Introduction
Note de l'auteure
Avant de commencer quoi que ce soit, je voulais te remercier, toi qui commence à lire cette histoire.
Cette histoire trotte dans ma tête depuis cinq ans, comme un murmure que je n'ai jamais pu ignorer. Un écho persistant qui résonne dans mes pensées, le jour comme la nuit. J'ai passé des heures — non, des centaines d'heures — à griffonner des brouillons, à noircir des carnets entiers, à construire et déconstruire des scénarios qui tentaient de retranscrire avec la plus grande honnêteté l'univers né dans mon esprit à mes treize ans.
Certains jours, j'avais l'impression de tenir quelque chose de précieux entre mes mains. D'autres, je doutais de tout, je froissais les pages et recommençais. Mais cette histoire ne m'a jamais lâchée. Elle voulait exister, être racontée, prendre vie.
Je remercie aussi une amie qui m'a aidée à démarrer ce projet qui, je l'avoue, a pris une ampleur dans mon esprit que je n'aurais jamais imaginée. Sans elle, je serais peut-être encore en train de reporter ce premier chapitre à "demain".
Ce chapitre est volontairement court. Il sert d'amorce, de porte d'entrée vers un univers qui va progressivement se dévoiler. Considère-le comme les premières notes d'une mélodie — légères, innocentes, mais porteuses de quelque chose de plus profond.
Je ne te fais pas perdre plus de temps.
Bienvenue dans la vallée des Trois Sapins.
J'espère que tu t'y plairas.
Chapitre 1
2 mars 2006
Ah, enfin libre !
Ce qu'ils peuvent être longs, les cours de Madame Georges. Interminables, même. J'ai l'impression que chaque minute dans sa classe dure une éternité, que les aiguilles de l'horloge au-dessus du tableau se traînent exprès pour me torturer.
Cette prof, elle me fait marrer. Elle est là, debout devant nous avec son petit chemisier beige impeccable et ses lunettes qui glissent sans arrêt sur son nez, et elle nous balance : « Carpe Diem, les enfants ! Profitez de l'instant présent ! »
Sérieusement ? Elle croit vraiment que j'arrive à profiter du moment, les fesses clouées sur une chaise inconfortable pendant trois heures d'affilée ? À écouter des conjugaisons de verbes et des analyses de textes qui ne me parlent même pas ? Ah ah, si les adultes pouvaient m'entendre dans ma tête, ils me diraient encore que je ne suis qu'une enfant pourrie gâtée qui ne fait que se plaindre.
Mais c'est vrai, quoi. Oui, je l'affirme haut et fort : je perds du temps en cours. Je perds du temps précieux alors que je pourrais être dehors, à respirer l'air frais, à explorer les jolis environs autour de chez moi. À vivre, vraiment vivre.
Parce que moi, ce qui me fait vibrer, ce n'est pas l'accord du participe passé ou les figures de style. Non. C'est la forêt.
La forêt.
Cela fait depuis ma naissance que je vis dans le village de la vallée des Trois Sapins. Un petit bout de monde oublié par le temps, où tout le monde se connaît, où les maisons aux volets colorés se serrent les unes contre les autres comme pour se tenir chaud.
Et moi, je m'y sens épanouie. Vivante. Chez moi.
La forêt qui entoure notre village est si belle, si vaste, si mystérieuse. Je n'ai pas encore eu le temps d'en déceler tous ses secrets, j'en suis certaine. Il y a des clairières cachées où la lumière filtre à travers les branches comme des fils d'or, des sentiers tortueux qui serpentent entre les troncs moussus, des ruisseaux cristallins qui murmurent des histoires que personne n'écoute plus.
Des secrets que même la brume — cette brume épaisse qui s'y dépose chaque matin comme un voile — ne veut pas révéler.
Il y a des endroits là-bas où je ne vais jamais. Même moi. Des zones où mes pas ralentissent instinctivement, où mon cœur se serre sans raison apparente. C'est comme si quelque chose m'en empêchait, une main invisible posée sur mon épaule qui me chuchote : "Pas encore. Ce n'est pas le moment."
Mais qui sait ? Peut-être que demain, j'y trouverai enfin ce que j'ai toujours cherché. Ce sentiment étrange qui me tire vers ces bois depuis que je suis petite, cette impression qu'il y a quelque chose d'important qui m'attend là-bas, dissimulé sous les fougères et les ombres.
Alors les profs, qu'ils me disent ce qu'ils veulent. Moi, j'ai décidé de consacrer ma vie à découvrir des mystères. À explorer. À comprendre. Là, oui, je vous dirais que j'ai une vraie raison de vivre. Pas dans une salle de classe qui sent la craie et l'ennui.
Je marchais à vive allure dans le couloir du lycée, mes baskets crissant sur le lino, mon sac ballottant contre mon dos. Il fallait que je rentre chez moi au plus tôt. Que je me débarrasse de cet uniforme étouffant — enfin, façon de parler, on n'a pas vraiment d'uniforme, mais mon jean et mon pull me donnent l'impression d'être prisonnière quand même.
Autant les profs, je m'en fiche royalement. Mais la Madre ? Ça, c'est autre chose, moi je vous le dis !
Ma mère, elle ne rigole pas avec les bêtises. J'ai failli être privée de sortie définitive dans les bois pour avoir dessiné une forêt sur le mur de la classe avec mon stabilo vert fluo. Oui, vous avez bien lu. Une forêt entière, avec des arbres, des oiseaux, tout le tralala.
Je sais, c'est bête, hein ? Mais ils ne savaient pas ce qu'ils risquaient à m'enfermer trois heures dans une salle pour des travaux d'intérêt général après les cours. Mon esprit s'évade, mes mains ont besoin de créer, et ce mur blanc me narguait. Il appelait à être décoré !
J'ai même pas pu rajouter des petits papillons à mon œuvre d'art avant qu'ils me chopent ! C'était dégueulasse, injuste. Mais bon, ils garderont ma trace, tant pis pour eux. Ils n'avaient qu'à pas m'enfermer dans une cage.
Le côté positif dans tout ça ? Maintenant, en cours, j'ai l'impression d'être un peu plus proche de ma forêt. Je peux regarder mon dessin et m'imaginer là-bas, les pieds dans l'herbe humide, le vent dans les cheveux.
— AYA !
Oh merde...
Je me suis encore laissée emporter par mes pensées. Capucine m'a rattrapée avant même que je réalise que j'étais déjà à moitié sortie du bâtiment, une main sur la porte vitrée qui donne sur la liberté.
— Alors maintenant tu te permets de sortir des cours comme ça ?! s'exclame-t-elle en me bloquant le passage, les poings sur les hanches dans une posture qu'elle doit croire intimidante. Pourquoi tu te permets toujours de faire des trucs limites, hein, Aya ?!
Je la regarde, un peu amusée malgré son air furieux. Elle, toujours prête à m'engueuler comme si c'était son rôle sacré dans la vie. Comme si elle était ma conscience incarnée.
C'est marrant, parce qu'en dépit de sa petite taille — elle doit faire un mètre cinquante-cinq à tout casser — c'est souvent elle qui fait office de "grande sœur" responsable. Celle qui me rappelle mes devoirs, mes limites, mes obligations. Moi, je suis juste la tête brûlée, la casse-cou qui fonce tête baissée et réfléchit après. Ou pas du tout, selon les jours.
— Capucine, tu vas pas me dire que la prof ne m'a pas tendu une perche, quand même ! dis-je en essayant de prendre un air innocent.
J'essaie de lui faire mon sourire charmeur, tu sais, celui avec les fossettes qui me permet généralement de m'en sortir dans la plupart des situations délicates. Mais ça ne marche pas cette fois. Elle n'est vraiment pas d'humeur, ses yeux noisette me fusillent.
Eh bien tant pis. Je l'ai dans l'os.
— Bon, tu comprends quoi là ?! Le bac de français, Aya, LE BAC ! poursuit-elle en agitant les mains devant mon nez. On est en Première, faut se réveiller ! Mais bon...
Elle soupire, passe une main dans ses cheveux. Son ton s'adoucit légèrement.
— Tu es partie si soudainement que je n'ai pas pu te dire ce que je voulais te dire.
Eh oui, elle est comme ça, ma petite Capucine. Après l'orage vient le beau temps, comme on dit. Une minute elle me passe un savon, la minute d'après elle est redevenue ma meilleure amie.
— Bref, enchaîne-t-elle en me souriant enfin, on se fait notre soirée pyjama du mois demain soir ?
Je fis mine de réfléchir, portant dramatiquement ma main à mon menton, histoire de la taquiner un petit peu. Elle déteste ça.
— HmmmmH... ah, je sais pas. Je vois trop souvent ta tête, à toi.
— Pardon ?!
Oh, comme j'adore quand elle prend ce petit air renfrogné, cette moue outrée qui plisse son nez couvert de taches de rousseur. C'est trop mignon pour être crédible.
Je la pris par les épaules, jouant distraitement avec ses longs cheveux roux qui forment de jolies petites ondulations naturelles. Elle a vraiment de beaux cheveux, Capucine. Moi, les miens sont raides comme des baguettes et d'un châtain fade qui ne ressemble à rien.
— Mais oui, évidemment ! La question ne se pose même pas, ma chère ! Je serais là, avec des tonnes de snacks et ma pire humeur, comme d'habitude.
— T'as de la chance que je t'aime bien, toi, grommelle-t-elle en me poussant gentiment.
Elle se retourna ensuite pour me faire des chatouilles, essayant de me faire détaler. On rigole comme des gamines, là, en plein couloir du lycée, et franchement je m'en fiche. On est super complices toutes les deux. On vit dans des maisons voisines, on se connaît depuis qu'on est hautes comme trois pommes. C'est comme si elle était ma sœur.
— Au fait, ajoute-t-elle avec un petit sourire en coin qui ne me dit rien qui vaille, il y aura Emy aussi !
— C'est vrai ?! m'exclamai-je, les yeux brillants.
J'adorais Emy, la grande sœur de Capucine. Pour moi, elle représentait un vrai modèle de beauté et d'assurance. Elle avait vingt ans, étudiait à la fac en ville, et revenait au village dès qu'elle le pouvait.
Elle avait de jolies courbes généreuses qui la rendaient tellement féminine, un sourire d'ange avec des joues de petit chérubin toujours un peu roses. Ses yeux ronds, verts comme des émeraudes, étaient à ensorceler n'importe quel mec, je vous assure ! Et elle savait s'habiller, aussi. Toujours stylée, toujours parfaite.
Je paye pas de mine, moi, à côté. Je suis une grande asperge, me dirait-on gentiment. Trop grande — un mètre soixante-quinze à seize ans, c'est pas commun pour une fille — et trop maigre. Des bras et des jambes interminables, une silhouette anguleuse qui me donne l'air d'un échalas.
C'est pas vraiment marrant. J'aimerais bien gagner en muscle, avoir un peu de formes. Mais j'ai beau manger comme un ogre et courir comme une athlète dans les bois tous les jours, je ne gagne pas un gramme. Mon métabolisme est une blague.
Mais bon, ça, on s'en fiche. Enfin, j'essaie de m'en ficher.
— Bon, je file avant que ma mère envoie une brigade de recherche, lançai-je à Capucine en lui faisant une bise rapide sur la joue. À demain soir !
— N'oublie pas les chips ! me cria-t-elle alors que je franchissais enfin la porte.
L'air frais du dehors me gifla agréablement le visage. Le ciel était d'un bleu pâle, presque translucide, et le soleil commençait déjà à descendre derrière les montagnes. Les ombres s'allongeaient sur la route du village.
Je pris le chemin habituel, celui qui longe la lisière de la forêt. Mes yeux se tournèrent instinctivement vers les arbres. Ils étaient là, immobiles, imposants, comme des gardiens silencieux. Les premiers bourgeons du printemps commençaient à percer sur les branches.
La brume matinale s'était dissipée, mais je savais qu'elle reviendrait demain. Elle revenait toujours. Comme un rituel immuable.
Un frisson me parcourut l'échine. Pas de froid. Non. C'était autre chose. Cette sensation bizarre que j'avais parfois en regardant la forêt. Comme si quelque chose m'observait. Comme si les arbres eux-mêmes me connaissaient.
Je secouai la tête. T'es vraiment chelou, Aya.
Mais au fond de moi, je le savais. Elle pouvait sembler banale, ma vie. Une lycéenne ordinaire dans un village perdu, qui rêve d'aventures et déteste les cours.
Mais en vérité, il y avait des choses que je n'avais pas encore comprises. Des choses qui s'éveilleraient bientôt, tapies dans l'ombre des sapins. Des choses que la forêt seule savait.
Et quelque part, tout au fond de mon âme, je sentais que ma vie était sur le point de basculer.
Je ne savais juste pas encore à quel point.

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