regroupe l’ensemble des dirigeants du territoire dans lequel se trouve Taorys 4. Cette région, nommée le bras de Nal’On, n’est qu’une infime portion du royaume Humain. Le Bas Conseil est une assemblée politique qui œuvre à fédérer les ressources des planètes du bras de Nal’On pour augmenter notre influence politique auprès d’autres conclaves plus puissants. Un siège est disponible pour le dirigeant de Taorys 4 ou un représentant choisi par ce dernier. Lorsque mon père régnait, il veillait à se rendre personnellement à toutes les assemblées du Bas Conseil. » Il s’interrompit soupira au souvenir du défunt roi, avant de reprendre : « Pour l’heure, je cherche à rejoindre un ami de ma famille : le seigneur DANLSAY. Je l’ai déjà rencontré en accompagnant mon père, qui souhaitait que je me familiarise avec la politique du bras de Nal’On. Le seigneur DANLSAY dirige Ragosys 5, il nous aidera à reprendre le trône. Je le sais. Nous devons réussir à le joindre, une simple communication ne suffira pas. Si après avoir reçu mon appel à l’aide le seigneur DANLSAY parvenait jusqu’à Taorys 4, mon oncle risquerait de l’accueillir, de déformer la vérité afin de me faire passer pour ce que je ne suis pas. Je dois le rencontrer pour le convaincre de la gravité de ma situation, ainsi que de celle de Taorys 4. » Issra, l’elfe au masque blanc demanda :

-Quitter la planète ne sera pas simple votre majesté. Comment comptez-vous réussir ? » Le jeune homme hésita puis se tourna vers sa cheffe de la sécurité. Il craignait de révéler ses plans, mais l’orc hocha la tête en signe d’approbation. Le prince afficha une représentation de la planète sur la table holographique : « Il va déjà nous falloir un vaisseau. Je pense que la seule solution qui s’offre à nous sera d’en dérober un au spatioport. Nous nous occuperons de ce point en dernier, il est probable que pour ce vol nous devrons nous organiser à la dernière minute. » Pirau aurait pu intervenir pour offrir son bâtiment, mais il se méfiait encore du groupe et du prince. Il préférait attendre prudemment. Rothan continua : « Forcer le blocus est impossible. Nous devrons donc, soit passer discrètement, soit obtenir un code d’accréditation de la part du régime. Je crains qu’il n’y ait pas de vaisseau furtif sur Taorys 4, il nous faudra donc trouver un moyen de voler un passe. Notre meilleure chance réside dans un piratage informatique. L’un d’entre vous a-t-il des compétences dans ce domaine ? » Personne ne se manifesta autour de la table. Le prince continua : « Dans ce cas, cherchons un hacker qui nous soutient. En attendant concentrons-nous sur la première partie du plan : obtenir une réserve de vivres. » Devah, l’épervier-humain aux yeux bleus demanda :

-Quel intérêt si nous quittons la planète ? » Ce à quoi le prince répondit : « Ce n’est pas pour survivre ici. Le voyage jusqu’à Ragosys 5 prend minimum quatre jours. Il nous faudra des provisions pour tenir durant le trajet. Nous ne pouvons pas emmener n’importe quoi, il y a des règles de sécurité et d’hygiène très strictes dans l’espace. Nous devons trouver des denrées spécifiques au voyage interstellaire. » Pirau ne pouvait même pas proposer les maigres réserves qu’il avait, Cheryle et Card, les membres de son équipage, allaient en avoir besoin. Il lança donc en grattant sa barbe de trois jours :

-Avez-vous des pistes de recherches ? » L’adolescent sourit à Pirau :

-Il y a une zone commerciale au sud d’Union, avec des entrepôts ainsi que des grandes surfaces. J’espère qu’ils n’ont pas tous été pillés. Il nous faut une équipe pour aller les explorer, mais mes hommes sont trop occupés à nous permettre de survivre. C’est là que vous intervenez pour vous charger de cette mission. Erothe, ma cheffe de la sécurité, va vous indiquer comment vous y rendre. Pendant que vous partirez en reconnaissance, je vais réunir une équipe pour récupérer les vivres une fois que vous les aurez rassemblés. Nous avons aussi quelques robots de manutention qui pourront servir. Il vous suffira de nous contacter sur une fréquence cryptée pour que nous venions vous aider à récupérer la cargaison. Ma mère va commencer à questionner son réseau pour trouver un pirate informatique. De mon côté, j’ai des informateurs dans le régime. Ce sont d’anciens administrateurs de mon père qui travaillent désormais pour mon oncle. Mais ils sont restés fidèles à ma lignée. Je vais voir avec eux si un vaisseau stationné au spatioport peut convenir à nos besoins. Si vous n’avez pas de question, je vous invite à voir avec Erothe les détails de votre mission avant de vous mettre en route. Notre temps est compté. » Le groupe acquiesça puis se dirigea vers la sortie.

Dans les tunnels des égouts, le groupe ne prononça pas un mot, trop concentrés qu’ils étaient. Erothe, la garde personnelle du prince leur avait donné les instructions nécessaires à la traversée du réseau. Certains passages étaient piégés, d’autres déclenchaient une alarme silencieuse qui avertirait la base de la résistance. Ils ne devaient pas se tromper de chemin sachant qu’ils ne possédaient aucune carte pour les aider. On leur avait montré le plan du réseau, mais pour des raisons de sécurité ils n’en n’avaient pas reçu de copie. Ainsi en cas de perte ou de capture par l’ennemi, les assaillants ne sauraient pas quels dangers les attendaient dans les galeries. La troupe hésitait cependant, tâchant de se souvenir quel tunnel était sûr ou quel autre ne l’était pas. Seuls Issra, l’elfe au masque étrange ainsi que Yerid, le cérèbre homme-poisson, semblaient savoir où aller, ils ouvraient la marche. Borae, le mage humain tout vêtu de rouge, ne paraissait pas inquiet, il parlait sans cesse : « Mon cher Yerid cette aventure est exactement ce dont j’avais besoin pour éblouir mes fans. Du frisson, du danger, de la violence ! » Le cérèbre semblait toujours imperturbable, droit comme un i. Il s’exprima avec le même calme dont il faisait preuve dans la salle de briefing :

-Docteur, ceci n’a rien à voir avec une de vos émissions. C’est une question de survie pour nous.

-Rien ne m’empêche de joindre l’utile à l’agréable. » Moggarr, l’orc en armure complète les interrompit à travers son heaume en forme de bête sauvage :

-Eh le poisson ! Pourquoi vous l’appelez Docteur l’autre guignol ? » Yerid ne sembla pas touché par l’insulte. Il lui était en réalité impossible de l’être. Il répondit avec le même ton qu’il utilisait depuis leur rencontre :

-Monsieur VORTAN a été reconnu médicien complet par la Tour à la suite de son examen de fin de cursus. » Impossible ! S’étrangla Pirau. Ce bouffon a étudié 12 ans à la Tour ?! Mais d’où il sort ? Remarquant à nouveau que les regards étaient braqués sur lui, l’intéressé se gaussa avant de déclarer :

-Et ce n’est pas tout, en plus d’officier à temps plein pour sauver des vies, je suis aussi la star de ma propre émission sur l’extranet ! Vous en avez probablement déjà entendu parler : Les péripéties de maître VORTAN ! » Un silence gênant s’ensuivit que seul Moggarr troubla :

-Connais pas. » Provoquant des éclats de rire étouffé chez les autres compagnons, sauf Yerid, qui ne pouvait s’amuser de quoi que ce soit. Il cligna simplement ses yeux noirs puis recoiffa ses cheveux-nageoires. Devah, l’épervier-humain aux yeux azur reprit la parole :

-Qu’est-ce que vous pensez du prince ? » C’est Borae, dissimulé derrière ses verres teintés qui se prononça le premier :

-Il est un peu idéaliste, c’est normal vu son jeune âge… mais je l’aime bien. » Devah demanda :

-Normalement, le fait qu’il soit un criminel ne devrait-il pas vous interdire de l’aider ? » Yerid fit voler sa chevelure nageoire en se tournant pour répondre de sa voix monocorde :

-En réalité le prince n’est pas un criminel. Je vous explique : le régent a coupé l’accès au réseau extranet pour l’ensemble de Taorys 4. Lui compris. Il n’a donc pas pu édicter un avis de recherche auprès de la Coalition, d’ailleurs aucun tribunal n’a statué sur le fait que le prince ait été reconnu coupable de trahison au régime. De fait, il n’est pas considéré comme un criminel aux yeux du Haut Conseil, ainsi qu’à ceux de la Tour. » Moggarr ricana :

-Bien vu le poisson. » Il fit jouer l’articulation du bras droit de son armure, qui semblait le gêner. Il fut repris par Yerid :

-Je ne fais qu’accomplir mon devoir, je dois préserver la galaxie des risques que représentent les mages. Je ne permettrais pas que le docteur VORTAN devienne un criminel. » Issra jusqu’ici silencieuse déclara d’une voix hautaine derrière son masque blanc :

-Le prince semble réellement se préoccuper du bien-être de ses sujets. De plus je ne l’ai pas entendu se plaindre une seule fois de sa condition actuelle. Plus d’un noble se morfondrait de devoir évoluer dans des égouts. » Pirau approuva en silence, la plupart des riches mondains de la galaxie n’auraient jamais supporté de s’approcher d’un endroit pareil. Issra continua : « Enfin il est hors de question que j’aille le vendre à son oncle, je ne souhaite pas avoir sa mort sur la conscience. » Borae épousseta son manteau rouge puis demanda sur un ton amusé :

-Et vous ? Votre situation ne vous dérange pas ma dame ? ». Il se fit sévèrement moucher par l’elfe qui siffla à travers son masque :

-Je suis en mission, peu m’importent les obstacles, j’atteindrai mon objectif. » Le mage grimaça, recula devant la fureur grondante dans la voix d’Issra. Il se tourna vers Pirau auprès de qui il trouva un interlocuteur plus loquace :

-Votre avis sur notre jeune bienfaiteur ? » Le contrebandier passa sa main dans ses cheveux bruns courts avant de répondre :

-Il me semble honnête. C’est une qualité rare pour un dirigeant.

-Ah ! Vous avez bien raison. » Le mage remarqua sa démarche légèrement chaloupée puis demanda :

-Mais dites-moi, vous me semblez bien chargé, qu’est-ce que vous transportez comme ça ?

-Le nécessaire à ma survie. » Et le reste ne te regarde pas mon gars. Il ajusta son paquetage pour bien faire comprendre le sous-entendu à Borae qui se tourna vers Moggarr :

-Et vous messire, quelle impression vous a laissé le prince ? » L’orc grogna :

-Je n’ai rien d’un Sire. » Tout en continuant de faire des mouvements de bras pour ajuster son imposante armure : « Je veux juste quitter cet endroit. Ma demande auprès du régime a été refusée sans explication. Je me tourne vers une autre solution. De toute façon, si le prince nous piège, je le tue.

-Voilà qui a le mérite d’être clair.

-Et tu parles trop Doc. » Il appuya sa remarque en tournant lentement son casque vers le mage, le faisant reculer de crainte en se plaignant :

-Quel caractère… J’essaye de faire connaissance avec mes nouveaux compagnons. » Issra devant lui, n’offrant que les drôles d’appendices pourpres de son masque s’emmêlant avec sa chevelure de jais, lui lança d’un ton condescendant :

-Ne vous attachez pas trop. Dès que nous aurons quitté ce caillou nos chemins se sépareront. » Si nous quittons ce caillou vivants… Faillit ajouter Pirau. Ils poursuivirent leur chemin en silence, Borae désormais boudeur à l’arrière du cortège.

Une fois la surface atteinte, les odeurs d’excréments et d’humidité furent remplacées par celles de la sécheresse et des cendres. Le soleil était haut dans le ciel, ils vérifièrent leur montre pour avoir la confirmation que l’après-midi débutait. Ils débouchèrent dans un quartier d’immeubles résidentiels. La vie avait dû être agréable ici, mais désormais les ordures s’entassaient, des animaux sauvages occupaient les rues. Dans le lointain ils purent apercevoir la méga-structure formant une muraille bloquant le panorama. Ce silence, oppressant, inquiétant, qui planait toujours sur la ville poussa même Borae l’insouciant à regarder les alentours de manière craintive. L’ambiance du groupe se crispa quand des coups de feu retentirent au loin. Sans dire un mot, Devah prit la tête du cortège en dégainant un superbe fusil à lunette. Il l’utilisa pour scruter les fenêtres des bâtiments les entourant. Avant de passer le coin d’un bâtiment il prenait le temps de contrôler l’absence de danger au loin puis faisait signe au groupe de le suivre. Ses amples vêtements ne semblaient pas le gêner dans sa progression. Pirau reconnut l’entraînement d’un militaire de la Coalition. Il avait lui-même effectué une formation de quelques années dans une académie lors de ses jeunes années. Mais l’épervier au regard azur dégoulinait de savoir-faire guerrier. Si leur situation n’avait pas été aussi précaire, il l’aurait questionné sur son passé, afin de découvrir s’ils avaient vécu des expériences communes. Ils ne rencontrèrent aucun problème dans les rues, cependant l’échauffourée perçue au loin ne semblait pas s’arrêter, à l’affût, la troupe poursuivit son chemin dans un profond silence. L’atmosphère tendue de la ville commença à déteindre sur eux. Les routes qu’ils traversaient n’étaient pas en ruine comme en temps de guerre pourtant certains bâtiments avaient brûlé récemment. Dans l’ensemble, les habitations étaient encore debout, mais, sans raison apparente, des coins de rues ou des lieux précis avaient été pris pour cible. Ils aperçurent des survivants au loin, mais ces derniers prirent la fuite en les voyant approcher. Difficile de leur en vouloir, leur groupe avait réellement le profil d’une bande de truands prêts à en découdre.

Ils traversèrent une voie de chemin de fer creusée entre deux buttes. En franchissant les hautes herbes de l’autre côté ils arrivèrent dans la zone commerciale. D’immenses magasins à perte de vue, des parkings bétonnés de la taille de champs de culture agricole. Il n’y avait personne, les rares véhicules présents avaient été fracturés ou incendiés. Un véritable désert de la consommation. Ils adoptèrent une formation plus espacée sans en discuter, tous se tenaient prêts à dégainer. Devah tournait sans cesse sur lui-même pour épier les environs. Pirau le comprenait, à découvert, ils faisaient des cibles faciles. Ils forcèrent l’entrée du premier bâtiment à leur portée, pour découvrir un commerce fantôme. Plus de lumière, plus un bruit, des ordures jetées le long des allées. Ils fouillèrent les rayons, les grandes baies vitrées du plafond leur permettant d’y voir clair sans torche. Le bilan fut sans équivoque : les denrées périssables n’étaient plus consommables tandis que les aliments qu’ils auraient pu récupérer avaient tous disparu. Ils répétèrent l’opération à trois reprises, dans d’autres magasins pour ressortir systématiquement les mains vides. Devah claqua du bec de frustration avant d’annoncer : « Il est possible que nous ne trouvions rien ici. Mais il va nous falloir des heures pour vérifier l’ensemble des bâtiments. Je propose de nous séparer en binômes. La zone ne semble pas dangereuse, nous couvrirons plus de terrain ainsi. » Yerid cligna ses yeux noirs avant de répondre :

-Il va de soi que je ne quitte pas le docteur VORTAN.

-Bien entendu. » Répondit Devah : « Je propose de partir avec Moggarr. Pirau et dame Issra formeront le dernier duo. » Tous acquiescèrent. L’épervier-humain ajouta : « Retrouvons-nous ici à la tombée de la nuit. Aux alentours de dix-neuf heures. Voici ma fréquence d’oreillophone en cas de problème. » Ils décidèrent d’échanger leurs numéros, pour pouvoir se contacter en cas de besoin puis se séparèrent.

Dans les premières minutes, Pirau fut un peu mal à l’aise. Accompagnant Issra, il ne savait pas comment ouvrir le dialogue avec l’elfe. Voyant son malaise elle lui annonça : « Le silence me convient tout à fait. Tâchons de trouver ce que nous sommes venus chercher. Je serais extrêmement ennuyée si le docteur rapportait plus de vivres que nous. » Pirau ne put s’empêcher de pouffer, provoquant une approbation d’Issra. En arrivant au commerce suivant, préférant éviter les magasins de mobilier ou d’accessoires, ils entrèrent dans une boutique alimentaire. Le calme permanent devenait pesant, le cœur de Pirau s’emballait dans sa poitrine, il imaginait être attaqué par des pillards à tout moment. Il sursauta lorsqu’au croisement de deux rayons il tomba nez à nez avec un petit félin en train de dévorer un oiseau mort. L’animal feula en le voyant, l’obligeant à s’éloigner.

Ils passèrent l’après-midi en silence, n’échangeant que pour se donner les résultats de leurs recherches, ou se retrouver lorsqu’ils s’éloignaient un peu l’un de l’autre. Après une heure de calme plat rythmée de vaine exploration, ils décidèrent de séparer le binôme pour couvrir plus de terrain. Ils préférèrent rester en contact permanent, réglèrent leurs oreillophones sur une communication ouverte. Il l’entendait donc lui faire un rapport chaque fois qu’elle terminait une fouille, de son côté il faisait de même. Après avoir retourné trois bâtiments supplémentaires sans trouver la moindre trace de nourriture, Pirau tomba sur un symbole peint à l’entrée du quatrième : un hexagone rouge sang. L’endroit avait été pillé comme les autres. Il passa au suivant où il découvrit le même emblème, le magasin également mis à sac. Il poursuivit ses recherches en constatant rapidement que toutes les enseignes affublées de cette marque rouge avaient été vidées. Avec Issra, ils décidèrent de se rejoindre, il marcha un moment pour enfin apercevoir la silhouette féminine moulée dans sa tenue de combat. Il s’approcha puis lui annonça : « J’ai l’impression qu’on nous a devancés, j’ai trouvé un drôle de signe sur les devantures des boutiques déjà pillées. » elle extirpa un pavé numérique de son armure, présenta un cliché à Pirau :

-Ce symbole ? ». Le même hexagone rouge que celui que Pirau avait trouvé :

-Oui. C’est bien ça.

-Il y en a partout dans le coin. On va continuer à chercher, mais je pense qu’on peut éviter les bâtiments avec ce dessin. » Elle rangea son pavé numérique. Pirau hocha la tête :

-Vous avez une idée de sa signification ? » L’elfe secoua négativement la tête :

-Pas du tout. On demandera aux autres quand on les retrouvera. » Ils se levèrent, rebroussèrent chemin puis se dirigèrent vers le lieu du rendez-vous pour rejoindre le reste du groupe.

À l’endroit prévu ils retrouvèrent Devah et Moggarr qui s’étaient installés à l’ombre d’un bâtiment. Ils se firent signe, Pirau remarqua qu’ils n’avaient rien ramené. Il attendit d’être à leur hauteur pour demander sans grande conviction : « Vous avez trouvé quelque chose ?

-Rien du tout... » Soupira l’épervier-humain : « Et vous ?

- On pense que quelqu’un est passé avant nous, avec le même objectif. Issra, montrez-leur votre cliché. » L’elfe acquiesça derrière son masque blanc et pourpre, sortit son pavé numérique puis le passa à Moggarr qui retira son gant massif pour attraper l’objet. Il y jeta un rapide coup d’œil avant de le transmettre à Devah. Il renfila son gant en affirmant :

-De notre côté aussi on a vu cette marque un peu partout.

-À votre avis ? » Tous secouèrent négativement la tête. Sur ces entrefaites Borae arriva en criant :

-Ohé ! Les amis ! » Tous sursautèrent, attrapèrent leurs armes, craignant qu’un ennemi jusqu’alors tapi dans l’ombre ne se jette sur eux. Après quelques secondes de calme, ils râlèrent contre Borae lui intimant de faire moins de bruit. Il avait un sac duquel il sortit des fruits. Yerid en portait deux identiques, il expliqua : « Nous n’avons rien trouvé dans les magasins, mais une enseigne de matériel d’agriculture avait quelques plants d’arbres fruitiers. Les pilleurs n’ont pas dû penser à y aller, les branches étaient chargées. Nous avons bien conscience que cela ne nous sera d’aucune aide pour le plan. Mais, ce soir, nous ne nous coucherons pas l’estomac vide. » Il tendit un sac à Devah puis proposa un fruit à Issra. Elle accepta, débloqua une petite partie inférieure de son masque pour libérer sa bouche avant de le déguster. Pirau en croqua un, l’agrume était à la fois sucré et amer, sa chair tendre et juteuse, un vrai régal. Tous s’installèrent à même le sol, discutèrent de leurs fouilles. Lorsque vint le sujet de l’emblème rouge, c’est Moggarr qui avança la théorie la plus plausible. Il avait retiré son sinistre heaume ainsi que ses gants, il dévorait la nourriture, la bouche dégoulinante il affirma : « Il doit s’agir d’un groupe organisé. Ils posent cette marque pour indiquer à leurs comparses que le magasin a déjà été vidé.

-Effectivement c’est très probable. » Répondit Yerid qui mangeait avec délicatesse pour ne pas engluer ses mains couvertes de petites écailles bleu-gris : « Cependant personne ici ne connaît ni l’origine ni la signification de ce symbole ? » L’orc avait du jus de fruit partout autour de la bouche et sur les doigts. Il grogna en secouant négativement la tête :

-Aucune. J’ai horreur d’échouer dans une mission qu’on me confie, mais je pense que nous devrions contacter le prince afin que l’équipe de récupération qu’il a montée n’attende pas après notre signal. Nous rentrons bredouille, mais il nous faudra identifier ce symbole, nous pourrons toujours demander au prince s’il a des informations à ce sujet. » Il se pourlécha les babines après avoir englouti un nouveau fruit. Devah se leva, attrapa son fusil avec ses serres puis annonça d’un ton décidé :

-Faisons cela. » Ils rangèrent les quelques fruits restants puis se remirent en route.

Sur le chemin du retour le même spectacle que précédemment les accompagna. Pirau s’étonna encore une fois de la vitesse à laquelle la situation avait dégénéré. Mais une planète excentrée comme celle-ci était plus sensible à ce genre de crise. Bien avant la pénurie actuelle, dès qu’une livraison tardait, les réserves de denrées se réduisaient à grande vitesse. Difficile d’imaginer quelqu’un voler au secours de Taorys 4, elle était loin des grandes routes commerciales. Pirau avait entendu parler d’histoires de planètes, prises en otage par des pirates pendant des années avant que la vérité à propos d’habitants réduits l’état de misère ne se sache. Il avait l’impression d’être au cœur d’un de ces lugubres récits. Il fut tiré de ses pensées par Devah qui stoppa le groupe d’un geste de la main. Pirau se baissa instinctivement, il fut imité par le reste du groupe, puis il alla rejoindre l’homme-oiseau pour lui chuchoter : « Un problème ?

-Des Rangers Ax ! Regardez. » Il désigna de sa serre un groupe de soldats en armures grises complètes, casques fermés se préparant à entrer dans un bâtiment. Pirau les vit défoncer la porte pour jeter des grenades aveuglantes, ou lacrymogènes. Après la détonation ils se ruèrent à l’intérieur l’arme au poing en hurlant des instructions sèches. Quelques secondes après ils traînaient des civils dans la rue, par les bras, les cols ou même les cheveux. Les pauvres bougres souffraient des contrecoups des armes neutralisantes, ils pleuraient, leurs yeux rougis par les gaz ou les flashs de lumières. Les alignant sur le trottoir les militaires leur hurlaient dessus tandis qu’ils les forçaient à s’agenouiller en les tenant en joue. Les captifs semblaient terrorisés, leurs mains jointes sur le sommet du crâne en signe de soumission. Les soldats des Raxs finirent de nettoyer le bâtiment, puis ils commencèrent à s’en prendre aux prisonniers. Devah détourna son regard bleu pour annoncer : « On va devoir faire un détour. » Moggarr tremblait de colère, il s’offusqua :

-Quoi ?! » Le son de sa voix à peine étouffé sous son abominable heaume : « Il faut aller aider ces pauvres gens ! » Devah baissa ses yeux azurs puis soupira :

-On ne sait pas qui ils sont, on ne sait pas si les Raxs sont tous là ou s’ils ont des renforts proches. On ne peut pas aller au-devant du danger. Je suis comme vous, je n’aime pas regarder sans rien faire. Retournons voir le prince pour éviter à ces gens que ce supplice ne dure plus longtemps. » L’orc gronda en sourdine, ses poings se serrèrent, il attrapa sa hache puis souffla sous son casque :

-Rentrons… Avant que je ne change d’avis. » Ils firent demi-tour pour emprunter un chemin différent. Moggarr passa sa frustration sur un mur qu’il frappa de son poing droit. Il y laissa un beau cratère, poussa un grognement rageur puis reprit sa marche. Pirau fut soulagé de voir que les Raxs étaient trop loin pour remarquer cet accès de colère brutal. Cependant il resta sidéré devant l’absence du moindre signe de douleur de la part de Moggarr.

En revenant par les égouts ils respectèrent les protocoles de sécurité. Le groupe savait par où passer, ils pouvaient même, au besoin, activer des pièges. Les hommes du prince, menés par Erothe, avaient véritablement sécurisé les passages souterrains aux alentours du quartier général. Du travail de professionnels : l’équipe avait envisagé tous les scénarios possibles pour prévoir les contre-mesures en conséquence. Ainsi, même si un agent était compromis, il lui était possible de faire connaître sa situation à sa base sans mettre cette dernière en danger. Ils zigzaguèrent entre les passages pour éviter de déclencher involontairement le mauvais signal. Arrivés au premier point de contrôle, ils s’identifièrent avec le mot de passe qu’ils avaient reçu en partant. L’ensemble du dispositif avait impressionné Pirau.

Ils furent reçus par un technicien qui les mena au mess où le prince se restaurait en compagnie de ses hommes. Les voyant arriver il termina sa conversation puis se leva pour venir à leur rencontre. Il leur proposa de s’installer avec lui pour manger. Borae offrit de partager les restes de fruits trouvés ensemble, tous acceptèrent. Moggarr retira son imposante coiffe de combat pour la poser sur la table, Issra décrocha la partie inférieure de son masque puis ils commencèrent à relater leurs mésaventures au prince Rothan, tout en mangeant les derniers agrumes. Ils montrèrent au prince l’emblème rouge découvert sur les établissements pillés, via l’un de leurs pavés numériques. Le jeune homme se frotta le menton : « Ce dessin me dit quelque chose… où l’ai-je déjà vu ? » Il marmonnait tout en mastiquant sa nourriture. Il faisait un effort de mémoire après avoir observé l’image prise par Issra. C’est à ce moment qu’Erothe, la femme orc, sa cheffe de la sécurité, passa derrière lui. En apercevant le cliché elle demanda :

-Un problème avec les écailles rouges votre altesse ?

-Mais oui ! » Le visage du prince s’illumina, il s’écria avec satisfaction : « Merci Erothe ! C’est un symbole de gang ! » Le décalage entre sa joie d’avoir retrouvé l’origine de l’emblème et la stupéfaction due à ce qu’il venait de comprendre frappa le prince. Sous le choc, il s’affaissa sur sa chaise, puis d’une voix découragée il poussa un simple : « Oh… ce sont donc eux qui possèdent la majorité des stocks de provisions d’Union... »

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