Chapitre 12 - Le cadavre "parle" enfin !
Ce matin-là, Bertier et moi, nous fûmes convoqués par le commissaire, prévenu la veille au soir de la découverte du corps,
— Que vous arrive-t-il ? me demanda-t-il, voyant ma mine de papier mâché et mes yeux larmoyants.
— Rien, j’ai simplement attrapé un rhume, répondis-je piteusement.
— Pas étonnant, après vos exploits aquatiques d’hier !
L’inspecteur Bertier avait certainement tout déballé au commissaire. Et si, par malheur, ma mésaventure était arrivée aux oreilles indiscrètes de Martineau, cette commère invétérée alimentant régulièrement la gazette de "Radio Couloirs", cela aurait fait le tour du commissariat, aussi vite qu’une traînée de poudre.
Mais, redevenons sérieux. Renouf nous informa que le corps était bien celui de Bernard Malandain, identifié par sa famille et que celui-ci avait bien été assassiné. Bien entendu, tous les proches de la victime étaient considérés en priorité comme suspects potentiels. Puis, comme d'habitude, il faudrait chercher au-delà, parmi ses relations, faire une enquête de voisinage, etc.
— Gilbert a trouvé un nouvel élément concernant l'enquête, déclara Bertier. La victime aurait été atteinte d'un cancer du pancréas et était en sursis. Nous avons en main le résultat d'une analyse qui en fait part.
— Ses proches auraient-ils été au courant de sa maladie ? demanda Renouf.
— Je n'en ai pas l'impression, intervins-je. André Malandain m'a dit que son père se portait bien en apparence, mais qu'il avait de fréquentes douleurs à l'estomac.
— S'ils avaient su qu'il était gravement malade, ils ne se seraient pas donné la peine de le tuer, ils auraient simplement attendu sa mort pour toucher l'héritage, à moins qu'ils n'aient voulu hâter les choses. Donc ils sont tous suspects, du moins pour l'instant.
Ouf ! pensai-je, on ne m'a pas questionné sur la façon dont j'avais trouvé ce papier... Pas très "procédure" cette façon de procéder !
— Le procureur a donné son accord pour que nous lancions l'enquête préliminaire, poursuivit Renouf, puisqu'un corps a été trouvé, et qu'il a été identifié. Allons voir Vergne pour savoir ce qu'il a pu en tirer.
Lorsque nous arrivâmes à la morgue, le Dr Vergne, petit homme d'une cinquantaine d'années, aux rares cheveux roux plaqués sur son crâne et aux yeux malicieux derrière ses lunettes d'écaille, déclara, avec son humour habituel : "J'ai longuement dialogué avec mon pensionnaire et il m'a dit des choses très intéressantes !"
Puis, il s'arrêta de parler, afin de guetter nos réactions.
— Et alors ? Bon ! Arrêtez donc de nous faire languir, Vergne, annoncez la couleur ! s’écria Renouf un peu sèchement.
Comme d'habitude, le légiste avait le don de l'agacer en ne venant pas au fait tout de suite, afin de ménager le suspense. Il lui faisait le coup à chaque fois.
Sans se départir de son calme et le sourire aux lèvres, car sûr à l'avance de son petit effet, Vergne poursuivit son discours.
— Eh bien, sa cheville droite était brisée et il avait reçu un coup sur l'arrière de la tête, mais ce n'est pas ça qui l'a tué. Il a été abattu d'un coup de fusil, en pleine poitrine, d'une distance d'une cinquantaine de mètres. Et, tenez-vous bien, la balle qu'on a retrouvée date de la deuxième guerre mondiale. Le service balistique a eu du mal à identifier l'arme et a dû faire appel à un expert, qui a fini par trouver : un fusil Lee Enfield.
Cette annonce nous laissa ébahis tous les trois.
— Ce serait donc un fusil de la deuxième guerre mondiale ? s’étonna le commissaire. C'est une arme anglaise, provenant sûrement d'un stock d'armes parachutées pendant la guerre et il y en a eu plein par ici.
— Oui, étrange n'est-ce pas ? Bien entendu, il était bel et bien mort avant d'être jeté à l'eau car on n'a pas trouvé de liquide dans ses poumons. Le fait d'avoir été immergé explique également l'absence de décomposition. Et puis, il y a cette corde attachée à son pied.
— Et si... commençai-je.
Tous les regards convergèrent alors vers moi.
— Et si le meurtrier avait déposé le corps sur la barque et le jeter au milieu de la Seine, lesté par une pierre. Nous y avons retrouvé une clef qui pourrait bien appartenir à la victime. Et aussi sa carte d'identité dans la glacière, à proximité de la barque.
— C’est intéressant, continuez, m’encouragea le légiste.
— Le meurtrier, pour se débarrasser du corps, aurait attaché celui-ci à une lourde pierre. Puis, celle-ci se serait probablement dénouée, faisant dériver celui-ci vers le bras mort qui était en aval et se prendre dans les branches qui se sont accumulées dans le fond, maintenant le cadavre entre deux eaux.
— En effet, reprit Vergne, la corde qu'on a retrouvée était sûrement mal attachée. Du travail d'amateur effectué dans l'urgence.
— Par ailleurs, ce qui m'étonne, repris-je, galvanisé par cet encouragement, c'est la cheville brisée, le coup sur la tête, probablement donné avec la grosse branche que nous avons trouvée, et le coup de fusil dans la poitrine. Cela n'a pas de sens ! Pourquoi aurait-on d'abord assommé la victime pour lui tirer dessus ensuite, et d'assez loin, avec un fusil ? N'y aurait-il pas eu deux agresseurs successifs ?
— Mais oui, pourquoi pas ? remarqua Vergne, ce n'est pas idiot !
— Et puis, continuai-je sur ma lancée, pourquoi l'avoir mis dans la glacière juste avant ?
Puis s'adressant aux autres :
— Ce garçon est remarquable de perspicacité ! Un vrai Sherlock Holmes ! Et quelle imagination débordante ! Au fait, s’adressa-t-il à moi de nouveau, vous vous êtes bien remis de votre bain de pieds ? En tout cas, je vous remercie de nous avoir facilité le travail ! Grâce à vous, nous n'avions plus, qu'à attraper le corps avec un crochet et le tirer. Sinon, nous aurions dû appeler les plongeurs pour le récupérer. Et je ne sais pas s'ils auraient accepté d’aller dans un bourbier pareil !
Comme toujours, je percevais l'ironie dans ses paroles. Une de ses habituelles taquineries, accompagnée d'un clin d'œil malicieux.
— C'est tout Gilbert, remarqua Bertier pour détendre l'atmosphère. Il n'hésite pas à payer de sa personne pour rendre service !
Ils se mirent tous à rire.
— Concernant le corps dans la glacière reprit-il, ça, cela reste une énigme. Peut-être que le meurtrier n'a pas eu la possibilité de jeter le corps immédiatement. Et puis le reste, c'est à vous de le découvrir.
— Ah, trêve de plaisanteries ! poursuivit le légiste. J'oubliais un détail très important. Notre homme était condamné à plus ou moins brève échéance. Je lui ai découvert une tumeur au pancréas, apparemment non opérable. Deux ans, trois peut-être au plus à vivre !
Puis, il s'adressa à moi.
— Voulez-vous jeter un oeil à votre trouvaille ? Je suppose que vous n'avez pas vraiment eu le temps de l'examiner, étant donné les circonstances.
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