-5- Trahison

46 minutes de lecture

Pour cette nouvelle rubrique, nous allons aborder le sujet de la Coalition. Il faut savoir que cette organisation n’a vu le jour qu’au début de la Primauté Novemmienne, il y a près de 3800 ans.

La guerre. La guerre est aussi vieille que l’histoire, elle semble ne jamais vouloir cesser entre les races pensantes qui peuplent la galaxie. Certains conflits ont même duré des siècles entiers sur plusieurs systèmes planétaires à la fois. Il est arrivé que des espèces à l’intelligence primitive finissent par être complètement rayées de la carte. Afin d’éviter que ces catastrophes ne se reproduisent, les dirigeants du haut conseil ont décidé d’interdire la constitution d’armées. Cependant il n’était pas possible de totalement désarmer l’ensemble des royaumes. Car bien que les neuf conseillers n’aient pas été autorisés à s’engager dans des conflits, certains administrateurs de planètes mineures, eux le pouvaient.

Il fallait donc permettre la constitution d’armées qui ne soient pas affiliées à un royaume. C’est cette simple idée qui a fait naître la Coalition. Des armées de mercenaires prêts à combattre pour n’importe qui.

Voici comment fonctionne la Coalition. Quand un client a besoin d’une force armée, il émet une demande au bureau administratif. Deux cas de figures se présentent :

-Soit une compagnie correspond aux besoins du client, elle est alors détachée immédiatement.

-Soit une compagnie est mobilisée par la Coalition pour correspondre aux besoins du client.

Il est aussi possible qu’un client souhaite engager une armée précise, il peut alors le faire en négociant directement avec le commandement de la compagnie en question. Une fois les termes de la mission définis, le client passe un accord avec l’administration de la Coalition.

Toute embauche de compagnie doit passer par le bureau central. Sans cela l’accord est désigné comme illégal. Interviennent alors les seuls soldats embauchés à plein temps par la Coalition : les Veilleurs. Ils sont autorisés à employer n’importe quel moyen pour résoudre un litige entre une armée et un client, quel que soit le contrevenant.

Les soldats en tant qu’individus n’obtiennent un poste que s’ils sont compétents, volontaires. Aucun guerrier ne peut se permettre d’être oisif car les commandants de compagnies ne veulent que les meilleurs éléments parmi leurs régiments.

La Coalition porte aussi la charge du bureau des primes qui recense les chasseurs. Mais nous y reviendrons dans une autre rubrique, car il nous faudra alors aborder le sujet de la justice novemmienne.

Dernier point important, une armée de la Coalition ne peut pas dépasser 100000 unités. Ceci afin d’éviter qu’un royaume ne puisse conquérir l’ensemble de la galaxie.

Car bien que les neuf conseillers ne puissent pas employer d’armées de la Coalition, il n’en va pas de même de leurs proches ou de leurs partisans.

Je conclurai cet article en mentionnant tout de même que la Coalition est une administration autonome financièrement. Il est difficile de savoir si elle est lucrative, mais une chose est certaine, elle est auto-suffisante.

Des conflits et de la Coalition

Professeur HIELPHOM

IRA

***

Il avait mal au crâne, des difficultés à respirer. Son corps fut parcouru d’un frisson. Il voulut s’allonger, mais il était immobilisé par des attaches. L’étau sur son crâne se resserrait à chaque seconde, dès qu’il se sentait sombrer dans la douceur de l’inconscience, une vive douleur le maintenait éveillé. Les ténèbres l’encerclaient, il était nu au milieu d’un cercle de lumière. Il grelottait, sentait sa bave mêlée à son sang chaud, en train de couler de sa bouche engourdie. Il ferma les yeux en glissant vers le sommeil. Un nouveau coup le fit sursauter de douleur. Quelqu’un derrière lui cracha : « T’endors pas ! » Il entendit une porte métallique s’ouvrir puis se refermer. Une voix caverneuse demanda : « Qu’est-ce qu’il a dit ? » Une voix plus fluette répondit :

-Il a avoué. Il est au courant. » Un long soupir, la voix caverneuse reprit : « Impossible de s’en débarrasser sans que ça n’éveille les soupçons. Va falloir trouver autre chose. » Des bruits de pas, on lui tira violemment les cheveux pour lui redresser la tête. Il fit face à son interlocuteur. Un humain à la peau pâle, aux yeux malades. Son visage n’inspirait que dégoût et mépris : « Pirau THRIDA, si je revois ta sale gueule ici, tu peux être certain que je mettrai mes menaces à exécution, alors fous le camp puis ne reviens jamais. Si j’apprends que tu t’es approché de ce système tu peux être certain qu’ils payeront pour toi ! » Le coup qu’il reçut au visage lui provoqua une vive douleur dans tout le corps, il tomba. Incapable de se rattraper, sa tête heurta le sol avec violence. Une lumière vive aveugla ses yeux, puis il perdit connaissance.

Pirau se réveilla haletant. Il lui fallut quelques secondes pour se souvenir qu’il était au quartier général du prince, s’apaisant alors. Foutus cauchemars… je pensais en être débarrassé. Il sursauta lorsqu’il s’aperçut qu’Issra était penchée sur lui à côté de son lit. Elle l’observait sans dire un mot. Le contrebandier se demanda depuis combien de temps elle était là. Avait-il dit quoi que ce soit de compromettant dans son sommeil ? Elle se décida à lui parler sur un ton monocorde : « Nous partons dans moins d’une heure. » Il la détailla pour deviner si elle l’avait percé à jour. Mais elle ne bougea pas d’un pouce. Il répondit avec le peu d’assurance qu’il avait :

-J’arrive. » Elle hocha la tête puis s’éloigna. Il avait dormi en T-shirt et caleçon, il commença à enfiler ses vêtements encore sales des jours passés sur Taorys 4. Il eut une mine dégoûtée en sentant les odeurs d’égouts qui imprégnaient le tissu. Il n’arrivait pas à oublier sa terreur nocturne tandis qu’il effectuait ces gestes machinalement. Il dut faire un effort de concentration pour penser à autre chose. La mission, les négociations avec Jomida, son équipage, voilà des sujets qui lui remirent les idées en place. Quand il se sentit prêt, il quitta son lit de fortune, puis se dirigea vers la cantine.

Il trouva ses compagnons de malchance au mess. Il prit de quoi se remplir l’estomac puis s’installa avec eux. Borae avait l’air mal réveillé, comme toujours le matin, il demanda à Pirau : « Bien dormi ?

-Ça peut aller. Et vous ? » Il se frappa intérieurement. Il avait engagé la conversation avec Borae et n’allait plus pouvoir le stopper.

-Ça va aussi. Le réseau extranet me manque, sans les mises à jour les émissions sur l’holo-écran sont toutes les mêmes. Enfin j’ai rempli un tas de rapports en retard pour la Tour, je n’ai pas vraiment eu le temps de m’ennuyer. » Il aurait préféré laisser Borae parler à quelqu’un d’autre, mais le mage venait de mentionner ses activités à la Tour, Pirau était curieux d’en savoir un peu plus sur ce sujet qu’il connaissait mal. Il demanda :

-Pourquoi remplir des rapports qui ne peuvent pas être transmis ? » Yerid, le cérèbre coiffa ses cheveux nageoires avant de répondre :

-Pour montrer que nous restons fidèles aux lois de la Tour messire THRIDA.

-Je ne suis pas un Sire l’ami. Donc vous préparez le terrain. Au cas où l’Inquisition vous déclarerait sorcier puis vous tomberait dessus ? » Il avait lancé cette supposition en se fondant sur ce qu’il avait appris la veille de la bouche de Borae. Yerid hocha la tête :

-C’est exact. S’ils venaient à nous arrêter, nous nous rendrions afin de justifier notre situation en présentant les pièces nécessaires. » Borae soupira en mâchouillant un bâtonnet de caféine :

-Et en priant pour qu’ils ne nous abattent pas comme des animaux. » Yerid approuva :

-Ce serait un véritable gâchis qu’à cause de ce malentendu l’Inquisition décide de mettre fin à nos vies. » Ils mangèrent quelques secondes en silence, puis la conversation changea de sujet, les autres y furent intégrés. Pirau avala les rations insipides. Malgré le peu de goût, elles lui remplissaient l’estomac. Par contre il y avait de l’eau chaude avec des bâtonnets de caféine à infuser comme celui de Borae. Il en mit dans une tasse puis sirota le liquide légèrement trouble avec plaisir. La discussion tournait à présent autour de leur situation. Le mage rajusta ses lunettes, à croire qu’il ne les enlevait jamais, il demanda : « Vous pensez que QUEELMIS va tenir parole ? Livrer les rations ? » Moggarr cracha :

-Aucune chance. » Il ne portait pas son armure mais une combinaison simple, il avait cependant ses trophées macabres avec lui : « Il va chercher à nous doubler. Il faudra se battre pour obtenir les rations. » Issra termina sa bouchée avant d’ajouter :

-Pour une fois je suis de l’avis de Moggarr, c’est un criminel qui possède l’ascendant sur nous, il n’a aucune raison d’honorer sa parole. » Devah lissa les plumes de son crâne puis demanda :

-Dans ce cas pourquoi prendre la peine de rencontrer le prince Rothan ? » Pirau se permit de répondre :

-Pas dit qu’il vienne en personne… » Il y eut un long silence puis le contrebandier ajouta : « Mais s’il désire réellement se repentir, il n’a pas grand intérêt à trahir le prince. » L’homme-poisson cligna de ses grands yeux noirs en disant de son ton monocorde :

-Hormis en le vendant à son oncle afin d’obtenir cette seconde chance qu’il désire tant. » Un silence de mort s’installa dans le groupe, le tableau s’obscurcissait à mesure qu’ils y songeaient. Finalement Borae marmonna :

-Espérons que vous vous trompez... »

Erothe portait une armure de combat sale et usagée, couleur grise et or, comme le blason du prince. Elle guidait la troupe accompagnant le souverain en exil, constituée d’une petite escouade de gardes royaux en plus de l’équipe des compagnons d’infortune. Après de longues minutes de marche ils arrivèrent dans un espace dégagé, un croisement entre trois tunnels. Des passerelles métalliques surplombaient les passages bétonnés. L’orc en charge de la protection du prince donna des instructions sèches : « Je veux un homme à chaque entrée, si quelqu’un ou quelque chose approche je veux en être informée sur le champ ! » Devah fut installé en hauteur. Avec son fusil il couvrait la totalité de la zone. Pirau était en retrait sur une rambarde lui aussi. Quand Erothe lui avait demandé s’il pouvait se battre et dans quelle mesure, il était resté évasif en disant qu’il préférait éviter mais qu’au besoin il valait mieux qu’il soit en retrait. Issra et Moggarr penchaient pour le combat rapproché, ils étaient en bas à proximité du prince et d’Erothe. Borae et Yerid avaient stipulé une fois de plus qu’ils n’utiliseraient pas leurs pouvoirs en cas de problème. Ils étaient en bas, également en retrait. Pirau s’ennuyait, il détailla le hall. Il était content que la chef de la sécurité du prince ait choisi cet endroit. Les tunnels de maintenance n’étaient pas aussi nauséabonds que ceux d’évacuation. Poussiéreux, ça oui, mais pas souillés. L’installation surprenait Pirau, tout était très bien conçu, il devait reconnaître que les orkhals savaient creuser des galeries. Il voyait une station de régulation d’eau potable, un terminal du réseau électrique et probablement une salle de contrôle du réseau internet de la planète. Il fut surpris d’entendre la voix d’Erothe dans son oreillophone : « Les voilà, tous en position. » Pirau se recula dans une zone d’ombre d’où il put constater que Jomida QUEELMIS arrivait par le tunnel en face du prince. Il avait avec lui un homme lézard massif qui tirait un plateau anti-gravité sur lequel se trouvait une montagne de boîtes emballées, solidement attachées. L’avantage d’un tel appareillage, c’est que la brute seule ne peinait absolument pas à transporter un poids peut être dix fois supérieur au sien. Le vieux lézard ouvrit grand les bras en clamant de sa voix enrouée et chaleureuse : « Votre altesse ! J’ai fait aussi vite que possible ! J’espère ne pas vous avoir trop fait attendre.

-Monsieur QUEELMIS, n’ayez pas d’inquiétude. Je suis content de pouvoir vous rencontrer.

-Moi de même. Je vous laisse inspecter le colis. Je gage que tout sera à votre convenance. Voici le manifeste. » Il tendit un feuillet numérique au prince. Erothe l’attrapa doucement puis le présenta à un robot qui le téléchargea. L’automate était un petit modèle flottant, il n’était même pas équipé de bras, il n’avait pour seule fonction que le traitement de données. Il s’approcha du colis, le passa au crible avec son scanner puis déclara d’une voix synthétique : « Analyse terminée. Erreur dans la correspondance. Cette unité peut-elle faire autre chose pour vous ? » Erothe vérifia le rapport de la petite machine puis déclara :

-Il y a un problème. » La tension monta d’un cran. Tout le monde se crispa, sauf Jomida qui sourit. Erothe ajouta : « Il y a plus de marchandises que prévu. » L’ensemble des protagonistes restaient figés.

-Aaahhh... » Soupira Jomida : « Voilà pourquoi j’aime traiter avec des professionnels. Bien vu madame, j’ai pu ajouter quelques rations supplémentaires, au cas où. Une preuve de ma bonne volonté ainsi que de mon souhait d’instaurer une relation durable entre nous. » Les soldats présents respirèrent un peu. Le prince hocha la tête :

-Je vous en remercie QUEELMIS. Il va nous falloir discuter de votre paiement.

-Si vous avez un peu de temps à m’accorder, j’ai avec moi une projection de ce que j’aimerais mettre en place. » Il sortit délicatement le pavé de sa veste puis le tendit : « Je ne vais pas m’approcher de vous votre altesse, je sens que vos hommes sont encore trop tendus. » Erothe alla à sa rencontre, attrapa l’outil de rédaction puis le vérifia, avant de le transmettre au prince tandis que Jomida annonçait : « Je compte fonder ma société en n’utilisant que les fonds que vous voudrez bien m’allouer ou en faisant des emprunts. J’ai aussi l’espoir d’avoir un peu d’aide de la Transgalactica, puisque dans un premier temps je vais principalement participer à l’effort de reconstruction. Aucun nov de mes précédentes activités ne sera utilisé pour ce projet. Je vous en fais la promesse. À des fins de garantie je vous fournirai chaque mois un rapport comptable détaillé. » Le prince lisait rapidement les données, il souleva une question :

-Que vont devenir les écailles rouges ? » Jomida soupira :

-J’ai déjà convaincu une partie de mes hommes du bien-fondé de ma démarche. Ils se partageront les fonds du gang puis quitteront la planète. La plupart n’ont aucun espoir de trouver du travail ici, ils ne veulent pas prendre la tête du groupe à ma place. Pour les autres, je travaille à leur faire prendre conscience des opportunités que présente cette situation. Mais tous ne sont pas encore convaincus. » Pirau n’eut pas le temps de prévenir qui que ce soit. La brute derrière Jomida venait de sortir un pistolet de son étui avant de le braquer sur le crâne écailleux du vieux saurusk. Il clama d’une voix rauque :

-Et t’es encore loin d’y être, boss ! T’as vraiment cru qu’on allait te laisser démanteler tout ce qu’on avait créé ?! Tu sais combien d’entre nous sont morts pour le gang ?!

-Asho, qu’est-ce que tu fais ? » Demanda Jomida à son homme de main sur un ton crispé. La sécurité du prince dégaina elle aussi ses armes. Erothe aboya un :

-Ne tirez pas ! Mettez sa majesté en sécurité ! » Mais l’attention était tant focalisée sur le drame en cours que lorsqu’ils se rendirent compte que les Raxs arrivaient par l’ensemble des tunnels en les encerclant, il était trop tard. Des dizaines de canons de fusils d’assaut pointaient sur les rebelles ainsi que le prince. Une voix étouffée par un casque clama : « Ici la section 37-I des Rangers Ax, vous êtes en état d’arrestation sur ordre du régent DANENTHAR. Déposez vos armes immédiatement ! Ou vous serez abattus ! Ceci est notre première et dernière sommation ! » Le temps se figea dans le hall, personne ne bougeait attendant la réaction des autres. La brute de Jomida se mit à ricaner dans sa direction, son pistolet toujours posé sur le crâne du vieux saurusk : « Tu pensais ne trouver aucun soutien auprès du régime ? Vieux fou, il faut toujours s’allier au plus fort ! C’est toi qui me l’as enseigné. » Le chef du gang ne bougeait pas d’un pouce, il n’était pas paralysé par la peur, comme si ce genre de chose lui était familier. Le vieux lézard demanda avec dédain :

-Tu les as contactés ? Ils vont te mettre dans le même sac que nous, crétin... » Asho était crispé, il serrait les dents de rage :

-Je rends la justice. Tu ne peux pas dissoudre les écailles rouges comme ça. La décision ne te revient pas !

-Mais qui va continuer à ma place ? Toi ?

-Pourquoi pas ! » Jomida poussa un soupir de désespoir avant de cracher :

-Tu es trop bête pour ça, Asho, tu me connais depuis presque dix ans, malgré ça tu n’as toujours pas retenu la leçon.

-Il semblerait pourtant que... » Sa phrase mourut dans un épouvantable son de chair et d’os broyés. Le gorours de Jomida venait de tomber du plafond de la pièce en écrasant Asho. Il était passé par un tuyau débouchant à la verticale, que personne n’avait pensé à surveiller. Il y eut une seconde de calme avant que le chaos ne se déclenche. Jomida se rua sur le prince, son gorours le suivant pour le protéger. Il cria : « À couvert ! ». Les Raxs armèrent leur fusil d’assaut. Erothe et les rebelles se jetèrent au sol. Puis il n’y eut que le son des rafales. Pirau dut pousser un cri féroce pour se donner suffisamment de courage et commencer à bouger. Il n’avait pas été repéré, aussi eut-il le temps d’attraper la poignée au niveau de ses hanches, dissimulée par sa cape. En l’agrippant, il la ramena devant lui puis il termina son geste avec le bras tendu, déployant ainsi son arme : sa Plume comme il l’appelait. Surnom dont elle avait hérité durant la formation de Pirau. Sobriquet choisi pour être aux antipodes de ses caractéristiques. Car la Plume était une mitrailleuse lourde normalement utilisée sur trépied ou véhicule, elle n’avait donc rien de léger ou discret, contrairement à ce que son nom indiquait. Pirau se servit de son autre main pour en attraper l’interrupteur de tir. Ses jambières d’exosquelette lui permettant de la manipuler sans tomber sous le coup du recul, il enclencha la réserve à munitions faisant pleuvoir les balles sur la troupe de Raxs proche de lui. Le déluge de projectiles, deux mille coups par minute, tailla en pièce les pauvres soldats équipés d’armures moyennes. Il dut s’interrompre pour se jeter au sol quand la riposte le frappa, il poussa une plainte de douleur en s’écrasant au sol sous le poids de son attirail. Des volées de tirs passèrent au-dessus de lui. Il entendit une détonation violente puis la voix de Devah dans son oreillophone : « Je te couvre Pirau, bouge de là ! » Il se leva avec difficulté, courut tête baissée, il ne portait qu’une armure moyenne, il risquait d’être blessé s’il était touché. Il aperçut du coin de l’œil une escouade de Rax se mettre en position de tir vers lui. Ils firent volte-face lorsque Moggarr surgit derrière eux en hurlant, la hache au poing dans sa terrible armure lourde. D’un revers il trancha en deux le premier Rax à sa portée, aveuglant ses camarades proches avec les viscères et l’hémoglobine de sa pauvre victime. Les autres reculèrent, se tournèrent vers l’orc. L’un d’eux tomba à genoux après avoir été poignardé par Issra, arrivée elle aussi par surprise à l’opposé de Moggarr. Les soldats n’avaient aucune chance, leurs fusils d’assaut les handicapaient dans un combat rapproché, ils furent massacrés. Moggarr ne bronchait pas sous les tirs qui ne faisaient qu’érafler son armure tandis que l’agilité d’Issra lui permettait d’éviter d’être pointée par un canon ainsi que d’abattre les tireurs avant qu’ils n’aient le temps d’ajuster leur visée. De plus, Devah les couvrait en éliminant les plus dangereux des Raxs, ceux qui avaient une chance d’atteindre leurs cibles. Pirau sursauta quand un soldat arriva sur sa droite en menaçant de faire feu. Mais un drone volant surgit en trombe, il aveugla le fantassin. Puis l’automate fit feu d’une arme de petit calibre, poussant l’assaillant de Pirau à se protéger une seconde. C’était juste le temps dont il avait besoin pour faire vrombir sa Plume, la rafale projeta le soldat en arrière qui perdit un bras en recevant la salve de plein fouet dans l’épaule. Le pauvre bougre mourut sur le coup. Les Raxs lâchèrent des grenades fumigènes en criant : « On se replie, contactez le QG, envoyez des renforts ! » Le hall fut rapidement rempli d’un épais gaz aveuglant, forçant les rebelles à se regrouper à l’opposé, par leur point d’arrivée dans la zone. Une fois qu’ils purent respirer, ils firent un appel rapide, mais il manquait des membres de la troupe. Erothe paniqua : « Où est Rothan ?! » Cria-t-elle par-dessus le vacarme. Sa détresse fut brève, Jomida arriva avec son gorours. L’animal portait l’adolescent et avait protégé le souverain comme en attestaient les blessures qu’il portait. La garde royale se rua vers eux en demandant : « Tout va bien ?! » Le vieux lézard pensant qu’on s’adressait à lui répondit :

-Je n’ai rien, ma bête en a vu d’autres, elle survivra. » L’orc lui lança un regard assassin en récupérant le prince, en essayant de l’aider à se tenir debout, elle demanda avec crainte :

-Votre majesté, est-ce que vous allez bien ? » Rothan acquiesça en toussant, il tentait de retrouver son souffle. Erothe hurla de colère sur Jomida : « Qu’est-ce que c’était que ce bordel ?! Vous avez essayé de nous faire tuer ! » Le vieux lézard sembla blessé par l’accusation, il couina avec détresse :

-Votre altesse, je vous supplie de croire que je n’y suis pour rien ! Si j’avais su qu’Asho choisirait de me trahir je ne l’aurais jamais fait venir à cette rencontre ! » L’adolescent respirait avec difficulté, les yeux rougis par les gaz il répondit d’une voix rauque :

-Je vous crois, mais nous avons plus urgent, y-a-t-il des blessés ?! » Un soldat rapporta :

-Trois votre altesse, on a dû laisser un mort derrière nous.

-Il faut trouver de quoi les soigner et il faut sécuriser les rations. » Erothe s’adressa à lui :

-Votre altesse. Nous devons évacuer le QG, les Raxs vont descendre dans les égouts pour en fouiller chaque recoin, nous devons déménager. » Le prince réalisa la précarité de leur situation, il sembla terrifié. Il chercha une solution à toute allure, mais Jomida s’exclama :

-Venez chez moi ! Venez dans le quartier Nord, il y a des tas d’appartements qui sont vides dans le bâtiment E. Nous avons encore l’électricité et l’eau, j’ai aussi une réserve de matériel médical. » Tous semblèrent dubitatifs, le vieux lézard reprit de sa voix enrouée : « Votre altesse, si j’avais réellement cherché à vous éliminer, je m’y serais pris bien autrement, je n’aurais pas eu besoin d’amener les provisions. Si vous ne parvenez pas à me faire confiance, tuez-moi. » Il écarta les bras dans un geste théâtral, son gorours s’éloigna dans le tunnel comme pour le laisser vulnérable : « Je ne peux plus vivre comme ça. » Sa voix chevrota, des larmes apparurent au coin de ses yeux : « Je ne supporte plus toute cette violence, toute cette paranoïa ! Je veux en finir avec cette existence de méfiance ! D’une façon ou d’une autre : je vous en prie aidez-moi ! » Tous attendirent la décision du prince. Ce dernier soupira :

-Ne me faites pas regretter ma décision : conduisez-nous en lieu sûr. » Le vieux lézard se mit à pleurer tout en remerciant mille fois l’adolescent, puis il les invita à le suivre. La troupe se mit en route. L’un des hommes boitait, il geignait de douleur, Borae se rua vers lui puis déclara :

-Il lui faut des soins immédiatement ou il mourra avant d’arriver où que ce soit ! Yerid ! Mon nécessaire. » L’homme-poisson à ses côtés retira son sac à dos, il l’ouvrit pour fournir à son partenaire ce dont il avait besoin : « Je ne peux pas utiliser la magie mais je sais encore pratiquer sans, je vais faire mon possible. » Il retira son manteau, son chapeaupuis se mit au travail. » Pendant ce temps Erothe se tourna vers Jomida pour lui demander d’un ton méprisant :

-Lorsque nous arriverons chez vous, vos hommes ne risquent pas de faire comme Asho ?

-Je jure sur ma vie que je vais faire le nécessaire pour que ça ne se reproduise pas. Votre altesse. » Son regard était encore brillant : « Je veux me montrer digne de cette seconde chance que vous m’offrez, je suis prêt à tous les sacrifices pour y parvenir. Je ferai tout ce qui est en mon pouvoir pour vous aider à sauver Taorys 4. » Le prince planta son regard dans celui du vieil homme-lézard puis affirma :

-Menez-nous chez vous, donnez l’emplacement du rendez-vous à Erothe. » Il se tourna vers elle : « Évacuez le QG, je mène vos hommes chez QUEELMIS pour préparer votre arrivée.

-Monseigneur je… » Il l’interrompit avec autorité :

-Tout ira bien, nos infortunés inconnus sont avec moi. Vous les avez vus à l’œuvre non? Je ne risque rien avec eux. » Erothe jeta un regard à la troupe puis revint au prince en clamant :

-Vos désirs sont des ordres votre altesse, je vais chercher votre mère, vos gens, notre matériel puis je vous rejoins » Elle s’éloigna en emmenant les hommes valides, le reste du groupe resta sur place le temps que Borae termine son office. Ils se tinrent immobiles durant de longues minutes tandis que le médicien soignait le soldat blessé. La tension ne faisait que croître, chacun imaginant une troupe de Raxs débarquant pour les attaquer à nouveau. Lorsque le mage annonça avoir terminé, ils se mirent en marche sans tarder. Dans leur course Pirau aperçut le drone volant qui lui avait sauvé la vie, accroché dans le dos de Devah, l’épervier-humain. Il se promit de penser à le remercier.

En sortant à la surface, ils eurent un aperçu des véritables capacités militaires des Raxs. C’était une invasion, des vaisseaux transporteurs descendaient toutes les trente secondes. Des blindés avaient été déployés, les exo-armures sécurisaient les périmètres définis par le haut commandement. La troupe fut obligée de se séparer, le gorours de Jomida se faufila entre les bâtiments jusqu’aux toits de certains d’entre eux. L’agilité de la bête était impressionnante, tout autant que sa capacité à se dissimuler. Après une bonne heure de cache-cache dans les rues de la ville, ils parvinrent au quartier nord. Ils arrivèrent sans encombre au point de rendez-vous, le fait que les Raxs soient massivement descendus en sous-sol, leur avait permis d’y accéder plus facilement.

Jomida leur alloua trois étages complets de l’immeuble E, le groupe d’infortunés compagnons s’organisa avec le prince pour prendre possession d’un appartement. La troupe se partagea l’espace. Ce n’était pas très grand, une famille de quatre aurait pu y vivre confortablement, or ils étaient six adultes, dont cinq hommes. Le salon ainsi que la cuisine furent transformés en dortoir, puisque de toute façon ils n’avaient pas besoin de préparer des repas. Pirau s’était lavé après Issra, il avait entrepris l’entretien de sa Plume. Devah vint à ses côtés pour l’imiter en nettoyant son fusil. Leurs gestes étaient précis ce qui démontrait une pratique régulière de ce rituel militaire. L’épervier complimenta le contrebandier : « Sacré jouet que tu as là Pirau. » Ce dernier pouffa avant de répondre :

-C’est le même modèle que celui que j’avais lors de ma deuxième année de formation de base à l’académie dans la Coalition. J’avais choisi la branche d’artilleur avant de m’orienter vers le pilotage. En temps normal il faut soit le monter sur un vaisseau ou un véhicule, soit être deux pour transporter ce truc, l’un porte le canon, l’autre la réserve de munitions avec le trépied. Je parviens à le manipuler grâce à mes jambières d’exosquelette.

-Bien pensé. » Moggarr sortit de la salle de bain encore trempé, il s’esclaffa :

-THRIDA ! C’était tout simplement in-cro-yable ! La manière dont tu as coupé ces Raxs en deux ! Ah ! ah ! J’imagine la tête de leurs supérieurs quand les survivants vont faire leur rapport !

-Je n’ai pas fait grand-chose. » Et j’imagine la tête de leurs proches quand ils apprendront qu’ils sont tombés au combat dans ces conditions… Il découvrit avec surprise que sa première impression vis à vis de l’orc était bonne. Le colosse ne portait qu’une serviette, il était torse nu, la balafre qui courait dans son cou, côté droit, était bien visible. L’origine de cette blessure apparaissait clairement à Pirau : Moggarr n’avait plus de bras droit, c’était une prothèse métallique désormais qui le remplaçait. Les jointures et attaches de ce mécanisme avaient nécessité des opérations sur une grande partie du torse de l’orc. Les cicatrices couraient des hanches à la poitrine en terminant sur son cou. La qualité du bras factice était plutôt bonne, sous les armatures Pirau aperçut des muscles synthétiques, signe d’un certain degré de sophistication. L’appareil portait quelques traces de coups et accrocs, démontrant l’utilisation qu’en avait fait son propriétaire. Pirau se souvint alors : Voilà pourquoi il n’a pas montré signe de douleur quand il a frappé le mur hier... Moggarr scanda : « Quoi ?! Tu plaisantes, sans toi ça aurait été bien pire ! » Issra nettoyait elle aussi ses lames dans un coin de la pièce. Elle déclara d’un ton calme sous son masque impassible :

-Une fois de plus, je suis d’accord avec lui. Sans votre intervention, nous nous serions fait tailler en pièce. Si j’ai pu les contourner c’est grâce à votre diversion. » Pirau se plaignit :

-Qui a bien failli me coûter la vie. » Devah lui sourit tandis qu’il nettoyait le canon de son fusil :

-Je veillais sur toi. Mon drone t’a sauvé.

-D’ailleurs, merci à toi pour ton intervention, j’ai bien cru que j’y passais.

-Je t’en prie, on est dans la même galère, il faut se serrer les coudes. » Le contrebandier sentit qu’un lien ténu s’était créé entre eux tous. De ceux nés dans le feu du combat. Les visages de ses camarades de la Coalition lui revinrent en mémoire. De vrais amis, perdus de vue il y a bien des années. Il sourit, tous semblèrent réaliser ce qui était en train de se passer. La félicité de cet instant fut cependant troublée par le retour de Borae. Il semblait épuisé, il ne portait ni son attirail habituel, ni ses lunettes. Yerid arriva derrière lui en transportant les effets de son compagnon. Le mage se jeta dans un canapé en geignant : « Je suis cuit... » Moggarr grogna :

-Pour quelqu’un qui n’a pas participé aux hostilités, vous vous plaignez beaucoup. » Borae bondit du canapé, vint se dresser devant lui, une tête trop basse pour le dominer, il planta son regard dans celui de l’orc en fulminant :

-Vous savez parfaitement que je n’ai pas le droit d’utiliser mes pouvoirs en ce moment ! Si j’avais pu, j’aurais transformé ces Raxs en poussière d’un claquement de doigt ! De plus je viens de retirer cinq balles de deux corps différents ; l’ensemble de mes patients est en vie et récupérera la totalité de ses fonctions motrices ! Pouvez-vous en dire autant ?! » L’orc fut secoué par la soudaine colère du mage, il ne sut que répondre immédiatement. Laissant le temps à Borae de se calmer avant d’ajouter dans une plainte : « Je ne suis pas un lâche, j’ai une laisse attachée autour du cou. » Il bouscula Moggarr qui grogna puis alla dans la salle de bain. Il laissa la porte ouverte tandis que Yerid saluait silencieusement le groupe, avant d’entrer à la suite de Borae puis de refermer la porte. Même pas un peu d’intimité… Pirau ne s’était jamais vraiment intéressé aux méta-entis. Comme chaque citoyen de l’espace novemmien, durant sa scolarité il avait appris leurs règles, leurs capacités ainsi que le fonctionnement de la Tour. Mais sur l’extranet ou l’holoécran il n’entendait parler que d’incidents, de désobéissance, partout dans la galaxie. Il croyait que les mages étaient des électrons libres, il réalisait que ce n’était absolument pas le cas. Il leur était même impossible de se laver ou de dormir seuls...

Plus tard en fin de journée, Erothe arriva avec dame Angkel et les suivants du prince. Ils s’étaient séparés en petits groupes, par chance personne ne manquait à l’appel. Si un seul membre de la résistance avait été capturé, leur nouvelle installation aurait d’ores et déjà été compromise. Ils mirent en place leur base d’opération jusque tard dans la nuit, durant ce laps de temps aucune mission, aucune action contre le régime ne fut lancée. L’organisation allait devoir être revue complètement durant des jours. Le risque d’être dénoncés par les civils présents dans le quartier Nord était désormais grand lui aussi. Il fallait être attentif à ne pas éveiller les soupçons. Cette instabilité força les responsables à donner des ordres ainsi qu’à planifier toute la nuit. Certains veillèrent même jusqu’à l’aurore. La résistance avait survécu de justesse, mais sa sauvegarde n’était pas encore assurée. Il ne fallait surtout pas se relâcher.rahison

Pour cette nouvelle rubrique, nous allons aborder le sujet de la Coalition. Il faut savoir que cette organisation n’a vu le jour qu’au début de la Primauté Novemmienne, il y a près de 3800 ans.

La guerre. La guerre est aussi vieille que l’histoire, elle semble ne jamais vouloir cesser entre les races pensantes qui peuplent la galaxie. Certains conflits ont même duré des siècles entiers sur plusieurs systèmes planétaires à la fois. Il est arrivé que des espèces à l’intelligence primitive finissent par être complètement rayées de la carte. Afin d’éviter que ces catastrophes ne se reproduisent, les dirigeants du haut conseil ont décidé d’interdire la constitution d’armées. Cependant il n’était pas possible de totalement désarmer l’ensemble des royaumes. Car bien que les neuf conseillers n’aient pas été autorisés à s’engager dans des conflits, certains administrateurs de planètes mineures, eux le pouvaient.

Il fallait donc permettre la constitution d’armées qui ne soient pas affiliées à un royaume. C’est cette simple idée qui a fait naître la Coalition. Des armées de mercenaires prêts à combattre pour n’importe qui.

Voici comment fonctionne la Coalition. Quand un client a besoin d’une force armée, il émet une demande au bureau administratif. Deux cas de figures se présentent :

-Soit une compagnie correspond aux besoins du client, elle est alors détachée immédiatement.

-Soit une compagnie est mobilisée par la Coalition pour correspondre aux besoins du client.

Il est aussi possible qu’un client souhaite engager une armée précise, il peut alors le faire en négociant directement avec le commandement de la compagnie en question. Une fois les termes de la mission définis, le client passe un accord avec l’administration de la Coalition.

Toute embauche de compagnie doit passer par le bureau central. Sans cela l’accord est désigné comme illégal. Interviennent alors les seuls soldats embauchés à plein temps par la Coalition : les Veilleurs. Ils sont autorisés à employer n’importe quel moyen pour résoudre un litige entre une armée et un client, quel que soit le contrevenant.

Les soldats en tant qu’individus n’obtiennent un poste que s’ils sont compétents, volontaires. Aucun guerrier ne peut se permettre d’être oisif car les commandants de compagnies ne veulent que les meilleurs éléments parmi leurs régiments.

La Coalition porte aussi la charge du bureau des primes qui recense les chasseurs. Mais nous y reviendrons dans une autre rubrique, car il nous faudra alors aborder le sujet de la justice novemmienne.

Dernier point important, une armée de la Coalition ne peut pas dépasser 100000 unités. Ceci afin d’éviter qu’un royaume ne puisse conquérir l’ensemble de la galaxie.

Car bien que les neuf conseillers ne puissent pas employer d’armées de la Coalition, il n’en va pas de même de leurs proches ou de leurs partisans.

Je conclurai cet article en mentionnant tout de même que la Coalition est une administration autonome financièrement. Il est difficile de savoir si elle est lucrative, mais une chose est certaine, elle est auto-suffisante.

Des conflits et de la Coalition

Professeur HIELPHOM

IRA

***

Il avait mal au crâne, des difficultés à respirer. Son corps fut parcouru d’un frisson. Il voulut s’allonger, mais il était immobilisé par des attaches. L’étau sur son crâne se resserrait à chaque seconde, dès qu’il se sentait sombrer dans la douceur de l’inconscience, une vive douleur le maintenait éveillé. Les ténèbres l’encerclaient, il était nu au milieu d’un cercle de lumière. Il grelottait, sentait sa bave mêlée à son sang chaud, en train de couler de sa bouche engourdie. Il ferma les yeux en glissant vers le sommeil. Un nouveau coup le fit sursauter de douleur. Quelqu’un derrière lui cracha : « T’endors pas ! » Il entendit une porte métallique s’ouvrir puis se refermer. Une voix caverneuse demanda : « Qu’est-ce qu’il a dit ? » Une voix plus fluette répondit :

-Il a avoué. Il est au courant. » Un long soupir, la voix caverneuse reprit : « Impossible de s’en débarrasser sans que ça n’éveille les soupçons. Va falloir trouver autre chose. » Des bruits de pas, on lui tira violemment les cheveux pour lui redresser la tête. Il fit face à son interlocuteur. Un humain à la peau pâle, aux yeux malades. Son visage n’inspirait que dégoût et mépris : « Pirau THRIDA, si je revois ta sale gueule ici, tu peux être certain que je mettrai mes menaces à exécution, alors fous le camp puis ne reviens jamais. Si j’apprends que tu t’es approché de ce système tu peux être certain qu’ils payeront pour toi ! » Le coup qu’il reçut au visage lui provoqua une vive douleur dans tout le corps, il tomba. Incapable de se rattraper, sa tête heurta le sol avec violence. Une lumière vive aveugla ses yeux, puis il perdit connaissance.

Pirau se réveilla haletant. Il lui fallut quelques secondes pour se souvenir qu’il était au quartier général du prince, s’apaisant alors. Foutus cauchemars… je pensais en être débarrassé. Il sursauta lorsqu’il s’aperçut qu’Issra était penchée sur lui à côté de son lit. Elle l’observait sans dire un mot. Le contrebandier se demanda depuis combien de temps elle était là. Avait-il dit quoi que ce soit de compromettant dans son sommeil ? Elle se décida à lui parler sur un ton monocorde : « Nous partons dans moins d’une heure. » Il la détailla pour deviner si elle l’avait percé à jour. Mais elle ne bougea pas d’un pouce. Il répondit avec le peu d’assurance qu’il avait :

-J’arrive. » Elle hocha la tête puis s’éloigna. Il avait dormi en T-shirt et caleçon, il commença à enfiler ses vêtements encore sales des jours passés sur Taorys 4. Il eut une mine dégoûtée en sentant les odeurs d’égouts qui imprégnaient le tissu. Il n’arrivait pas à oublier sa terreur nocturne tandis qu’il effectuait ces gestes machinalement. Il dut faire un effort de concentration pour penser à autre chose. La mission, les négociations avec Jomida, son équipage, voilà des sujets qui lui remirent les idées en place. Quand il se sentit prêt, il quitta son lit de fortune, puis se dirigea vers la cantine.

Il trouva ses compagnons de malchance au mess. Il prit de quoi se remplir l’estomac puis s’installa avec eux. Borae avait l’air mal réveillé, comme toujours le matin, il demanda à Pirau : « Bien dormi ?

-Ça peut aller. Et vous ? » Il se frappa intérieurement. Il avait engagé la conversation avec Borae et n’allait plus pouvoir le stopper.

-Ça va aussi. Le réseau extranet me manque, sans les mises à jour les émissions sur l’holo-écran sont toutes les mêmes. Enfin j’ai rempli un tas de rapports en retard pour la Tour, je n’ai pas vraiment eu le temps de m’ennuyer. » Il aurait préféré laisser Borae parler à quelqu’un d’autre, mais le mage venait de mentionner ses activités à la Tour, Pirau était curieux d’en savoir un peu plus sur ce sujet qu’il connaissait mal. Il demanda :

-Pourquoi remplir des rapports qui ne peuvent pas être transmis ? » Yerid, le cérèbre coiffa ses cheveux nageoires avant de répondre :

-Pour montrer que nous restons fidèles aux lois de la Tour messire THRIDA.

-Je ne suis pas un Sire l’ami. Donc vous préparez le terrain. Au cas où l’Inquisition vous déclarerait sorcier puis vous tomberait dessus ? » Il avait lancé cette supposition en se fondant sur ce qu’il avait appris la veille de la bouche de Borae. Yerid hocha la tête :

-C’est exact. S’ils venaient à nous arrêter, nous nous rendrions afinde justifie notre situation en présentant les pièces nécessaires. » Borae soupira en mâchouillant un bâtonnet de caféine :

-Et en priant pour qu’ils ne nous abattent pas comme des animaux. » Yerid approuva :

-Ce serait un véritable gâchis qu’à cause de ce malentendu l’Inquisition décide de mettre fin à nos vies. » Ils mangèrent quelques secondes en silence, puis la conversation changea de sujet, les autres y furent intégrés. Pirau avala les rations insipides. Malgré le peu de goût, elles lui remplissaient l’estomac. Par contre il y avait de l’eau chaude avec des bâtonnets de caféine à infuser comme celui de Borae. Il en mit dans une tasse puis sirota le liquide légèrement trouble avec plaisir. La discussion tournait à présent autour de leur situation. Le mage rajusta ses lunettes, à croire qu’il ne les enlevait jamais, il demanda : « Vous pensez que QUEELMIS va tenir parole ? Livrer les rations ? » Moggarr cracha :

-Aucune chance. » Il ne portait pas son armure mais une combinaison simple, il avait cependant ses trophées macabres avec lui : « Il va chercher à nous doubler. Il faudra se battre pour obtenir les rations. » Issra termina sa bouchée avant d’ajouter :

-Pour une fois je suis de l’avis de Moggarr, c’est un criminel qui possède l’ascendant sur nous, il n’a aucune raison d’honorer sa parole. » Devah lissa les plumes de son crâne puis demanda :

-Dans ce cas pourquoi prendre la peine de rencontrer le prince Rothan ? » Pirau se permit de répondre :

-Pas dit qu’il vienne en personne… » Il y eut un long silence puis le contrebandier ajouta : « Mais s’il désire réellement se repentir, il n’a pas grand intérêt à trahir le prince. » L’homme-poisson cligna de ses grands yeux noirs en disant de son ton monocorde :

-Hormis en le vendant à son oncle afin d’obtenir cette seconde chance qu’il désire tant. » Un silence de mort s’installa dans le groupe, le tableau s’obscurcissait à mesure qu’ils y songeaient. Finalement Borae marmonna :

-Espérons que vous vous trompez... »

Erothe portait une armure de combat sale et usagée, couleur grise et or, comme le blason du prince. Elle guidait la troupe accompagnant le souverain en exil, constituée d’une petite escouade de gardes royaux en plus de l’équipe des compagnons d’infortune. Après de longues minutes de marche ils arrivèrent dans un espace dégagé, un croisement entre trois tunnels. Des passerelles métalliques surplombaient les passages bétonnés. L’orc en charge de la protection du prince donna des instructions sèches : « Je veux un homme à chaque entrée, si quelqu’un ou quelque chose approche je veux en être informée sur le champ ! » Devah fut installé en hauteur. Avec son fusil il couvrait la totalité de la zone. Pirau était en retrait sur une rambarde lui aussi. Quand Erothe lui avait demandé s’il pouvait se battre et dans quelle mesure, il était resté évasif en disant qu’il préférait éviter mais qu’au besoin il valait mieux qu’il soit en retrait. Issra et Moggarr penchaient pour le combat rapproché, ils étaient en bas à proximité du prince et d’Erothe. Borae et Yerid avaient stipulé une fois de plus qu’ils n’utiliseraient pas leurs pouvoirs en cas de problème. Ils étaient en bas, également en retrait. Pirau s’ennuyait, il détailla le hall. Il était content que la chef de la sécurité du prince ait choisi cet endroit. Les tunnels de maintenance n’étaient pas aussi nauséabonds que ceux d’évacuation. Poussiéreux, ça oui, mais pas souillés. L’installation surprenait Pirau, tout était très bien conçu, il devait reconnaître que les orkhals savaient creuser des galeries. Il voyait une station de régulation d’eau potable, un terminal du réseau électrique et probablement une salle de contrôle du réseau internet de la planète. Il fut surpris d’entendre la voix d’Erothe dans son oreillophone : « Les voilà, tous en position. » Pirau se recula dans une zone d’ombre d’où il put constater que Jomida QUEELMIS arrivait par le tunnel en face du prince. Il avait avec lui un homme lézard massif qui tirait un plateau anti-gravité sur lequel se trouvait une montagne de boîtes emballées, solidement attachées. L’avantage d’un tel appareillage, c’est que la brute seule ne peinait absolument pas à transporter un poids peut être dix fois supérieur au sien. Le vieux lézard ouvrit grand les bras en clamant de sa voix enrouée et chaleureuse : « Votre altesse ! J’ai fait aussi vite que possible ! J’espère ne pas vous avoir trop fait attendre.

-Monsieur QUEELMIS, n’ayez pas d’inquiétude. Je suis content de pouvoir vous rencontrer.

-Moi de même. Je vous laisse inspecter le colis. Je gage que tout sera à votre convenance. Voici le manifeste. » Il tendit un feuillet numérique au prince. Erothe l’attrapa doucement puis le présenta à un robot qui le téléchargea. L’automate était un petit modèle flottant, il n’était même pas équipé de bras, il n’avait pour seule fonction que le traitement de données. Il s’approcha du colis, le passa au crible avec son scanner puis déclara d’une voix synthétique : « Analyse terminée. Erreur dans la correspondance. Cette unité peut-elle faire autre chose pour vous ? » Erothe vérifia le rapport de la petite machine puis déclara :

-Il y a un problème. » La tension monta d’un cran. Tout le monde se crispa, sauf Jomida qui sourit. Erothe ajouta : « Il y a plus de marchandises que prévu. » L’ensemble des protagonistes restaient figés.

-Aaahhh... » Soupira Jomida : « Voilà pourquoi j’aime traiter avec des professionnels. Bien vu madame, j’ai pu ajouter quelques rations supplémentaires, au cas où. Une preuve de ma bonne volonté ainsi que de mon souhait d’instaurer une relation durable entre nous. » Les soldats présents respirèrent un peu. Le prince hocha la tête :

-Je vous en remercie QUEELMIS. Il va nous falloir discuter de votre paiement.

-Si vous avez un peu de temps à m’accorder, j’ai avec moi une projection de ce que j’aimerais mettre en place. » Il sortit délicatement le pavé de sa veste puis le tendit : « Je ne vais pas m’approcher de vous votre altesse, je sens que vos hommes sont encore trop tendus. » Erothe alla à sa rencontre, attrapa l’outil de rédaction puis le vérifia, avant de le transmettre au prince tandis que Jomida annonçait : « Je compte fonder ma société en n’utilisant que les fonds que vous voudrez bien m’allouer ou en faisant des emprunts. J’ai aussi l’espoir d’avoir un peu d’aide de la Transgalactica, puisque dans un premier temps je vais principalement participer à l’effort de reconstruction. Aucun nov de mes précédentes activités ne sera utilisé pour ce projet. Je vous en fais la promesse. À des fins de garantie je vous fournirai chaque mois un rapport comptable détaillé. » Le prince lisait rapidement les données, il souleva une question :

-Que vont devenir les écailles rouges ? » Jomida soupira :

-J’ai déjà convaincu une partie de mes hommes du bien-fondé de ma démarche. Ils se partageront les fonds du gang puis quitteront la planète. La plupart n’ont aucun espoir de trouver du travail ici, ils ne veulent pas prendre la tête du groupe à ma place. Pour les autres, je travaille à leur faire prendre conscience des opportunités que présente cette situation. Mais tous ne sont pas encore convaincus. » Pirau n’eut pas le temps de prévenir qui que ce soit. La brute derrière Jomida venait de sortir un pistolet de son étui avant de le braquer sur le crâne écailleux du vieux saurusk. Il clama d’une voix rauque :

-Et t’es encore loin d’y être, boss ! T’as vraiment cru qu’on allait te laisser démanteler tout ce qu’on avait créé ?! Tu sais combien d’entre nous sont morts pour le gang ?!

-Asho, qu’est-ce que tu fais ? » Demanda Jomida à son homme de main sur un ton crispé. La sécurité du prince dégaina elle aussi ses armes. Erothe aboya un :

-Ne tirez pas ! Mettez sa majesté en sécurité ! » Mais l’attention était tant focalisée sur le drame en cours que lorsqu’ils se rendirent compte que les Raxs arrivaient par l’ensemble des tunnels en les encerclant, il était trop tard. Des dizaines de canons de fusils d’assaut pointaient sur les rebelles ainsi que le prince. Une voix étouffée par un casque clama : « Ici la section 37-I des Rangers Ax, vous êtes en état d’arrestation sur ordre du régent DANENTHAR. Déposez vos armes immédiatement ! Ou vous serez abattus ! Ceci est notre première et dernière sommation ! » Le temps se figea dans le hall, personne ne bougeait attendant la réaction des autres. La brute de Jomida se mit à ricaner dans sa direction, son pistolet toujours posé sur le crâne du vieux saurusk : « Tu pensais ne trouver aucun soutien auprès du régime ? Vieux fou, il faut toujours s’allier au plus fort ! C’est toi qui me l’as enseigné. » Le chef du gang ne bougeait pas d’un pouce, il n’était pas paralysé par la peur, comme si ce genre de chose lui était familier. Le vieux lézard demanda avec dédain :

-Tu les as contactés ? Ils vont te mettre dans le même sac que nous, crétin... » Asho était crispé, il serrait les dents de rage :

-Je rends la justice. Tu ne peux pas dissoudre les écailles rouges comme ça. La décision ne te revient pas !

-Mais qui va continuer à ma place ? Toi ?

-Pourquoi pas ! » Jomida poussa un soupir de désespoir avant de cracher :

-Tu es trop bête pour ça, Asho, tu me connais depuis presque dix ans, malgré ça tu n’as toujours pas retenu la leçon.

-Il semblerait pourtant que... » Sa phrase mourut dans un épouvantable son de chair et d’os broyés. Le gorours de Jomida venait de tomber du plafond de la pièce en écrasant Asho. Il était passé par un tuyau débouchant à la verticale, que personne n’avait pensé à surveiller. Il y eut une seconde de calme avant que le chaos ne se déclenche. Jomida se rua sur le prince, son gorours le suivant pour le protéger. Il cria : « À couvert ! ». Les Raxs armèrent leur fusil d’assaut. Erothe et les rebelles se jetèrent au sol. Puis il n’y eut que le son des rafales. Pirau dut pousser un cri féroce pour se donner suffisamment de courage et commencer à bouger. Il n’avait pas été repéré, aussi eut-il le temps d’attraper la poignée au niveau de ses hanches, dissimulée par sa cape. En l’agrippant, il la ramena devant lui puis il termina son geste avec le bras tendu, déployant ainsi son arme : sa Plume comme il l’appelait. Surnom dont elle avait hérité durant la formation de Pirau. Sobriquet choisi pour être aux antipodes de ses caractéristiques. Car la Plume était une mitrailleuse lourde normalement utilisée sur trépied ou véhicule, elle n’avait donc rien de léger ou discret, contrairement à ce que son nom indiquait. Pirau se servit de son autre main pour en attraper l’interrupteur de tir. Ses jambières d’exosquelette lui permettant de la manipuler sans tomber sous le coup du recul, il enclencha la réserve à munitions faisant pleuvoir les balles sur la troupe de Raxs proche de lui. Le déluge de projectiles, deux mille coups par minute, tailla en pièce les pauvres soldats équipés d’armures moyennes. Il dut s’interrompre pour se jeter au sol quand la riposte le frappa, il poussa une plainte de douleur en s’écrasant au sol sous le poids de son attirail. Des volées de tirs passèrent au-dessus de lui. Il entendit une détonation violente puis la voix de Devah dans son oreillophone : « Je te couvre Pirau, bouge de là ! » Il se leva avec difficulté, courut tête baissée, il ne portait qu’une armure moyenne, il risquait d’être blessé s’il était touché. Il aperçut du coin de l’œil une escouade de Rax se mettre en position de tir vers lui. Ils firent volte-face lorsque Moggarr surgit derrière eux en hurlant, la hache au poing dans sa terrible armure lourde. D’un revers il trancha en deux le premier Rax à sa portée, aveuglant ses camarades proches avec les viscères et l’hémoglobine de sa pauvre victime. Les autres reculèrent, se tournèrent vers l’orc. L’un d’eux tomba à genoux après avoir été poignardé par Issra, arrivée elle aussi par surprise à l’opposé de Moggarr. Les soldats n’avaient aucune chance, leurs fusils d’assaut les handicapaient dans un combat rapproché, ils furent massacrés. Moggarr ne bronchait pas sous les tirs qui ne faisaient qu’érafler son armure tandis que l’agilité d’Issra lui permettait d’éviter d’être pointée par un canon ainsi que d’abattre les tireurs avant qu’ils n’aient le temps d’ajuster leur visée. De plus, Devah les couvrait en éliminant les plus dangereux des Raxs, ceux qui avaient une chance d’atteindre leurs cibles. Pirau sursauta quand un soldat arriva sur sa droite en menaçant de faire feu. Mais un drone volant surgit en trombe, il aveugla le fantassin. Puis l’automate fit feu d’une arme de petit calibre, poussant l’assaillant de Pirau à se protéger une seconde. C’était juste le temps dont il avait besoin pour faire vrombir sa Plume, la rafale projeta le soldat en arrière qui perdit un bras en recevant la salve de plein fouet dans l’épaule. Le pauvre bougre mourut sur le coup. Les Raxs lâchèrent des grenades fumigènes en criant : « On se replie, contactez le QG, envoyez des renforts ! » Le hall fut rapidement rempli d’un épais gaz aveuglant, forçant les rebelles à se regrouper à l’opposé, par leur point d’arrivée dans la zone. Une fois qu’ils purent respirer, ils firent un appel rapide, mais il manquait des membres de la troupe. Erothe paniqua : « Où est Rothan ?! » Cria-t-elle par-dessus le vacarme. Sa détresse fut brève, Jomida arriva avec son gorours. L’animal portait l’adolescent et avait protégé le souverain comme en attestaient les blessures qu’il portait. La garde royale se rua vers eux en demandant : « Tout va bien ?! » Le vieux lézard pensant qu’on s’adressait à lui répondit :

-Je n’ai rien, ma bête en a vu d’autres, elle survivra. » L’orc lui lança un regard assassin en récupérant le prince, en essayant de l’aider à se tenir debout, elle demanda avec crainte :

-Votre majesté, est-ce que vous allez bien ? » Rothan acquiesça en toussant, il tentait de retrouver son souffle. Erothe hurla de colère sur Jomida : « Qu’est-ce que c’était que ce bordel ?! Vous avez essayé de nous faire tuer ! » Le vieux lézard sembla blessé par l’accusation, il couina avec détresse :

-Votre altesse, je vous supplie de croire que je n’y suis pour rien ! Si j’avais su qu’Asho choisirait de me trahir je ne l’aurais jamais fait venir à cette rencontre ! » L’adolescent respirait avec difficulté, les yeux rougis par les gaz il répondit d’une voix rauque :

-Je vous crois, mais nous avons plus urgent, y-a-t-il des blessés ?! » Un soldat rapporta :

-Trois votre altesse, on a dû laisser un mort derrière nous.

-Il faut trouver de quoi les soigner et il faut sécuriser les rations. » Erothe s’adressa à lui :

-Votre altesse. Nous devons évacuer le QG, les Raxs vont descendre dans les égouts pour en fouiller chaque recoin, nous devons déménager. » Le prince réalisa la précarité de leur situation, il sembla terrifié. Il chercha une solution à toute allure, mais Jomida s’exclama :

-Venez chez moi ! Venez dans le quartier Nord, il y a des tas d’appartements qui sont vides dans le bâtiment E. Nous avons encore l’électricité et l’eau, j’ai aussi une réserve de matériel médical. » Tous semblèrent dubitatifs, le vieux lézard reprit de sa voix enrouée : « Votre altesse, si j’avais réellement cherché à vous éliminer, je m’y serais pris bien autrement, je n’aurais pas eu besoin d’amener les provisions. Si vous ne parvenez pas à me faire confiance, tuez-moi. » Il écarta les bras dans un geste théâtral, son gorours s’éloigna dans le tunnel comme pour le laisser vulnérable : « Je ne peux plus vivre comme ça. » Sa voix chevrota, des larmes apparurent au coin de ses yeux : « Je ne supporte plus toute cette violence, toute cette paranoïa ! Je veux en finir avec cette existence de méfiance ! D’une façon ou d’une autre : je vous en prie aidez-moi ! » Tous attendirent la décision du prince. Ce dernier soupira :

-Ne me faites pas regretter ma décision : conduisez-nous en lieu sûr. » Le vieux lézard se mit à pleurer tout en remerciant mille fois l’adolescent, puis il les invita à le suivre. La troupe se mit en route. L’un des hommes boitait, il geignait de douleur, Borae se rua vers lui puis déclara :

-Il lui faut des soins immédiatement ou il mourra avant d’arriver où que ce soit ! Yerid ! Mon nécessaire. » L’homme-poisson à ses côtés retira son sac à dos, il l’ouvrit pour fournir à son partenaire ce dont il avait besoin : « Je ne peux pas utiliser la magie mais je sais encore pratiquer sans, je vais faire mon possible. » Il retira son manteau, son chapeaupuis se mit au travail. » Pendant ce temps Erothe se tourna vers Jomida pour lui demander d’un ton méprisant :

-Lorsque nous arriverons chez vous, vos hommes ne risquent pas de faire comme Asho ?

-Je jure sur ma vie que je vais faire le nécessaire pour que ça ne se reproduise pas. Votre altesse. » Son regard était encore brillant : « Je veux me montrer digne de cette seconde chance que vous m’offrez, je suis prêt à tous les sacrifices pour y parvenir. Je ferai tout ce qui est en mon pouvoir pour vous aider à sauver Taorys 4. » Le prince planta son regard dans celui du vieil homme-lézard puis affirma :

-Menez-nous chez vous, donnez l’emplacement du rendez-vous à Erothe. » Il se tourna vers elle : « Évacuez le QG, je mène vos hommes chez QUEELMIS pour préparer votre arrivée.

-Monseigneur je… » Il l’interrompit avec autorité :

-Tout ira bien, nos infortunés inconnus sont avec moi. Vous les avez vus à l’œuvre non? Je ne risque rien avec eux. » Erothe jeta un regard à la troupe puis revint au prince en clamant :

-Vos désirs sont des ordres votre altesse, je vais chercher votre mère, vos gens, notre matériel puis je vous rejoins » Elle s’éloigna en emmenant les hommes valides, le reste du groupe resta sur place le temps que Borae termine son office. Ils se tinrent immobiles durant de longues minutes tandis que le médicien soignait le soldat blessé. La tension ne faisait que croître, chacun imaginant une troupe de Raxs débarquant pour les attaquer à nouveau. Lorsque le mage annonça avoir terminé, ils se mirent en marche sans tarder. Dans leur course Pirau aperçut le drone volant qui lui avait sauvé la vie, accroché dans le dos de Devah, l’épervier-humain. Il se promit de penser à le remercier.

En sortant à la surface, ils eurent un aperçu des véritables capacités militaires des Raxs. C’était une invasion, des vaisseaux transporteurs descendaient toutes les trente secondes. Des blindés avaient été déployés, les exo-armures sécurisaient les périmètres définis par le haut commandement. La troupe fut obligée de se séparer, le gorours de Jomida se faufila entre les bâtiments jusqu’aux toits de certains d’entre eux. L’agilité de la bête était impressionnante, tout autant que sa capacité à se dissimuler. Après une bonne heure de cache-cache dans les rues de la ville, ils parvinrent au quartier nord. Ils arrivèrent sans encombre au point de rendez-vous, le fait que les Raxs soient massivement descendus en sous-sol, leur avait permis d’y accéder plus facilement.

Jomida leur alloua trois étages complets de l’immeuble E, le groupe d’infortunés compagnons s’organisa avec le prince pour prendre possession d’un appartement. La troupe se partagea l’espace. Ce n’était pas très grand, une famille de quatre aurait pu y vivre confortablement, or ils étaient six adultes, dont cinq hommes. Le salon ainsi que la cuisine furent transformés en dortoir, puisque de toute façon ils n’avaient pas besoin de préparer des repas. Pirau s’était lavé après Issra, il avait entrepris l’entretien de sa Plume. Devah vint à ses côtés pour l’imiter en nettoyant son fusil. Leurs gestes étaient précis ce qui démontrait une pratique régulière de ce rituel militaire. L’épervier complimenta le contrebandier : « Sacré jouet que tu as là Pirau. » Ce dernier pouffa avant de répondre :

-C’est le même modèle que celui que j’avais lors de ma deuxième année de formation de base à l’académie dans la Coalition. J’avais choisi la branche d’artilleur avant de m’orienter vers le pilotage. En temps normal il faut soit le monter sur un vaisseau ou un véhicule, soit être deux pour transporter ce truc, l’un porte le canon, l’autre la réserve de munitions avec le trépied. Je parviens à le manipuler grâce à mes jambières d’exosquelette.

-Bien pensé. » Moggarr sortit de la salle de bain encore trempé, il s’esclaffa :

-THRIDA ! C’était tout simplement in-cro-yable ! La manière dont tu as coupé ces Raxs en deux ! Ah ! ah ! J’imagine la tête de leurs supérieurs quand les survivants vont faire leur rapport !

-Je n’ai pas fait grand-chose. » Et j’imagine la tête de leurs proches quand ils apprendront qu’ils sont tombés au combat dans ces conditions… Il découvrit avec surprise que sa première impression vis à vis de l’orc était bonne. Le colosse ne portait qu’une serviette, il était torse nu, la balafre qui courait dans son cou, côté droit, était bien visible. L’origine de cette blessure apparaissait clairement à Pirau : Moggarr n’avait plus de bras droit, c’était une prothèse métallique désormais qui le remplaçait. Les jointures et attaches de ce mécanisme avaient nécessité des opérations sur une grande partie du torse de l’orc. Les cicatrices couraient de ses hanches à sa poitrine en terminant sur son cou. La qualité du bras factice était plutôt bonne, sous les armatures Pirau aperçut des muscles synthétiques, signe d’un certain degré de sophistication. L’appareil portait quelques traces de coups et accrocs, démontrant l’utilisation qu’en avait fait son propriétaire. Pirau se souvint alors : Voilà pourquoi il n’a pas montré signe de douleur quand il a frappé le mur hier... Moggarr scanda : « Quoi ?! Tu plaisantes, sans toi ça aurait été bien pire ! » Issra nettoyait elle aussi ses lames dans un coin de la pièce. Elle déclara d’un ton calme sous son masque impassible :

-Une fois de plus, je suis d’accord avec lui. Sans votre intervention, nous nous serions fait tailler en pièce. Si j’ai pu les contourner c’est grâce à votre diversion. » Pirau se plaignit :

-Qui a bien failli me coûter la vie. » Devah lui sourit tandis qu’il nettoyait le canon de son fusil :

-Je veillais sur toi. Mon drone t’a sauvé.

-D’ailleurs, merci à toi pour ton intervention, j’ai bien cru que j’y passais.

-Je t’en prie, on est dans la même galère, il faut se serrer les coudes. » Le contrebandier sentit qu’un lien ténu s’était créé entre eux tous. De ceux nés dans le feu du combat. Les visages de ses camarades de la Coalition lui revinrent en mémoire. De vrais amis, perdus de vue il y a bien des années. Il sourit, tous semblèrent réaliser ce qui était en train de se passer. La félicité de cet instant fut cependant troublée par le retour de Borae. Il semblait épuisé, il ne portait ni son attirail habituel, ni ses lunettes. Yerid arriva derrière lui en transportant les effets de son compagnon. Le mage se jeta dans un canapé en geignant : « Je suis cuit... » Moggarr grogna :

-Pour quelqu’un qui n’a pas participé aux hostilités, vous vous plaignez beaucoup. » Borae bondit du canapé, vint se dresser devant lui, une tête trop basse pour le dominer, il planta son regard dans celui de l’orc en fulminant :

-Vous savez parfaitement que je n’ai pas le droit d’utiliser mes pouvoirs en ce moment ! Si j’avais pu, j’aurais transformé ces Raxs en poussière d’un claquement de doigt ! De plus je viens de retirer cinq balles de deux corps différents ; l’ensemble de mes patients est en vie et récupérera la totalité de ses fonctions motrices ! Pouvez-vous en dire autant ?! » L’orc fut secoué par la soudaine colère du mage, il ne sut que répondre immédiatement. Laissant le temps à Borae de se calmer avant d’ajouter dans une plainte : « Je ne suis pas un lâche, j’ai une laisse attachée autour du cou. » Il bouscula Moggarr qui grogna puis alla dans la salle de bain. Il laissa la porte ouverte tandis que Yerid saluait silencieusement le groupe, avant d’entrer à la suite de Borae puis de refermer la porte. Même pas un peu d’intimité… Pirau ne s’était jamais vraiment intéressé aux méta-entis. Comme chaque citoyen de l’espace novemmien, durant sa scolarité il avait appris leurs règles, leurs capacités ainsi que le fonctionnement de la Tour. Mais sur l’extranet ou l’holoécran il n’entendait parler que d’incidents, de désobéissance, partout dans la galaxie. Il croyait que les mages étaient des électrons libres, il réalisait que ce n’était absolument pas le cas. Il leur était même impossible de se laver ou de dormir seuls...

Plus tard en fin de journée, Erothe arriva avec dame Angkel et les suivants du prince. Ils s’étaient séparés en petits groupes, par chance personne ne manquait à l’appel. Si un seul membre de la résistance avait été capturé, leur nouvelle installation aurait d’ores et déjà été compromise. Ils mirent en place leur base d’opération jusque tard dans la nuit, durant ce laps de temps aucune mission, aucune action contre le régime ne fut lancée. L’organisation allait devoir être revue complètement durant des jours. Le risque d’être dénoncés par les civils présents dans le quartier Nord était désormais grand lui aussi. Il fallait être attentif à ne pas éveiller les soupçons. Cette instabilité força les responsables à donner des ordres ainsi qu’à planifier toute la nuit. Certains veillèrent même jusqu’à l’aurore. La résistance avait survécu de justesse, mais sa sauvegarde n’était pas encore assurée. Il ne fallait surtout pas se relâcher.

Annotations

Vous aimez lire Régis-Arthur MOLLARD ?

Commentez et annotez ses textes en vous inscrivant à l'Atelier des auteurs !
Sur l'Atelier des auteurs, un auteur n'est jamais seul : vous pouvez suivre ses avancées, soutenir ses efforts et l'aider à progresser.

Inscription

En rejoignant l'Atelier des auteurs, vous acceptez nos Conditions Générales d'Utilisation.

Déjà membre de l'Atelier des auteurs ? Connexion

Inscrivez-vous pour profiter pleinement de l'Atelier des auteurs !
0