Chapitre 4 - Retour à la PJ

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Le lendemain de notre première visite, Bertier et moi-même nous nous sommes retrouvés dans le bureau du commissaire pour faire le point.

Bertier ! Ce cher inspecteur Bertier ! 45 ans, taille moyenne, brun. Totalement dépourvu d'imagination, il s'en tient généralement aux faits. Rien ne semble jamais le surprendre et il trouve une explication logique à tout. Et il me reproche souvent, lorsque je lui soumets mes idées, mes intuitions qui me font élaborer des hypothèses, parfois farfelues, à partir d'indices improbables. Alors, il ne se gêne pas pour m'envoyer un coup de patte bourru sous forme de réflexions pas toujours agréables.

Et je sais qu'il a raison.

— Les faits ! clame-t-il souvent pendant mes égarements. Tiens-toi en aux faits ! Ne va pas élaborer des hypothèses hasardeuses à partir de n'importe quel indice fumeux ! Souviens-toi de ce qu'on t'a enseigné à l'Ecole de Police ! Il faut un faisceau d'indices probants, un point c'est tout ! Les policiers qui suivent leurs soi-disant inspirations ne sont pas les meilleurs.

Mais c'est plus fort que moi. Quand mon cerveau s'emballe... Mais, le pire, c'est que ça marche parfois.

Quant au commissaire Renouf, déjà sexagénaire, aux cheveux argentés coupés en brosse, sa silhouette massive hante les couloirs de la PJ. Ce natif de Rouen au caractère bien trempé en impose par son calme et sa présence rassurante, comme un capitaine de vaisseau, bravant les tempêtes parfois rencontrées par son service de police.

Pourtant, ses yeux bleus peuvent virer au gris acier lorsqu'il se met en colère, une colère que nous, ses adjoints, savons décrypter. Lorsque l'explosion est sur le point de se produire, nous nous arrangeons tous pour prendre la tangente afin d'éviter ses foudres, ainsi que les éclats tranchants de sa voix grave de fumeur de gitanes.

Et moi, juché sur mes longues jambes, je déambule dans ce service avec ma grande carcasse et mes grands bras maladroits qui renversent sans cesse des tasses de café sur les bureaux .

Mais, revenons à notre réunion dans le bureau du commissaire. Bertier et moi avions nettement l'impression que notre disparu aurait pu avoir été pris par le démon de midi et les réponses évasives de son épouse laissaient entrevoir quelques hésitations pouvant conforter cette hypothèse.

Cependant, Renouf, lui, ne voyait pas les choses de la même façon. Il prenait les choses au sérieux.

— A priori, la théorie de la fugue me semble un peu trop facile. J'ai plutôt l'impression que cette disparition cache quelque chose de bien plus sérieux, étant donné la notoriété du bonhomme. Et si le préfet se montre très inquiet, ce n’est pas sans raison. Pour faire avancer les choses, nous allons demander l'autorisation du parquet pour procéder à des investigations plus poussées, et l’émission d’un avis de recherche. Et vous, Gilbert, vous allez seconder l'Inspecteur Bertier.

Enfin une mission intéressante ! J'étais excité à l'idée de participer pour la première fois à une enquête dans sa totalité. Habituellement, je venais prêter main-forte à l'équipe discrète de policiers qui s'occupaient de recueillir des indices, de perquisitionner des domiciles ou de suivre des suspects, toujours aux côtés de Bertier et Martineau.

Pendant plusieurs jours, dans l'attente de cette fameuse autorisation, je m'évertuai, plus que jamais, à mettre de l'ordre dans mes dossiers. Nous n'avions pas de secrétaire et il fallait tout faire par soi-même. Et il y avait du travail ! J'étais préposé au classement des procès-verbaux de tout le service. Mes papiers étaient en pagaille et personne ne s'y retrouvait. Je savais qu'un jour ou l'autre, le couperet tomberait et que j'aurais sûrement droit à des remontrances de ma hiérarchie. Alors, autant profiter de ce répit pour anticiper.

Je me mis à travailler d'arrache-pied, cravate desserrée et manches relevées, classant mes dossiers. Tout cela au milieu du tumulte ambiant, ponctué de sonneries de téléphone, de passages continuels, de plaisanteries plus ou moins graveleuses des inspecteurs, de vociférations des drogués, des péripatéticiennes, de leurs macs, ou de gens plus ou moins louches qu'on arrêtait. Tout cela dans une atmosphère enfumée à couper au couteau. C'était dur de pouvoir se concentrer dans un tel charivari.

— Alors, ça bosse fort ? demanda Martineau, passant devant mon bureau, d'un air goguenard, manches relevées, chapeau en arrière et cigarette au bec.

Ce petit brun quadragénaire, aux cheveux gominés plaqués en arrière, ressemblant à un danseur de Tango, est le roi de la provocation et se donne l'air d'un flic à l'ancienne, comme dans les films des années 1950. Et en plus, c'est une vrai commère. En deux mots, il m'agace !

Je relevai le nez, un peu ahuri, la tête émergeant de ma montagne de paperasses, puis je haussai les épaules. Une fois de plus, il se croyait drôle avec ses jeux de mots à la noix. Puis, je feignis de l'ignorer, bien décidé à ne pas répondre. D'ailleurs, je n'ai pas le sens de la répartie. Mais un jour, je lui tiendrai tête.

— Eh ! les gars ! Miracle ! Lenormand travaille enfin ! s’écria-t-il à l'adresse de tout le monde. Il va mettre de l'ordre dans son bordel. La pile de dossiers qui recouvre son bureau va enfin diminuer ! Il ne pourra plus se cacher derrière pour roupiller ! C'est Noël avant l'heure ! Le miracle du jour !

— Lâche-moi un peu, tu veux bien ?

Ma réponse sèche avait coupé court à ses paroles. Etonné, il se rassit à son bureau, face à moi, sans rien dire. J'avais réussi à lui clouer le bec. Je repris imperturbablement mon travail. Puis, arriva une personne dont je devais recueillir la plainte, suite à un cambriolage.

Bien entendu, j'avais, comme de coutume, des difficultés à utiliser ma vieille machine à écrire qui datait de la dernière guerre et dont le ruban s'obstinait régulièrement à se coincer. Je devais à chaque fois, le démonter, le dérouler et l'enrouler de nouveau manuellement. Cela me laissait les mains pleines d'encre.

La lenteur administrative et l'obsolescence du matériel que nous devions utiliser eurent donc raison de ma patience. Qui se soucierait d'un obscur service de la Police Judiciaire de Rouen dans de vieux bureaux enfumés aux peintures écaillées ? Nous étions loin de Paris, bien loin du 36 Quai des Orfèvres et de ses superflics. Et à moi, le plus jeune du service, on avait affecté la plus mauvaise machine à écrire du monde !

Je finis par taper ce fichu procès-verbal, après avoir malmené quelque peu cette maudite bécane. Puis, une fois l'individu parti, je repris mes occupations jusqu'au soir.

Le lendemain, je me sentis soulagé lorsque l'autorisation du parquet fut enfin délivrée. C’était pas trop tôt ! L’enquête pouvait commencer. J'étais certain qu'elle serait passionnante. J'allais enfin échapper à l'atmosphère pesante de la PJ et à ses dossiers poussiéreux.

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