-4- Négociation

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Dans cette rubrique nous étudierons les grandes crises ayant frappé notre galaxie par le passé.

Les méta-entis sont de véritables contradictions vivantes. Car en effet nous ne pouvons pas nous passer de leurs services, mais leur simple existence est une menace. Notre génération ne fait qu’appliquer les préceptes de la Tour en la matière. Mais il est bon de rappeler que, par le passé, ces êtres extraordinaires ont dirigé la galaxie.

Durant la Domination des Maléficieurs, chaque royaume était sous la coupe de mages, alors capables de détruire des villes entières par simple caprice. 273 années de servitude durant lesquelles la course aux artefacts a battu son plein. De nombreuses vies sacrifiées par les sorciers pour récupérer un maximum d’arcanite dans les méandres des donjons. Ils taillaient ensuite les artefacts à partir de l’arcanite. Les donjons, ces portails dans l’espace et le temps, étaient jalousement protégés par les mages. Aujourd’hui encore au contact de l’arcanite, les mages peuvent accéder aux pouvoirs de transformation des éléments en utilisant leur énergie vitale. Ou simplement consommer la puissance enfermée dans les artefacts les détruisant par la même occasion. Mais désormais leur accès aux artefacts est réglementé par la Tour. Pour en revenir à cette période, les conditions de vie étaient abominables, puisque l’arcanite avait plus de valeur qu’un individu.

Le joug des sorciers aurait pu se perpétuer indéfiniment si la libération n’était pas venue des cérèbres, les seuls êtres capables de neutraliser un mage avant qu’il n’utilise ses pouvoirs. Les télépathes sauvèrent la galaxie puis furent sacralisés par la population. Les archives concernant la période qui suivit sont floues. Il semblerait que les cérèbres aient pris le contrôle de la galaxie durant Les Dynasties des Encéphalystes. Ils avaient créé des sociétés de ruches, centralisées autour d’eux. Les habitants des neuf royaumes étaient contrôlés, comme du bétail, mais les conditions de vie étaient acceptables. Les Dynastes n’abusaient pas de leur statut, ils offraient une vie correcte au plus grand nombre. Mais les êtres intelligents ont soif de liberté alors une résistance commença à se créer. Des robots de guerre furent fabriqués pour combattre les Dynastes. Après environ 1527 ans, les Dynastes furent vaincus, les cérèbres des générations suivantes furent lobotomisés par la Tour pour devenir les surveillants des mages que nous connaissons encore aujourd’hui.

Mais comme à notre habitude nous n’avons pas appris de nos erreurs, nous avons conçu des machines toujours plus performantes, plus puissantes. Nous voulions reconstruire la galaxie, nous nous en sommes donné les moyens à l’aide de nos robots. Les Titans Robotiques d’Olliris représentaient l’apothéose de cette démarche. Des colosses mécaniques capables de creuser des océans ou d’aplatir des montagnes. Mais la programmation de ces géants était trop étendue, ils développèrent une véritable conscience de groupe. Exploités, maltraités ils finirent par se soulever. Pendant leur insurrection, la Révolte de T.R.olls, des mondes entiers furent ravagés. Le temps de créer des armes capables de les abattre, un tiers de la population galactique avait été décimé. Certaines rumeurs font état de modèles encore fonctionnels, mais dormant dans des recoins perdus de la galaxie. L’histoire s’est poursuivie avec la fondation du Haut Conseil, de la charte et de l’espace novemmiens. Désormais les machines sont programmées de façon rudimentaire, elles possèdent aussi une durée de vie limitée afin de ne pas renouveler les erreurs du passé. Impossible de dire d’où viendra la prochaine crise. Espérons simplement que nous serons en mesure de la prévenir.

Des grandes crises de notre galaxie

Professeur HIELPHOM

IRA

***

Incroyable… tout bonnement incroyable. Pirau avait du mal à digérer ce que Borae leur avait raconté. Il avait simplement demandé à des passants de lui indiquer où trouver les écailles rouges puis il était tombé sur un lieutenant du gang. Il avait longuement discuté avec l’individu, pour essayer de lui acheter des vivres, mais voyant que l’autre n’était soit pas qualifié, soit pas décidé à l’entendre, il avait sorti la recommandation du prince puis s’était présenté comme son émissaire. Le ton avait changé, après quelques précautions de la part du lieutenant, Borae avait obtenu rendez-vous pour une rencontre au sommet. « C’est probablement un piège. » Affirma Moggarr en secouant la tête sous son terrifiant couvre-chef. Devah surprit tout le monde en répondant :

-Dans quel but les écailles rouges feraient-elles cela ? Nous prendre en otage pour faire chanter le prince ? Ils doivent se douter qu’il n’a plus aucune richesse. Non, je pense que nous allons effectivement rencontrer QUEELMIS, mais nous risquons de devoir négocier des termes désavantageux pour le prince. » Issra déclara derrière son masque aux traits tranchés :

-Nous connaissons nos limites dans ce domaine, à nous de trouver un arrangement. » Devah acquiesça :

-Le rendez-vous est dans deux heures, nous avons déjà l’adresse, je propose d’y faire une reconnaissance. » Tous opinèrent, le groupe se remit en marche.

Ils quittèrent le quartier nord. À mesure qu’ils progressaient ils retrouvaient le décor de fin du monde qu’ils avaient connu jusque-là. Alors qu’ils parcouraient les rues de la ville en évitant soigneusement de se faire repérer par des patrouilles de Raxs, Pirau sentit son oreille vibrer avant d’entendre une voix synthétique lui murmurer : Appel entrant. Il prévint Yerid devant lui : « Continuez sans moi, je vous rattrape. » puis tourna à l’angle d’un bâtiment. Il marcha le temps de s’éloigner du groupe avant d’appuyer sur son oreillophone : « Oui j’écoute. » La voix de Cheryle, sa seconde, résonna dans son crâne :

-Je sais que tu n’as pas pour habitude de donner des nouvelles, mais dans une situation pareille tu pourrais nous tenir au courant. Je ne sais pas, au moins nous dire que tout va bien, que tu es vivant ?

-Désolé, les évènements se sont enchaînés rapidement. Mais j’ai de bonnes nouvelles. J’ai rencontré le prince, je me suis mis à son service. » Cheryle s’exclama paniquée :

-Quoi ?! » Pirau devina qu’elle s’imaginait déjà devoir travailler sur Taorys 4 toute sa vie. Il la rassura :

-Ce n’est que temporaire. Je suis avec un groupe de réfugiés, nous nous sommes organisés pour quitter la planète le plus tôt possible. Le prince nous accompagnera. » Sa seconde répondit encore surprise :

-Il abandonne son peuple ? » Pirau commençait à s’échauffer, il gronda :

-Laisse-moi finir bon sang ! Il va aller chercher des secours, une fois que ce sera fait puis que la situation ici se sera calmée, on recevra une récompense. Nous repartirons avec la Panse, reprendrons notre vie comme avant. » La voix de Cheryle semblait dubitative :

-Ça me semble trop beau pour être vrai. » Pirau soupira :

-Je ne dis pas qu’on va s’en sortir assurément, mais il y a du progrès. Si tout se passe bien j’aurai besoin de vous deux. » L’amusement perça dans la voix de sa seconde :

-Tu sais bien que tu peux compter sur moi. Quant à Card, il s’ennuie à mourir. Je suis sûre qu’il sera de la fête aussi.

-Je m’en doute bien. » Il repensa à ce qu’il venait de traverser puis ajouta : « Au fait pour la bouffe, vous vous en sortez ?

-C’est tendu, mais Card parvient à rationner le peu qu’il nous reste. On se couche en ayant faim, mais on tient bon.

-Si dans la soute on a quoi que ce soit d’utile pour survivre, prenez-le puis allez dans la partie nord de la ville. Vous y trouverez un marché où vous pourrez faire du troc contre de la nourriture. Organisez-vous avec les habitants.

-Okay ! Merci pour l’info, on va voir ce qu’on peut faire.

-Je vous tiens au courant, dès que les pièces se sont mises en place je vous recontacte.

-Ça marche chef ! Fin de l’appel. » Le silence revint dans son crâne il s’apprêtait à partir, quand une voix derrière lui le fit sursauter en poussant un léger cri de stupeur : « Hé bien monsieur THRIDA, on nous cache des choses. » Il bondit en arrière prêt à dégainer son arme, puis respira en se détendant un peu quand il découvrit Issra sortant de l’ombre. Il inspira, expira à fond avant de souffler un : « Vous m’avez fait une de ces peurs…

-J’y compte bien, vous parliez à qui ? » Pirau hésita, avant de décider d’être honnête avec l’elfe, de la même manière qu’avec Devah :

-Ma seconde, sur mon vaisseau dissimulé à l’abri des Raxs. » Difficile de lire l’expression de l’elfenth derrière son masque. Mais Pirau devina qu’elle devait faire une moue désapprobatrice. Son ton se fit suffisant :

-Vous comptiez en parler quand ? » Pirau se redressa :

-Je ne sais pas… Quand nous en aurions eu besoin. Pas la peine de nous précipiter ou de prendre des risques inutiles alors que nos chances sont encore minces. Mais vous pouvez compter sur mon vaisseau si nous arrivons à préparer notre départ. » L’elfe resta immobile, elle ne prononça pas un mot. Elle le dépassa laissant voir l’entrelacs des tentacules pourpres de son masque dans ses cheveux noirs, elle annonça :

-Je vais m’en remettre à vous pour l’instant, mais je n’aime pas ça. Venez, les autres ont continué sans nous. »

Borae s’exclama : « C’est tout de même incroyable l’état dans lequel se retrouve cette planète après une semaine de blocus ! » Alors qu’ils passaient à proximité d’un terrain vague transformé en décharge. Devah l’épervier prit la peine de lui répondre :

-C’est une jeune planète, elle n’était pas préparée à ce genre de crise. De plus elle n’est pas auto-suffisante, la plupart de ses ressources viennent de l’importation. Ajoutez un vent de panique, vous obtenez de maigres réserves qui disparaissent encore plus tôt que ce qu’elles auraient dû.

-Mais pourquoi les gens ont abandonné leur emploi aussi rapidement ? Le régime administre toujours la planète non ?

-À quoi bon gagner des novs s’il n’y a plus rien à acheter avec ? Autant se débrouiller autrement. » Borae acquiesça avant de déclarer :

-Ça s’est vraiment dégradé en un clin d’œil. »

Moggarr le coupa à travers son casque :

-On y est. » Ils étaient arrivés devant un vieil entrepôt, perdu au milieu de terrains vagues. Devah lâcha :

-Ce devait certainement être une zone en cours de reconversion avant la crise. » Il attrapa la sangle de son fusil dont il retira la sécurité. Un voyant s’alluma, indiquant que l’arme était prête à faire feu. Il déclara: « Je vais aller vérifier l’intérieur. Histoire de voir s’il n’y a pas des pièges. Attendez mon signal pour entrer. » Il se glissa à l’intérieur puis disparut dans les ombres. Après quelques instants Pirau demanda :

-Comment on procède si Jomida QUEELMIS vient réellement ? » Borae lui jeta un coup d’œil interrogateur :

-Que voulez-vous dire ? S’il vient, ce sera pour négocier, ce que nous ferons.

-Si nous échouons ou s’il nous menace ? » Borae pouffa à cette remarque :

-Si les choses se gâtent ce sera à vous de prendre les devants. » Pirau fronça les sourcils :

-Vous pourriez les vaporiser avec vos pouvoirs non ? » Yerid lissa ses cheveux-nageoires puis intervint avec sa contenance habituelle :

-Non. Vous savez que non, ni le docteur, ni moi-même n’utiliserons nos pouvoirs. D’une part, parce qu’il est clairement stipulé dans les lois de la Tour que face à un choix moral, les méta-entis doivent toujours préférer se sacrifier pour protéger les citoyens de l’espace novemmien, d’autre part, parce que nous n’avons aucun moyen de contacter la Tour pour leur demander l’autorisation de le faire. Autorisation qui nous serait refusée quoi qu’il en soit. » Pirau fronça les sourcils, perplexe :

-À quoi bon avoir ces pouvoirs si vous ne pouvez rien en faire.

-Nous pouvons-nous en servir. Mais dans la mesure où ils n’affectent pas la vie d’autrui. » Borae se permit de préciser :

-Oui, enfin si les personnes concernées ne sont pas consentantes. Puisque je suis médicien, je peux utiliser mes pouvoirs pour aider les autres. Mais cela exige des procédures administratives... » Il hésita sur le mot : « … épineuses. Chaque fois que je souhaite traiter un patient je dois faire une demande manuscrite à la Tour, puis compléter un formulaire spécifique. Ensuite je dois attendre leur réponse, ainsi que les éventuelles factures ou taxes appliquées à mon intervention. » Pirau ne s’était jamais intéressé aux méta-entis aussi demanda-t-il innocemment :

-Vous n’avez jamais essayé de pratiquer sans l’aide de la Tour ? » Le mage le regarda comme s’il était fou puis lui répondit :

-Pour devenir un sorcier et être traqué par l’Inquisition ? Non merci ! » Pirau allait questionner Borae sur ses propos lorsqu’ils furent interrompus par un message commun dans leurs oreillophones. La voix de Devah résonna :

-Je ne peux plus sortir, les sentinelles des écailles rouges sont là. Je suis en position pour vous couvrir en cas de besoin. Vous devriez pouvoir entrer, mais soyez prudents. » Tous se regardèrent, Borae ajusta son immense chapeau rouge puis déclara :

-Il semblerait que ce soit l’heure. » Moggarr prit les devants en grognant :

-En avant. » Le cœur de Pirau accéléra, il eut un peu de mal à respirer avant de prendre quelques secondes pour se calmer. Un bref coup d’œil lui confirma que ses compagnons n’étaient pas sereins eux non plus, hormis Yerid, comme toujours. Le bâtiment était silencieux, poussiéreux. Il n’y avait plus aucune trace d’activité, plus aucun meuble ou aucun outil. Pirau essaya de voir où Devah se cachait, mais l’architecture en poutres d’acier laissait une infinité de possibilités. De plus l’endroit n’était pas particulièrement prévu pour être lumineux, l’absence de courant n’aidait pas à y voir clair. L’épervier-humain pouvait être perché n’importe où. Pirau espérait qu’il serait en mesure de les aider si ils se retrouvaient dans une situation délicate. Ils s’arrêtèrent lorsqu’ils firent face à un saurusk massif couvert de peintures écarlates. Le mastodonte en débardeur et pantalon ne bougea pas d’un pouce. Il avait le crâne rasé ainsi que le visage épilé, comme le voulait l’usage des hommes-lézards. Il était aussi grand que Moggarr, croisant ses bras sur sa poitrine, il leur adressa un : « Le patron sera là sous peu. » L’orc imita son vis-à-vis en se plantant devant lui dans son imposante armure. Pirau manqua de s’esclaffer, deux brutes cherchant à s’intimider mutuellement, il avait l’impression de voir des animaux se disputant un territoire. Mais le garde disait vrai, peu après, Jomida fit son apparition. Il était plus petit que ses congénères, sa peau écailleuse verte, presque jaune ne portait pas les peintures de son gang. Il n’était pas très impressionnant par son physique, mais Pirau percevait sa véritable force : son intelligence. Les yeux de Jomida étaient noirs son iris jaune fendu, en un instant, il avait pris la mesure de leur groupe. Il portait un costume gris sombre, très sobre, parfaitement taillé, adapté à son corps. Sa longue queue se balançait doucement derrière lui, ses griffes étaient courtes, mais tranchantes à n’en pas douter. Il s’avança doucement vers le groupe, tendit la main à Borae : « Messire VORTAN, Jomida QUEELMIS. Je suis venu dès que j’ai pu. » Sa voix était légèrement enrouée, mais chaleureuse : « J’ai appris que vous représentiez le prince, que vous souhaitiez obtenir des vivres en son nom. Votre présence confirme que j’ai reçu les bonnes informations ? » Le mage d’abord surpris par l’approche directe du chef de gang, se détendit puis serra la main écailleuse :

-C’est tout à fait exact.

-Dans ce cas soyons brefs, j’ai une contrepartie à proposer au prince, mais je doute que vous puissiez me dire s’il acceptera. Du coup je vous propose de lui fournir mes coordonnées pour que je parlemente directement avec lui.

-Exprimez votre condition, le prince Rothan nous a autorisé une certaine marge de manœuvre.

-Je souhaite lui proposer un partenariat. » Borae grinça des dents avant de répondre :

-Le prince a été très clair, il ne s’associera pas à vous ou ne vous donnera pas son pouvoir.

-Je n’en demande pas tant, le partenariat que je lui propose ne concerne pas mes activités actuelles. » Il fourra sa main dans la poche intérieure de sa veste, faisant sursauter Issra et Moggarr qui reculèrent d’un pas. En voyant leur réaction le saurusk suspendit son mouvement, les fixa droit dans les yeux. Son regard était fascinant, presque envoûtant, il transperçait l’esprit des êtres sur lesquels il se posait. Lorsque l’orc et l’elfe semblèrent plus sereins il reprit son mouvement très lentement. Il extirpa un feuillet numérique de sa veste, le tendit à Borae avec des gestes ralentis : « Prenez ceci, remettez-le au prince de ma part. Il est important qu’il me contacte. » Il planta ses yeux jaunes dans ceux de Borae pour appuyer sa dernière phrase : « Je veux l’aider. » Ce n’était pas une menace, il y avait autre chose derrière mais difficile de savoir ce que c’était. Jomida conclut : « Je compte sur vous, j’espère vous revoir prochainement. » Il commença à s’éloigner avec ses gardes, Pirau s’apprêtait à faire de même quand une masse de fourrure passa doucement près de lui. Son champ de vision fut obstrué par ces muscles saillants ainsi que cette crinière noire-grise. La démarche un peu lourde de la créature ne faisait cependant aucun bruit malgré sa masse. Un instant plus tôt, le Gorours était caché derrière lui, il se montrait pour rejoindre son maître : Pirau et ses camarades n’avaient jamais senti sa présence. Par les étoiles, ce truc aurait pu me tailler en pièce avant même que je m’en rende compte… Il eut un accès de panique qu’il refoula, mais Borae ne put s’empêcher de dire en se crispant : « Bon sang j’avais oublié ce truc... » Ils restèrent figés le temps que la créature s’éloigne, après quoi ils se mirent tous à respirer lourdement. Pirau ne s’était pas rendu compte qu’il avait retenu son souffle durant tout ce temps. Sans un mot le groupe partit dans la direction opposée puis quitta l’entrepôt.

Devah les retrouva quelques rues plus loin : « Désolé, je n’ai pas vu le Gorours vous approcher sinon je vous aurais prévenus. » Personne dans le groupe ne voulut parler de cette chose, Moggarr prononça seulement :

-Une chance que cette créature soit contrôlée à distance. » Borae geignit :

-Et que les négociations se soient bien déroulées ! » Ils décidèrent de rejoindre le prince, mais pas par le chemin le plus court. Devah voulait s’assurer de ne pas être suivi par les écailles rouges. Ils firent donc des crochets, sortant des tunnels pour y retourner quelques blocs plus loin. Après une demi-heure de ce manège Issra qui était restée en arrière revint avec eux confirmer que tout allait bien. Ils poursuivirent leur chemin manquant de tomber nez à nez avec une patrouille de Raxs. Les militaires étaient accompagnés de deux exo-armures lourdes, des chars anthropomorphes, pilotés par un seul homme. Ils suivaient les routes, inspectaient les toits ou les ruelles. L’un d’entre eux utilisait un amplificateur vocal pour intimer à la population de rester chez elle. Le groupe attendit que les mercenaires soient assez loin pour poursuivre son chemin.

Ils descendirent à nouveau dans les entrailles de la ville, évitant les pièges des rebelles tout en respectant le protocole de sécurité mis en place.

Quand enfin ils arrivèrent dans le quartier général du prince, ils demandèrent une entrevue. Ils durent patienter un peu avant que ce dernier ne les rejoigne dans la salle de briefing. Il avait des cernes sous les yeux, ses cheveux n’étaient pas coiffés, sa tenue froissée. Il s’installa sur une chaise, puis invita le groupe à prendre place. Il demanda inquiet : « Vous avez pu revenir sans encombre ? » Pirau fronça les sourcils :

-Oui, pourquoi cette question ? » L’adolescent soupira lourdement avant de reprendre :

-Mon oncle a déclaré l’état d’urgence. Les patrouilles des Raxs sont renforcées, les habitants doivent justifier leurs moindres déplacements ; les contrevenants pourront être abattus à vue. » Le choc de la nouvelle secoua le groupe, mais ils n’eurent pas le temps de réagir, le prince enchaîna : « Je ne comprends pas, mon oncle n’était pas comme ça dans ma jeunesse… Il savait qu’il n’était pas destiné au pouvoir, il était heureux d’aider mon père à gouverner. Qu’est-ce qui a pu le faire changer à ce point ?… » À travers son masque Issra lâcha, non sans mépris :

-L’opportunité était trop belle pour la laisser passer. » Le prince posa les coudes sur la table, attrapa sa tête dans ses mains puis soupira :

-Non, je suis persuadé qu’il y a autre chose. » Face à la détresse de Rothan, Pirau intervint :

-Votre majesté, je conçois votre désarroi. » Il lança un regard noir à Issra. Lui signifiant qu’il fallait qu’elle ménage le jeune souverain : « Comprendre les raisons des actes du régent ne change rien aux faits. Il doit être destitué pour que la paix revienne sur votre monde. » Le prince avait les larmes aux yeux, il inspira longuement avant de demander :

-Faites-moi un rapport de votre entrevue avec Jomida. » Devah donna les détails de leur rencontre avec le chef de gang puis conclut :

-Mon avis est qu’il n’aurait pas demandé à négocier avec vous directement si il n’avait pas quelque chose à nous cacher. Il nous manque des informations pour le comprendre, puis marchander avec lui. » Le groupe sembla d’accord sur ce point. Le prince resta silencieux un long moment. Il était perdu dans une profonde réflexion puis déclara :

-Il n’y a qu’une seule façon de le savoir. » Il attrapa les coordonnées de Jomida, les composa sur la table de briefing. Sur un mur une fenêtre numérique afficha l’indication : Appel en cours… Borae se sentit mal à l’aise, il demanda :

-Vous souhaitez que nous vous laissions ? » Le prince lui répondit sur un ton impérieux :

-Restez mais n’intervenez pas, à la fin de cette conversation j’aurai besoin de votre avis. » La connexion finit par s’établir après quelques secondes. Ils n’entendirent que la voix enrouée, calme du vieux lézard qui résonna dans la pièce : « Jomida QUEELMIS, à qui ai-je l’honneur ?

-Ici le prince Rothan DANENTHAR, j’ai été informé de votre souhait de négocier directement avec moi. » La réponse du gangster fut surprise, presque enjouée :

-Votre altesse ! Excusez-moi un instant. » La voix diminua, comme feutrée, il sembla s’adresser à quelqu’un d’autre : « Dehors, sortez, qu’on ne me dérange pas. » Un silence de quelques secondes puis : « Nous pouvons parler tranquillement.

-Mes hommes m’ont informé que vous souhaitiez mon concours pour une affaire.

-C’est exact votre majesté. Puis-je vous parler franchement ?

-Je suis toute ouïe. » Jomida prit une longue inspiration :

-Je vais devoir vous parler un peu de moi, savez-vous depuis combien de temps j’exerce ma… profession ? » Il était net qu’il cracha ce dernier mot.

-Non, je n’en ai aucune idée.

-Cela fait trente-cinq ans… J’en ai quarante-deux à présent. Je n’ai jamais connu que cette vie, jusqu’à la semaine dernière je m’en contentais encore. Vos hommes vous ont-ils expliqué la situation du quartier nord ?

-Oui, je ne suis cependant pas certain de pouvoir vous remercier pour les services rendus à la population.

-Inutile, je l’ai fait dans mon intérêt. » Le prince sembla confus :

-Que voulez-vous dire par là ? » L’homme-lézard eut un profond soupir.

-Je suis las monseigneur. Las de devoir vivre dans la crainte d’être trahi à chaque instant. Las de devoir user de violence pour interagir avec mes concitoyens. Et enfin las d’avoir manqué tant d’opportunités de vivre une vie paisible, calme. » Il inspira à nouveau : « Je veux me ranger, votre altesse. » La surprise éclaira le visage de Rothan. Mais Jomida poursuivit : « Actuellement j’aide mon prochain afin que mes méfaits me soient pardonnés. J’espère y parvenir d’ici la fin de cette crise. Je veux aider à rebâtir ce monde qui m’est cher. Voici donc ma demande : Je vais me lancer dans une entreprise d’import/export, pour ce faire, j’aimerais avoir votre appui financier et politique. » Le prince ne répondit pas. Jomida insista : « Ce ne seront que des affaires légitimes, dans un premier temps il s’agira de faire venir les ressources de première nécessité pour les sinistrés de ce conflit. » Encore un silence, cette fois le prince demanda :

-Pourquoi ne pas avoir proposé cet accord à mon oncle ?

-Vous plaisantez ? Déjà, il n’est pas le souverain légitime de Taorys 4. Ensuite il asservit la population, la saigne sans le moindre scrupule. Enfin, ses Raxs sont déjà venus plusieurs fois au marché pour y semer la pagaille, mes hommes ont été blessés en protégeant les civils. Sans vouloir vous offenser votre altesse, il est instable, je ne veux pas m’associer à lui. » Silence de nouveau, le prince annonça :

-Donnez-moi un instant. » Il appuya sur la table numérique pour couper le son de la transmission. Jomida n’entendait plus ce qui se disait dans la salle de réunion. Le souverain s’éloigna en soupirant. Il réfléchissait à toute allure, ayant de grandes difficultés à ordonner ses pensées. Issra se permit d’intervenir : « Difficile de lui faire confiance. » Moggarr grogna :

-C’est clairement un piège. Il vous a dit, tout ce que vous vouliez entendre. » Devah clama :

-Nous avons besoin de lui ! Impossible de partir sans provisions, or il est le seul à en avoir ! Nous n’avons pas le choix... » Le ton commençait à monter, personne ne s’écoutait. Pirau s’approcha du prince pour lui suggérer :

-Votre altesse, il n’y a qu’un seul moyen de vous assurer de sa franchise : rencontrez-le-vous-même. » Le prince parut surpris, Pirau continua : « Dans toutes mes entreprises ou échanges commerciaux, je ne suis jamais parvenu à un accord satisfaisant sans rencontrer mon interlocuteur. Prenez toutes les précautions pour y parvenir, mais faites face à Jomida pour vous assurer de sa bonne foi. » Le prince s’apaisa puis sourit à Pirau. Il haussa la voix pour demander le calme dans la salle de briefing avant de relancer la communication : « Monsieur QUEELMIS ? » La voix enrouée du vieux lézard résonna à nouveau dans la pièce :

-Je suis là votre altesse.

-Je suis intéressé par votre proposition. Cependant comprenez qu’au vu de votre passé criminel, je ne peux pas vous croire sur parole. J’attends de vous un geste : amenez-moi les provisions dont j’ai besoin. Scellons cet accord ensemble, alors je serai prêt à vous fournir la seconde chance que vous demandez. » La respiration de Jomida s’allègea :

Merci votre majesté ! Je vais commencer les préparatifs ! »

-Contactez-moi lorsque vous serez disposé. Je vous communiquerai le lieu et l’heure de notre rencontre peu de temps avant. » Jomida semblait extatique :

-Bien entendu ! Je viendrai ! Merci encore mon prince, je ne vous décevrai pas !

-Fin de la communication. » La transmission se coupa. Pirau approuva du regard la décision du prince. Ce dernier déclara : « Je vais demander à Erothe d’assurer la sécurité de cette rencontre. J’aimerais que vous m’accompagniez. » Il fit le tour des visages et masques autour de la table : « Déjà parce que vous avez rencontré Jomida QUEELMIS, vous pourrez me dire s’il s’agit bien de lui. Ensuite parce que vous avez l’air de savoir vous défendre. Enfin, si les négociations venaient à échouer, je vous veux à mes côtés. » Il y eut un petit moment de flottement mais tous acceptèrent. Le prince continua : « Je vous remercie. Reposez-vous en attendant mon signal. » Il quitta la pièce, laissant le groupe seul. Après son départ la plupart se manifestèrent pour désapprouver la décision du prince de rencontrer Jomida, en dehors de Yerid qui ne disait rien. Pirau demanda à ses camarades d’infortune : « QUEELMIS est peut-être un truand, mais si vous aviez le moyen d’obtenir une seconde chance, qu’est-ce que vous feriez à sa place ? » Personne ne trouva quoi répondre, Pirau remarqua que tous tombèrent dans une réflexion intense, il enchaîna : « Je ne sais pas si le saurusk est sincère, le prince l’a mis à l’épreuve, dans quelques heures nous aurons la réponse. Prenons le temps de nous poser en attendant. » Les membres du groupe hochèrent la tête puis sortirent en direction de leur lit de fortune ou de l’intendance pour demander un ticket de rationnement d’eau, avant d’aller se doucher.

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