Chapitre 13 - Une sensation de "déjà vu"

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Le légiste nous conduisit dans la salle attenante. Je n'aimais pas aller dans cet endroit glacial. En fait, personne ne s’y rend généralement par plaisir et, chaque fois j'étais souvent sur le point de m'évanouir, principalement à cause de cette odeur typique de la mort, un mélange de soufre, d'ammoniac et de méthane formant ce parfum macabre. Je n'osais jamais l'avouer ouvertement, de peur de passer pour une chochotte.

Mais cette fois-ci, mon rhume me fit échapper à ce phénomène gênant et à la plaisanterie habituelle du légiste : "alors, toujours le nez aussi sensible, Gilbert ?".

Le corps reposait sagement sur une table, totalement recouvert d'une couverture. Vergne la souleva. La victime, la chevelure blanche et légèrement dégarnie, était, comme on pouvait s’y attendre, d’une pâleur cadavérique. La cicatrice en Y de l'autopsie, recousue grossièrement, balafrait sa poitrine.

Je m'approchai avec une certaine réticence et je me figeai alors. Malgré ses traits marqués par la souffrance, il y avait un je ne sais quoi de familier dans son visage. J'éprouvai un vague sentiment de « déjà vu » qui me mit mal à l’aise.

Soudain, le murmure se fit entendre pendant quelques secondes. Cette voix plaintive me répétait sans cesse : « Gilbert, vois-tu ce qu’on a fait de moi ? ».

Oh non ! Encore cette voix !

Je reculai brusquement. Je me bouchai les oreilles pour faire cesser cet insupportable monologue. Une vague glacée m’envahit, traversant mon corps de haut en bas. Le sang se retira de mon visage. Ma cage thoracique se serra, bloquée par une main de fer et je peinai à respirer. La nausée me prit…

Puis, subitement, tout s’arrêta. Je reprenais peu à peu mon souffle. Je sentais le sang affluer de nouveau, me rosissant les joues.

Renouf me regarda alors d’un air intrigué.

— Gilbert, vous ne semblez pas tourner rond ! Dès notre retour, vous viendrez tout de suite me voir dans mon bureau.

Je regagnai notre commissariat avec soulagement. Mais comment lui expliquer ce que j’avais ressenti et entendu sans me faire passer pour un cinglé ?

Dès notre arrivée, Renouf referma la porte, s'assit derrière son bureau, et m'invita à m'assoir en face de lui.

— Gilbert, que vous arrive-t-il , vous êtes souffrant ? J'ai bien cru que vous alliez tourner de l'oeil quand vous avez vu le corps. Je vous ai même vu vous boucher les oreilles. Pourtant, la victime n’était pas si bruyante que cela !

Mon esprit tournait à plein régime, tentant de fournir une explication rationnelle, sans parler de la voix que j’avais entendue. Il m’aurait pris pour un fou.

— J’ai eu comme une sorte d’intuition. Le mort n’est pas seulement celui que tout le monde connait.

— Ah bon ? C’est intéressant, mais un tantinet obscur. Vous pouvez m’expliquer ?

— Il me rappelle quelqu’un d’autre, mais je ne sais pas qui exactement. Je ne peux pas mettre de nom sur ce visage.

— Et c’est ça qui vous met dans cet état ?

Il me regarda d’un air dubitatif. M’excusant brièvement, je battis en retraite pour regagner mon bureau. J’étais sûr que tôt ou tard, il allait me cuisiner.

Puis, tête basse, je me plongeai dans mes tâches administratives, sans adresser la parole à quiconque. Pas même à Martineau, surpris par mon application soudaine et mon mutisme.


Pendant la nuit qui suivit, je fis de nouveau le même cauchemar, celui de l'homme immergé, ce qui me fit me réveiller en sursaut. Sa voix était revenue, murmurant toujours des paroles incompréhensibles au milieu des bulles, mais son visage m’apparut un peu plus nettement. C’était bien celui de l'homme de la morgue. J’avais l’impression de le connaître, sans pouvoir lui donner de nom. Mais, cette fois-ci, j'avais réussi à garder mon calme.

Puis, des questions obsédantes me firent me retourner maintes fois dans mon lit.

Finalement, craignant de me rendormir et de retomber dans mon rêve, je finis par me lever sans bruit et aller réfléchir sur le canapé du salon. Relisant sans cesse mon précieux carnet, j’espérai vainement y trouver des réponses dans ses pages gondolées.

Mais au lieu de réponses, les mêmes questions revenaient sans cesse. Comment le meurtre s’était-il donc déroulé ? Pourquoi donc l’aurait-on assommé d’abord pour lui tirer dessus ensuite à coup de fusil ?

Et puis, pourquoi aurait-on tué cet homme avec une arme de la seconde guerre mondiale ? D'où sortait-elle ? Ou était-elle maintenant ? Et d'où le tir pouvait il provenir ? Et pourquoi l'avait-on transporté dans la glacière ? Et surtout, qui était l’assassin ?

Enfin, pourquoi cette voix obsédante ? Pourquoi m’avait-elle appelé par mon prénom ? Pour quelle raison ce meurtre m’affectait-il donc autant ?

Tout cela tournait et retournait en boucle dans ma tête, sans que j'y trouve vraiment de réponse.

Bien entendu, le sommeil tarda à revenir. Et je me réveillai, le lendemain, en chien de fusil sur le canapé du salon, avec un torticolis et les reins en compote.

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