Chapitre 8 - Une étrange clef dorée
L'eau noire, troublée par les sédiments et l'obscurité gagnant peu à peu, je n’y voyais pas grand-chose, mais je sentis, à tâtons, une corde attachée à l'un de ses pieds. Je cherchai à tâtons dans ma poche le couteau que j'utilisais généralement pour mes casse-croûtes et j'entrepris de la couper. Je m'y repris à plusieurs fois et réussis à libérer le cadavre qui remonta instantanément à la surface.
Que devais-je faire ? Le laisser là ? Finalement, j’entrepris de le pousser doucement vers la berge, sans trop le toucher, résistant à l’envie de le retourner pour voir son visage.
Manquant encore tomber mille fois en avant, je revins avec précaution vers le bord, en pataugeant de nouveau dans la vase, où je le calai avec des branches afin qu'il ne dérive pas.
Puis, sachant que je ne pourrais plus revenir par le même chemin, je me souvins que le bras mort débouchait sur la Seine vers l'amont. Alors, je continuai dans cette direction dans l'espoir de trouver un meilleur endroit pour remonter.
Transi jusqu’à la moelle des os, je commençais vraiment à me décourager. J'aperçus alors un petit ponton auquel une barque était amarrée. J'allais enfin sortir de cet enfer. Ce n'était pas trop tôt. J'étais sur le point de le gagner lorsque Bertier arriva au bon moment, comme toujours.
— Mais qu'est-ce que tu fiches là-dedans ? Ne compte pas sur moi pour sauter dans ce marigot pour aller te sauver !
Toujours le mot pour rire.
— Très drôle ! Mais tu riras moins quand je t'annoncerai que je viens de trouver un corps, dans le bras mort un peu plus loin.
— Un corps ? Bon sang !
Me voyant en difficulté, il descendit dans la barque et, saisissant ma main de sa poigne vigoureuse, il me hissa à l'intérieur.
Je lui racontai mes tribulations dans le marais et comment j'avais retrouvé le cadavre.
— Mais tu es fou pour être allé là-dedans ! Et si tu t’y étais enfoncé ?
— J’étais déjà en plein milieu et déjà mouillé, alors, un peu plus ou un peu moins… Par contre, j’ai perdu mes mocassins.
Dépité, je regardai mes chaussettes trempées, me demandant déjà comment j’allais marcher sans chaussures pour revenir. Soudain, mon attention fut attirée par quelque chose qui luisait avec obstination au fond de la barque. Croyant que c’était une pièce d’or, je me penchai pour regarder. On aurait dit une clef. Me baissant, je la pris délicatement entre mes doigts et l'examinai. Elle était attachée à une fine chaine brisée.
— Mais qu'est-ce que tu as encore trouvé ?
— Je ne sais pas, on dirait la clef d'un tiroir de bureau ou d'un coffret. Je me demande bien ce qu'elle fait dans cette barque. C'est étrange.
— Bizarre, en effet, répondit-il, en la regardant à son tour.
— Peut-être qu'elle provient de la victime. Et si on l'avait placée dans cette barque pour jeter son corps au milieu de la Seine, lesté d’une pierre et que le corps, après s’être libéré, ait dérivé jusqu’au bras mort ?
— C’est fort probable ! Et je vais t’expliquer pourquoi.
Nous remontâmes sur le ponton. Il s'arrêta pour me contempler, tout en hochant la tête d’un air désapprobateur.
— Mais comment as-tu fait ton compte ? Tu n'es vraiment pas doué ! En tout cas, en rentrant, je t'interdis de monter dans la voiture comme ça, tu vas ruiner les sièges ! Mais en attendant, il faut que je te parle de mes découvertes.
Il me raconta tout par le menu. Ne me voyant pas rentrer, il avait décidé de venir me chercher. Dans son périple, il avait découvert une construction de pierres à demi enterrée, cylindrique, érigée sur une butte. Intrigué, il était rentré dedans, et y avait trouvé un petit carton à demi enterré dans la poussière.
— La fameuse glacière, que j’ai vue sur le plan, remarquai-je.
Il acquiesça silencieusement.
— Et, regarde ce que j’ai trouvé, annonça-t-il, triomphant, le brandissant.
J’y jetai un coup d’œil. C'était une carte d'identité établie le 30 avril 1959. On pouvait y lire : Malandain, Bernard, Michel, Gilbert, né le 10 mars 1904 à Rouen, Seine Maritime, taille : 1,80 m, signe particulier : « néant » et aussi l'empreinte de son index gauche, ainsi que sa photo.
— Mais, c’est celle de la victime !
— Eh oui ! Puis, en ressortant de la glacière, j’ai remarqué des traces de piétinement, puis deux sillons parallèles dans la terre, menant jusqu’à ce fameux ponton où je t’ai retrouvé.
— On dirait bien que le cadavre semble avoir été pris à bras le corps et trainé dehors et vu l'écartement des sillons, ce sont certainement ses talons qui les ont tracés. Puis, on a dû le porter jusque dans la barque, pour le jeter au beau milieu du fleuve. Pour être sûr de s’en être débarrassé.
Je restai pensif quelques secondes.
— Mais alors ? Pourquoi l’aurait-on d’abord mis dans cette glacière ? Ça n’a pas de sens !
Bertier haussa les épaules. Il n’en savait rien. Et moi non plus.
J’étais fatigué, trempé, je ne pensais qu’à me mettre au chaud. La nuit commençait à tomber. Il était plus urgent de rentrer avant la nuit. On avisera demain. Nous avions retrouvé le disparu, c’était le plus important. Ensuite, on devra prévenir la famille…
Le retour vers le château fut pénible. Cheminant dans une quasi-obscurité, nous nous prenions maintes fois les pieds dans la végétation et je poussais des hauts cris chaque fois que marchais sur quelque chose de pointu. La nuit était presque tombée à notre arrivée. Traversant la cour déserte, je me glissai subrepticement à l'entrée de service pour quémander un quelconque vêtement de rechange ou une simple couverture pour me réchauffer. Lorsqu’elle me vit apparaître au seuil de sa cuisine, grelottant de froid, les vêtements encore humides et boueux, la cuisinière éclata de rire et eut du mal à s'arrêter.
Je sais, j’avais un drôle d'aspect, mais ce n'était pas très charitable de se moquer ainsi d'un pauvre inspecteur de police tout crotté.
Si elle savait ce que j'avais trouvé...
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