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Bonjour à toutes et à tous, bienvenue dans ce premier épisode de « Cuisine des mondes » ! L’émission culinaire qui s’efforce de vous faire découvrir l’univers de la gastronomie galactique ! Pour introduire cet épisode nous allons nous intéresser aux différences d’alimentation parmi les neuf races qui peuplent la galaxie. Notons que nous n’allons tout de même pas explorer l’ensemble des recettes de la galaxie : il y en a une infinité ! Il est bon de se rappeler qu’un même plat n’aura jamais la même saveur sur deux planètes différentes ! Les ingrédients sont encore plus variés que les façons de les utiliser !
Cela pourra paraître évident à certains, les humains, les dvaergs, ou nains ainsi que les elfenths, ou elfes sont omnivores. Dans leurs royaumes certains plats se retrouvent sur plusieurs planètes, mais ils sont assez curieux quant aux différentes cuisines des autres races.
Les félinaes, ou hommes-félins, ont longtemps été des carnivores. Mais avec la mixité culturelle de ces derniers millénaires, ils ont appris à apprécier les valeurs nutritives des légumes.
Par le passé, les aquarunns se divisaient en deux catégories. Les herbivores, cultivant des algues ou les carnivores, s’attaquant aux êtres maritimes plus petits qu’eux. Désormais ils sont aussi devenus omnivores.
Les aviaros se nourrissaient de la même manière que les aquarunns. Herbivores ou carnivores, ils ont changé leur mode de vie au contact des autres races.
Les saurusks, ou hommes-lézards, étaient carnivores avant de s’adapter eux aussi pour devenir omnivores.
Les orkhals, ou orcs, étaient carnivores voire mêmes cannibales. Ils considéraient que manger un proche perpétuait sa mémoire, que dévorer un adversaire vaincu permettait de s’octroyer sa force. Aujourd’hui cette tradition est rarement mise en pratique, mais les orkhals restent majoritairement carnivores.
Les sylveskels, ou homme-arbres, sont les êtres les plus étranges des neuf royaumes. Ce sont les meilleurs agriculteurs de la galaxie mais ils consomment peu leurs produits. En effet, leur organisme presque végétal se nourrit principalement d’eau et de lumière. Il fut un temps où parmi les sylveskels se cachaient des créatures parasites. Disparues depuis des siècles, elles épuisaient les autres êtres vivants pour survivre, formant une espèce à part entière.
Nous allons maintenant réaliser ensemble la recette du jour ! Le Gouline ! Le plat le plus fameux du royaume Humain si j’ose dire ! Cette brioche fourrée est un repas complet à elle seule. Sa farce est généralement composée de légumes, de viande et d’épices. Ici nous avons quelques ingrédients qui se marient très bien entre eux…
***
Je tuerais pour un gouline… Songea Pirau tandis qu’il mangeait quelques restes des fruits de Borae avec de la viande séchée, toujours assis avec ses compagnons de galère autour d’une table de la cantine. Ensemble ils partageaient leur repas avec le prince. Les odeurs d’égouts ne parvenaient presque pas jusqu’à eux, mais les plus sensibles de la base faisaient tout de même brûler des bougies parfumées ou de l’encens pour masquer les effluves nauséabonds. Le cadre de vie dans les profondeurs d’Union était terne, l’endroit était conçu pour être fonctionnel, le gris du béton armé déprimait la plupart des combattants de la liberté. Le prince Rothan renseignait le groupe sur les écailles rouges : « Je n’ai pas eu, personnellement, affaire à ces hommes-lézards du royaume des Saurusks. Mais je sais qu’ils sont bien implantés dans Union. Si je ne m’abuse ils arborent fièrement des peintures de guerre rouges, signe distinctif de leur gang. Ils sont plus actifs dans le nord de la ville. Leur chef, Jomida QUEELMIS, n’a jamais été inquiété. Des témoignages le désignent comme le dirigeant, mais aucune plainte officielle, aucune prime ne l’ont jamais concerné. Il couvre très bien ses traces. » Erothe, la garde royale, était juste venue apporter un feuillet au prince, mais s’était finalement jointe à eux :
-Vous oubliez de mentionner le gorours votre altesse. ». Le prince s’exclama, ouvrant grand ses yeux verts :
-C’est vrai ! Selon les rapports de nos anciens agents de la paix, Jomida a été aperçu plusieurs fois accompagné d’un gorours domestique. Il lui aurait fait poser un implant neurologique pour le contrôler.
-Un gorours ? » Demanda Borae, ses yeux toujours dissimulés derrière ses lunettes noires.
-Une bête sauvage. » Répondit Moggarr, l’orc venait d’avaler un bol complet de gruau : « Un prédateur féroce, un tueur né. Les individus adultes vont de cent-cinquante à six cent kilos. Selon le climat, les périodes de l’année. C’est en général un tas de muscles, une vraie saloperie. » Le prince acquiesça puis reprit :
-Effectivement, il va donc de soi que je ne vous recommande pas d’affronter cet individu. La négociation sera la meilleure approche. » Devah avait terminé son repas, il tapotait légèrement la table de ses serres, puis déclara :
-Un criminel de sa trempe nous fera chanter, c’est évident. » Le prince réfléchit un instant avant de répondre :
-Je vais vous faire une lettre de certification. Vous pourrez négocier avec QUEELMIS en mon nom. » Erothe s’étrangla avant de commencer à lui murmurer des mises en garde, il l’interrompit d’un signe de la main avant de poursuivre : « Vous pouvez lui promettre ce que vous voulez en dehors de mon association à ses activités, ou mon trône. Je souhaite sauver mes sujets, pas les offrir en pâture à un truand. De plus, s’il maltraite la population, il est hors de question que je l’aide à poursuivre ses activités.
-Votre altesse, je ne... » La garde royale insistait mais en inclinant la tête pour montrer son respect, le prince Rothan continua sur un ton autoritaire :
-Il aura ce qu’il demandera contre des provisions. La situation est bien trop grave pour que je fasse des manières. » Puis, plus calmement au groupe : « Avez-vous des questions ? » Personne ne se manifesta : « Dans ce cas je vous invite à voir avec l’intendance où vous pourrez vous reposer. Demain il vous faudra explorer la partie nord de la ville. Ce sera tout. »
L’organisation de la base surprit encore les compagnons d’infortune. En se rendant à l’intendance ils se virent attribuer un lit de camp avec une malle de rangement verrouillable individuelle. Ils étaient installés dans un couloir de maintenance certes, mais au moins ils ne dormiraient pas par terre. Ils apprirent que des salles d’eau avaient été mises en place, ils pourraient y accéder avec une carte de rationnement. Le contrebandier ne s’en priva pas, il alla se décrasser sous une eau brûlante qui coulait marron à ses pieds. Tout son corps se détendit, évacuant la tension accumulée depuis quelques jours, mais le répit fut de courte durée, rapidement le flux s’interrompit, alors il dut quitter les lieux. Il sortait de la salle d’eau quand il tomba sur Devah. Ce dernier lui dit : « Je monte à la surface prendre l’air. Ici, les odeurs commencent déjà à me donner la nausée.
-Je vais vous accompagner. » En chemin l’épervier lui expliqua qu’un passage rapide jusqu’à la surface avait été aménagé, mais que pour des raisons de sécurité ; il était interdit de s’en servir durant la journée. Ils prirent des échelles métalliques puis des escaliers en béton pour se retrouver dans le sous-sol d’un bâtiment de maintenance des égouts. Là ils furent guidés par un garde pour traverser des couloirs afin de sortir par un autre accès sans éveiller les soupçons des Raxs, au cas ou ils auraient surveillé cet endroit. Ils débouchèrent sur une rue déserte, marchèrent quelques minutes, toujours aux aguets. Ils ne rencontrèrent pas âme qui vive, Pirau commençait à se demander où était passée toute la population de la ville. Ils se glissèrent dans un immeuble dont les sas de sécurité étaient ouverts, ils montèrent sur le toit. Une fois arrivés, Devah s’assit dans un coin d’ombre puis soupira : « Un sacré merdier…
-Vous avez l’air d’en avoir vu d’autres.
-Hum… on peut dire ça. » Il pouffa en claquant du bec avant d’ajouter : « J’ai vécu des trucs assez durs en effet.
-Chasseur de prime ?
-Entre autres. Je ne me limite pas qu’à cela.
-Vous êtes bien bavard avec un inconnu, vous n’avez pas peur que je m’en serve contre vous ?
-Les chances qu’on survive ou qu’on se revoie après ça sont très minces. Vous avez l’air d’être quelqu’un de bien Pirau. Pourquoi me méfierais-je ?
-Pas faux.
-En parlant de se confier : où avez-vous caché votre vaisseau ? » Pirau sursauta Merde ! Il allait essayer de broder un mensonge quand l’épervier-humain se mit à rire avant de reprendre : « Ne vous en faites pas, je comprends les raisons de votre silence. N’attendez pas trop pour en parler au prince.
-Comment avez-vous deviné ?
-N’insultez pas mon intelligence. Lors de notre présentation ce matin, vous avez affirmé être un marchand, or vous ne vous êtes pas plaint une seule fois que le régime vous ait confisqué votre vaisseau. Ce qu’il a fait pour l’ensemble des personnes présentes sur la planète lors de son coup d’état. » Pirau soupira :
-Vous croyez que le prince l’a deviné aussi ?
-Je ne m’avancerai pas sur ce point. Mais il est loin d’être bête. » Pirau jeta un œil aux étoiles, elles étaient voilées par quelques nuages. Il cogita un moment avant de prendre sa décision :
-Si nous parvenons à obtenir ces provisions ainsi que le moyen de quitter cette planète : je préviendrai le prince, nous organiserons le départ ensemble.
-À la bonne heure ! » Devah poussa un soupir de soulagement : « On va peut-être réussir à quitter ce trou perdu. » Ils restèrent un moment sans parler. Puis Pirau demanda : « Comment vous êtes-vous retrouvé coincé ici ?
-Réapprovisionnement du vaisseau de transport avec lequel je transitais. Il est toujours cloué au spatioport à l’heure où nous parlons.
-Où alliez-vous ?
-Sans entrer dans les détails, disons que j’avais un rendez-vous avec un potentiel nouveau recruteur. Autant dire que j’ai déjà cinq jours de retard, je n’aurai jamais l’occasion de retravailler avec sa compagnie. J’espère qu’ils ne m’en tiendront pas rigueur en allant me coller un rapport au cul.
-Pareil pour moi, ma soute est pleine de matériel que j’étais censé livrer il y a trois jours. Maintenant il est certain que je vais avoir de gros ennuis quand tout sera terminé. » Devah acquiesça. Ils passèrent encore quelques minutes en silence. Pirau se mit à bailler, s’étira puis annonça son retour dans les égouts. Devah lui emboîta le pas.
Le contrebandier eut toutes les peines du monde à s’endormir, il n’était plus habitué à loger aussi mal. Lorsqu’enfin le sommeil lui vint, il fut réveillé par le passage de personnes à proximité de son lit de camp. Le va et vient semblait incessant, mettant ses nerfs à rude épreuve. La première période de calme lui permit de sombrer enfin, il put se reposer un peu.
Il fut réveillé tôt, trop tôt à son goût. Toujours par le passage du personnel de la base. Il s’habilla au milieu du tunnel, se dirigea vers la cantine. Il y trouva déjà Moggarr, Borae et Yerid qui mangeaient des rations sur le pouce. Les gestes du mage dans son manteau rouge étaient lents. Difficile de voir s’il avait bien dormi avec ses lunettes teintées. Comme à son habitude, l’homme-poisson semblait frais et dispos, il ne dégageait aucune émotion particulière. Enfin l’orc ne portait pas encore son armure, juste la combinaison qu’il revêtait habituellement en dessous. Pirau put remarquer à nouveau la sinistre balafre au niveau du cou de Moggarr, avant de se joindre à eux en faisant attention de ne pas fixer la cicatrice. Il partagea des gâteaux secs et insipides, mais put avoir accès à un ersatz de caféine liquide. Borae bailla aux corneilles avant de geindre : « Je retournerais bien à la zone commerciale pour visiter un magasin de literie... » Pirau pouffa :
-Je vous suis immédiatement, pour le confort on repassera. » Moggarr cracha avec dédain :
-Vous êtes bien frêles, vous autres humains. » Borae s’offusqua, son ton monta dans les aigus :
-Inutile d’être désagréable ainsi de bon matin...
-Parce que vous avez bien dormi peut-être ?
-Bien mieux que dans des bâtiments désaffectés avec mon armure sur moi et ma hache à la main. La sécurité ici permet de trouver un semblant de repos. » Le mage et Pirau furent bien forcés d’admettre que l’orc avait raison. Devah et Issra arrivèrent à ce moment-là, ils vinrent s’installer avec eux. Ils portaient les mêmes vêtements que la veille, avec leurs armures légères. Le groupe commença à discuter de la mission du jour, Borae ne put s’empêcher d’être pessimiste : « Je ne suis pas convaincu que nous parvenions à trouver ces écailles rouges, encore moins à contacter leur chef… Comment le prince a-t-il dit qu’il s’appelait déjà ? » Son cérèbre Yerid, l’homme poisson, cligna ses yeux noirs avant de répondre :
-Jomida QUEELMIS. »
-C’est ça ! Merci bien. » Le mage réajusta son manteau : « Alors ? Comment allons-nous nous y prendre ? » Issra poussa un long soupir en inclinant la tête, dévoilant l’enchevêtrement de son masque avec ses cheveux de jais :
-Il faudrait s’infiltrer, suivre les premiers membres du gang que nous trouverons, découvrir leur tanière puis entrer pour prendre contact avec Jomida. » Le regard de Borae s’éclaira de malice, mais il n’eut pas le temps de répondre. Moggarr lui coupa la parole :
-Trop long, trop risqué. On attrape le premier lézard qu’on croise, on lui coupe les doigts jusqu’à ce qu’il nous indique l’emplacement des vivres. On y va, on se sert puis on repart aussi vite.
-Comment allons-nous ramener les vivres ? Le prince a préparé une équipe pour cette tâche car la quantité de nourriture nécessaire à notre réussite risque d’excéder nos capacités de transport à pied. Avez-vous la possibilité de réfléchir afin d’envisager de travailler en finesse ? » L’orc pâle grimaça, dévoilant ses dents acérées :
-Pas mon domaine de prédilection. »
-Sans rire ! » Le ton montait, attirant les regards d’autres tablées.
-Et pourquoi pas une demi-mesure ? » Demanda Devah tandis qu’il continuait de mâcher : « On prend en filature les membres du gang que l’on sait aller vers les vivres, on monte une opération avec le prince, pour les récupérer par la suite. » Tous se turent un instant, puis Moggarr et Issra acquiescèrent. Ils se levèrent pour débarrasser leur table puis s’organisèrent pour se laisser le temps de se préparer individuellement, avant de se retrouver pour traverser les égouts une fois encore.
Le trajet dans les tunnels souterrains s’effectua sans encombre. Ils retrouvèrent la surface par une nouvelle sortie plus proche de leur objectif. Puis ils marchèrent durant un long moment, arpentant les avenues et les boulevards du quartier Nord d’Union. Ici, pas de hauts buildings, juste de petits immeubles abritant au maximum six appartements, tous collés les uns aux autres. Toujours le même spectacle de désolation avec cette absence de vie, les routes qui n’étaient plus entretenues, ainsi que les pavés couverts de feuilles mortes. La seule activité notable était les animaux sauvages et les charognards. Cependant Pirau remarqua un changement qu’il notifia à ses compagnons : « Il n’y a plus d’ordures sur les trottoirs... » Il fit un tour complet sur lui-même pour confirmer sa première impression. Les autres remarquèrent aussi cette différence, alors qu’ils remontaient une allée, ils découvrirent une mère avec ses deux enfants, en train de ramasser des sacs de déchets pour les transporter dans un chariot de fortune. Le groupe s’étonna, Devah leur fit signe en criant : « Excusez-moi, est-ce que je peux vous poser quelques questions ?! Je ne vous veux aucun mal ! » Il tendit son fusil à Pirau qui l’attrapa, puis il avança doucement vers la petite famille en levant les mains en signe de paix. Devah put s’approcher d’eux, il entama une conversation que Pirau ne parvenait pas à entendre. Il détailla la famille d’humains, les trouvant assez bien habillés, plutôt propres. Ils ne semblaient pas mourir de faim, la mère souriait même à l’épervier-humain. Après quelques minutes ce dernier revint vers ses camarades pour déclarer d’un ton amusé : « Vous n’allez pas le croire. »
La femme leur apprit que les écailles rouges avaient repris en main l’administration du quartier Nord. Ils avaient fortifié un groupe de grands immeubles pour créé une zone de sécurité au cœur de laquelle ils faisaient régner l’ordre et la discipline. Cet aménagement abritait même un bazar. Une véritable microsociété avait fleuri sous la protection des gangsters. La mère de famille collectait les ordures du quartier pour gagner des portions de nourriture, les écailles rouges s’occupaient de l’acheminement jusqu’à la station de recyclage dont ils avaient pris le contrôle. Ils rationnaient l’eau et l’électricité, la vie était rude mais les habitants ne craignaient pas pour leur vie. Ils suivirent la femme jusqu’au marché en question, les enfants leur racontaient leur quotidien, ils semblaient curieux, enjoués, malgré leurs conditions de survie. Pirau devina que la situation du quartier devait être bien meilleure qu’ailleurs, il savait que si des enfants arrivaient à jouer, c’est qu’ils étaient heureux. Il ouvrit de grands yeux ronds quand ils assaillirent Moggarr de questions, ce dernier leur répondit en souriant ou en riant. Après quelques minutes chacun des deux mômes prit une main de l’orc puis marcha à son côté. Le colosse fit attention de ne pas les blesser avec son armure.
Arrivés au lieu-dit, ils se séparèrent, Issra piqua Moggarr : « Je ne vous imaginais pas ce côté tendre. » L’orc grogna à travers son casque :
-Les enfants sont des êtres innocents, ils méritent qu’on prenne soin d’eux. » Il ne s’attarda pas pour développer son propos, laissant Pirau penser : Ça cache une sacrée balafre, mais je ne peux qu’adhérer. Ils stoppèrent à l’entrée du marché. Comme l’avait annoncé la mère humaine, le bloc d’immeubles avait été fortifié par des barricades de fortune ; construites rapidement à l’aide de blocs de bétons et de métal récupérés, les passages entre les tours se résumaient à des portes assez larges pour laisser avancer deux personnes. Les accès étaient surveillés par les écailles rouges. Le groupe n’eut aucun mal à entrer, l’accès n’était pas régulé. C’était véritablement noir de monde, les étals se chevauchaient, il y avait à peine la place de passer. Les vendeurs criaient les mérites de leurs marchandises, mais aucun prix n’était affiché. Le troc avait remplacé les crédits novemmiens, autrement appelés novs. Peu de nourriture, mais des produits de première nécessité, des vêtements voire quelques rares objets de valeur. Le tout était étroitement surveillé par des hommes lézards de grande taille, glabres comme le voulait leur tradition raciale, couverts de peintures rouges. De plus petits spécimens pareillement accoutrés, étaient installés aux balcons des premiers étages des tours avoisinantes. Le groupe de Pirau avait été repéré, mais les truands les laissèrent aller, leur faisant simplement comprendre qu’ils étaient tenus à l’œil. Devah fit signe au groupe de s’approcher : « Collectons des informations. Il va nous falloir trouver ceux qui sont chargés de la nourriture. Séparons-nous puis retrouvons-nous ici dans deux heures. Oh ! Et Yerid, j’ai bien compris que vous restiez avec Borae. » Le cérèbre acquiesça. Issra forma un groupe avec les deux méta-entis, tandis que Pirau alla avec Devah et Moggarr. Contrairement au reste de la métropole, l’endroit grouillait de vie. Le bazar portait bien son nom. Certains étals se trouvaient à même le sol sur des draps, d’autres sur des tables de fortune ou encore sur des planches dressées, formant les murs d’une mini-boutique. De grandes pièces de tissus de toutes les couleurs avaient été tendues entre les immeubles pour protéger la foule d’une pluie éventuelle, mais laissaient passer des rayons de soleil devenus multicolores. Des individus de toutes les races de l’espace novemmien étaient présents, ils croisèrent même un couple d’hommes-plantes du royaume des sylveskels portant un panier de fruits qui se faisaient harceler pour les échanger. Ils furent secourus par des écailles rouges qui vinrent s’interposer. Deux enfants, un lézard saurusk et un humain, se poursuivaient, ils bousculaient tout le monde en riant ce qui avait le don d’agacer les commerçants. Pirau et ses compagnons poursuivirent leur traversée du marché jusqu’à tomber sur un camion. L’engin possédait des roues anti-gravité, ou antigrav, il flottait à quelques centimètres du sol en restant stationnaire. Un nain était assis sur une caisse à proximité, une grosse tablette numérique à la main, il sermonnait une famille : « Vous avez eu votre ration d’eau, votre dernière ration de nourriture date d’hier ! Si vous avez reçu un coupon de travail communautaire vous pouvez aller le donner au bâtiment D pour recevoir une ration supplémentaire ou des biens de première nécessité. C’est la règle, vous la connaissez. Je ne distribue que les rations minimum pour les personnes ayant souscrit au programme d’aide ! »
-Mais ma sœur…
-Ne me prenez pas pour un idiot, votre sœur vit avec vous, hier elle a reçu sa ration comme tout le monde, je la lui ai remise moi-même. Maintenant fichez le camp ! Il y en a d’autres qui attendent ! » C’était vrai. Une véritable foule s’amassait dans le calme à proximité du camion. Le nain cria : « Inutile d’essayer de contourner le règlement, j’ai ici les rations des personnes qui se sont enregistrées auprès de mon collègue au programme d’aide dans le bâtiment D ! Ni plus, ni moins ! Pour les suppléments ou les réclamations c’est là-bas que ça se passe ! » Pirau observa le manège, l’ordre était maintenu par des écailles rouges postées en périphérie de la foule. Il n’y avait pas de brusquerie, pas de tentative de vol, les gens remerciaient les gangsters qui n’osaient pas les regarder dans les yeux. Qu’est-ce que c’est que ce cirque ? Le contrebandier gratta son tatouage de chaîne à travers sa barbe mal rasée. Avec Devah et Moggarr ils patientèrent jusqu’à la fin de la distribution. L’homme-oiseau s’avança alors, il fut bloqué par les gardes, mais s’adressa au nain directement : « Vous avez quelques minutes pour m’expliquer ce qu’il se passe ici ? » Le nain termina de prendre ses notes sur sa tablette. Il était chauve, son crâne seulement couronné de cheveux gris en bataille. Il portait une moustache imposante ainsi que de petites lunettes sur son nez proéminent. Il jeta un œil rapide à Devah et ses compagnons :
-Qu’est-ce que vous voulez savoir ?
-Comment se fait-il que des criminels distribuent de la nourriture ? » Les deux butors écailles rouges le poussèrent en grognant. L’un d’entre eux lui cracha :
-Si t’es pas content t’as qu’à dégager !
-J’essaye juste de comprendre ! » La situation semblait s’envenimer, jusqu’à ce qu’un saurusk, plus petit que les deux brutes, s’avance pour les interrompe. Il fixa son regard dans celui de Devah. Il était couvert d’écailles marrons, son visage était glabre comme le voulait la coutume de sa race, lui aussi portait des peintures de guerre rouges. Il s’adressa à l’épervier de manière calme, froide :
-Avez-vous un problème avec la façon dont nous gérons nos affaires ? » Devah répondit calmement :
-Je n’ai pas de problème, je veux juste comprendre pourquoi vous procédez ainsi ?
-Nos raisons ne vous regardent pas, monsieur. Sachez cependant que si vous souhaitez profiter de notre aide pour traverser cette épreuve difficile, il faudra vous rendre au bâtiment D.
-J’avais compris. Merci pour votre temps. » Il recula puis s’éloigna avec Pirau et Moggarr qui prit tout son temps pour se retourner, montrant ainsi qu’il ne craignait pas les gros bras. Ce dernier cracha avec une certaine discrétion à travers son heaume :
-Pourquoi s’emmerder à essayer de comprendre ? Prenons ce nain en filature puis contactons les autres quand on aura découvert la réserve.
-Le problème désormais c’est que nous risquons de voler la nourriture de ces pauvres gens, puisque ces criminels les rationnent. » Lui répondit Devah en claquant du bec.
-Et alors ? » Maugréa l’orc.
-Où est passé votre discours sur la protection des enfants ? » Demanda Pirau avec une pointe de sarcasme : « Si nous prenons leurs réserves de nourriture, combien vont souffrir de la faim ? » Moggarr grogna puis demanda :
-Qu’est-ce que vous proposez alors ?
-Interrogeons les locaux, prenons la température puis voyons si cette générosité ne cache pas quelque chose. » Ils se séparèrent décidant de se regrouper avec le reste de la troupe à l’horaire prévu. Pirau discuta avec quelques marchands d’étals, il faisait mine d’être intéressé par des produits, en demandait la contrepartie, puisque les novs n’avaient plus court sur le bazar. Dès que le thème des rations de nourriture était abordé, il en profitait pour interroger les commerçants. Rapidement il comprit que les écailles rouges n’étaient plus craints par la population, mais au contraire très appréciés. Pour la plupart d’entre eux, ils maintenaient l’ordre, aidaient les personnes en difficulté. Il y avait eu des abus au départ, mais les truands responsables avaient disparu. Jomida QUEELMIS était cependant invisible, le marché n’était fréquenté que par ses lieutenants. Il réussit à obtenir des informations sur le passé du quartier par un vieil aviaros à tête de rossignol qui surveillait un étal avec sa fille. Il lui raconta que, bien avant la crise, les écailles rouges assuraient déjà la protection des commerçants. À l’époque cela s’apparentait à du racket, mais aujourd’hui tout ceux qui avaient payé, se voyaient désormais rétroactivement privilégiés. Remarquant que l’heure du rendez-vous avec ses compagnons approchait, Pirau remercia le vieillard puis retourna à l’entrée du marché par laquelle son groupe était arrivé. À l’écart des deux méta-entis, il découvrit Issra, comme plongée dans une dépression. Elle se rua sur lui pour lui demander brusquement : « Dites-moi que vous avez quelque chose ! » Pirau sursauta, il déclara avec une certaine appréhension :
-J’ai obtenu pas mal d’informations, j’ai une bonne idée de la situation. Voler de la nourriture ne me semble pas être la bonne solution.
-Merde ! » Elle fit volte-face en croisant les bras avant de ne plus dire un mot. Elle boude ? S’interrogea Pirau. Moggarr et Devah revinrent à leur tour, l’elfe les questionna de la même manière, provoquant une inquiétude chez l’orc, l’homme-oiseau ainsi que le contrebandier. L’épervier demanda : « Qu’est-ce qui vous prend ?
-Ce crétin de mage nous a obtenu une entrevue avec QUEELMIS. » Les compagnons se jetèrent des regards sidérés avant de s’exclamer de concert :
-Pardon ?! »
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