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Il voyagea sur son nuage, ressentant encore la chaleur de son ange en lui. L’arrivée fut rude, sous la pluie froide. Il quitta définitivement l’Afrique à la Gare du Nord, quand la couleur dominante de la rame passa du noir au blanc. Depuis l’aéroport, il les avait observés d’un œil nouveau. Là-bas, la pauvreté régnait, dans une apparente bonne humeur, la chaleur gommant les différences. Ici, ils étaient engoncés dans une misère froide, figeant les visages dans la tristesse des déplacés.

Il retrouva le pavillon glacial. Le temps gris pesait. Il fallait du courage pour s’activer. L’image de son dieu le motiva. Il alla voir sa mère, recluse dans sa tête et son fauteuil. Toute communication était impossible, pour autant qu’il y en eut une quand elle avait sa tête. Il lui fit ses adieux, par devoir, sans aucun sentiment.

Il appela longuement sa sœur et finit par la convaincre de vendre la maison. Elle ne le questionna même pas sur les raisons de son installation définitive en Afrique. Il faillit lui lancer que c’était pour vivre avec un homme, pour obtenir une réaction. À quoi bon ? Il trouva une agence qui s’occuperait de la vente et fut très agréablement surpris de l’estimation.

Il avait vécu chichement, n’ayant ni passion, ni besoin, ni envie. Il avait donc économisé tout au long de sa vie, plaçant ces sommes en « père de famille », incapable qu’il était de s’intéresser à la spéculation boursière ou aux placements financiers. En additionnant toutes ces sommes, il fut étonné du total. Il y avait de quoi prendre en charge Codou et sa famille, même sil se rendait compte qu’il n’avait aucune idée du cout de la vie dans son nouveau pays. Le banquier lui ouvrit un compte avec leur partenaire local, l’avertissant du montant des taxes à payer. Il fit la grimace devant le taux.

Il avait listé tous les services à contacter pour être sûr de n’avoir jamais à revenir. Il allait être au chômage, puis à la retraite. Il fit à nouveau la grimace sur les estimations de pension à venir et pour l’obligation de solder ici ces dossiers. Il verrait !

Il passa de longs moments à l’ambassade, puis au consulat pour obtenir une carte de résident. Tout fut en ordre en deux semaines : il pouvait rentrer chez lui. Il avait négocié avec l’hôtel. Il aurait un mois pour trouver un logement définitif. Il espérait que Codou accepterait de partager sa vie. De toute façon, l’hôtel fermait ensuite à cause de l’hivernage. Curieux de ce terme, il avait compris que c’était simplement la saison des pluies.

Il avança la date de son billet et mit un message à son amoureux pour lui indiquer l’heure d’arrivée.

Il n’avait rencontré personne. Il n’avait personne à rencontrer. Il voulait, il avait besoin de dire qu’il partait et pourquoi. Il appela donc Thierry, son « meilleur ami ».

— Tiens ! Tu es rentré de chez les sauvages ? C’était bien ?

— Oui ! Il faut que vous y aller avec Marie-Jo !

— Tu as vu les prix ?

— Tu peux négocier là-bas ! Vous viendrez me voir…

— Tu y retournes ?

— Oui, je vais vivre là-bas, m’y installer définitivement. L’avion est demain soir.

— Ah ! Chez les Nègres ! Tu n’es pas dégoûté… Gilles, tu as rencontré quelqu’un !

— Oui…

— Elle est mignonne ? Tu sais, les petites guenons deviennent des grosses bonnes femmes. Remarque, ce n’est pas mal non plus. J’ai toujours rêvé de baiser dans le noir ! Elle a quel âge ?

— Vingt-et-un.

— Eh ben mon cochon, tu les prends jeunes… tu as la forme suffisante ?

— Oui. J’assure.

— Je suis content pour toi. C’est la première fois que tu me parles d’une femme !

— C’est un homme. Un jeune homme.

Voilà. Tout était dit. Il attendit dans le silence, avant d’entendre, malgré la main mal mise sur le micro « Marie-Jo, tu sais quoi ? Gilles vient de me dire qu’il est pédé et qu’il part se faire mettre par un Noir dans ce pays de Bamboulas ». Il n’entendit pas la réponse. Il attendait une réaction.

— Ah bon ! Tu es pédé ? Et tu ne me l’as jamais dit ! Il est bien monté ? Il paraît qu’ils en tous une très grosse. C’est qui le mec ?

— Voilà, je voulais te dire. Je te laisse. Embrasse Marie-Jo et les enfants. Il raccrocha sans attendre de commentaires. Avait-il besoin de revivre ça avec Jean-Claude, qui était encore plus con ?

Il ferma la porte. Il tirait sa valise. Il avait acheté une malle, pour emporter ses affaires, avait commencé à la remplir avant de s’apercevoir qu’il n’avait rien à emporter, rien auquel il tenait. Il avait fini par arracher quelques photos de son enfance, pour les montrer à son Codou.

Plus rien ni personne ne le retenait. Soixante-deux ans d’une vie sans intérêt. Il n’avait aucun regret. Cela aurait pu continuer sans qu’il le perçoive. Sauf que maintenant, il vivait, avec un cœur tout neuf. Son sourire augmentait au fur et à mesure que la rame se colorait. Il les regardait dans les yeux, perdu déjà dans son rêve, récoltant déjà quelques-uns de ces sourires roses aux dents blanches. Ces signes le rapprochaient de l’absent, augmentant sa joie.

Pendant le vol, il se sentait approcher de la Terre promise, ayant hâte de retrouver ce corps jeune dans ses bras. Il ne doutait pas de l’intensité des sentiments de Codou, mais, une fois encore, il se demandait ce qu’il avait d’attirant pour un jeune homme. Cela le renvoyait à son ignorance de sa propre personne, à son incompréhension des autres, à sa méconnaissance de sa nature profonde et des mœurs des gens comme lui. Il acceptait cette orientation, surtout avec Codou comme direction, mais refusait encore l’étiquette.

Il retrouva la chaleur en passant sur la passerelle. Il se laissa dépasser par les autres passagers, retrouvant immédiatement cette nonchalance si bien adaptée à ce pays. C’est en franchissant la dernière porte qu’il pénétra dans sa nouvelle vie, immédiatement accueilli par son ange qui sautillait de joie. C’était la première fois que Codou exprimait sa joie d’être avec lui. Il lui tomba dans les bras, dans une étreinte d’une force incroyable. Ils se retenaient de baisers, de caresses, pourtant si évidentes dans leur avidité partagée. Il suivit Codou, se faufilant dans la cohue de la sortie. Ils montèrent dans le taxi, serrés l’un contre l’autre, puis compressés. Il s’était mis en t-shirt en attendant sa valise. Il sentait la peau de son voisin le caresser. Mal à l’aise, il dégagea son bras qui vint se placer naturellement dans l’entrecuisse de son amant. Sa main remonta vers le pubis, enfermant le sexe qui réagit immédiatement. Personne ne pouvait deviner ce contact enfin retrouvé. Codou était dur. Gilles était étonné par cette vigueur. Il savait qu’il pouvait la tenir durant des heures, retrouvant sa capacité avec une étonnante rapidité. Il pouvait jouir dix fois dans la journée, sans perdre de vitalité. Gilles avait du mal à comprendre le rejet de cette jeune virilité dont il usait si bien et si abondamment. Il se promit de connaître à fond son amant, de ne rien ignorer de cette personnalité rayonnante, de ses contradictions. À la sortie de l’autoroute, alors que le chauffeur parlementait avec le policier sur le montant du bakchich, il sentit les discrets mouvements de bassin de son ange contre sa main. Cette invite déclencha son érection et une hâte de retrouver librement ce corps adoré. Le véhicule reprit sa course, slalomant entre trous, carrioles, passants, accentuant cette caresse préparatoire.

Pendant que Gilles négociait sa chambre pour les jours d’avance, Codou retourna à son travail, avant de le rejoindre. Les dernières heures de la journée les rassembla dans des caresses, des baisers et des positions aussi variées qu’intenses. Gilles avait une vingtaine de jours d’abstinence à effacer. Codou semblait heureux de ces assauts. Il raconta à Gilles ses conquêtes, l’étonnant par leur nombre. Non seulement son pouvoir d’attraction était immense, mais son don absolu incitait à renouveler. Son addiction à ces pratiques le poussait à rechercher sans cesse une satisfaction. À moins que ce ne soit une fuite en avant vers l’infini ? Gilles se devait de le protéger, même contre lui.

Ils retrouvèrent leurs routines. L’hôtel était à moitié désert et commençait à resserrer son service en vue de la fermeture proche. Les clients se faisaient rares et Codou déployait des trésors de séduction pour travailler.

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