Nuit Agitée

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Chapitre 2
3 mars 2006

Je me trouvais dans ma chambre, en train de fourrer des vêtements n'importe comment dans mon sac pour la soirée chez les filles. Mon regard dériva vers le grand miroir ovale accroché juste derrière mon lit.

Ce foutu miroir.

Il m'a toujours fait un peu peur, ce truc. Depuis que je suis gamine, j'ai cette impression bizarre que mon reflet pourrait se détacher du verre, faire un pas en avant et commencer à vivre sa propre vie. À faire des trucs à sa façon, sans me demander mon avis. C'est complètement débile, je sais. Mais c'est plus fort que moi.

Je me suis moquée de moi-même en secouant la tête. C'est à cause de tous ces films de fantômes que je dévore depuis des années. J'ai toujours été fascinée par le paranormal, les histoires qui donnent la chair de poule, tout ce qui ne peut pas s'expliquer rationnellement. Et contrairement à la plupart des gens, j'y crois vraiment. Pas par naïveté, mais parce que je sens qu'il y a des choses là-dehors qu'on ne comprend pas encore.

Pour moi, il existe des phénomènes inexplicables, des dimensions qu'on ne peut pas percevoir. Et je suis presque certaine qu'un jour, je vivrai une expérience dans ce genre. Une vraie. Pas juste une porte qui claque ou une ombre dans le coin de l'œil. Non, quelque chose d'indéniable. C'est presque devenu un défi que je me suis lancée.

Mes yeux se posèrent sur la pile de DVD entassés sur mon bureau, près de ma lampe. Un dilemme s'imposa : j'en prends un pour chez Emy et Capucine ou pas ?

Allez, pas le temps de tergiverser. Je chopai le dernier film d'horreur que j'avais acheté — celui dont tout le monde parlait, avec les critiques qui disaient qu'il était "trop intense pour les âmes sensibles". Parfait.

L'accès chez Capucine et Emy était un jeu d'enfants. Il me suffisait de sauter la petite barrière en bois qui séparait nos deux jardins et... hop ! Quelques pas et j'étais devant leur porte.

Je frappai trois coups. Emy m'ouvrit presque instantanément, comme si elle m'attendait derrière.

Elle était magnifique. Elle portait une robe pin-up bleu ciel qui mettait en valeur ses courbes généreuses et qui s'accordait parfaitement avec la couleur de ses yeux. Ses cheveux roux au carré étaient relevés en un chignon lâche, quelques mèches encadrant son visage poupin.

— Wouah, t'es trop belle ! lâchai-je sans réfléchir.

Elle rougit instantanément, ses joues prenant cette teinte rose adorable qui la rendait encore plus mignonne.

— Oh, arrête Aya, tu vas me faire rougir ! protesta-t-elle en détournant les yeux.

Emy, c'est le genre de fille super timide. Douce, gentille, mais tellement influençable que ça m'inquiète parfois. Elle a du mal à dire non, à s'affirmer. Je me demande si sa timidité ne lui joue pas des tours dans la vie, si elle ne se laisse pas trop marcher sur les pieds.

— Non, mais sérieusement, c'est un fait ! insistai-je en entrant dans la maison. T'es canon ce soir !

À ce moment-là, Capucine déboula du salon avec son air toujours un peu moqueur et ce petit sourire en coin qui me disait qu'elle avait entendu.

— Ah, voilà madame la flatterie qui débarque ! lança-t-elle en croisant les bras.

Je me jetai dans ses bras comme d'habitude, la serrant fort. Je savais que ça lui faisait plaisir même si elle ne l'avouerait jamais. Capucine, c'est le genre à râler mais à adorer secrètement l'attention.

— T'es vraiment incorrigible, grommela-t-elle en me tapotant le dos.

— Oh allez, fais pas ta rabat-joie ! J'ai une surprise pour toi...

Je sortis discrètement le DVD de mon sac, le brandissant comme un trophée.

Les yeux de Capucine s'écarquillèrent.

— Non mais t'as osé ?

— Allez, tu sais bien que tu adores ça ! répondis-je avec un sourire carnassier.

Derrière nous, Emy se mit à sauter sur place comme une gamine le matin de Noël.

— Aya, je t'adore ! Je voulais trop voir ce film au ciné, mais maintenant, plus besoin !

Je jetai un petit coup d'œil à Capucine. Son sourire s'était légèrement crispé. Je savais que ça allait la rendre mal à l'aise — elle détestait les films d'horreur, les trucs flippants qui la faisaient se cacher derrière un coussin. Mais jamais elle ne l'avouerait devant nous. Question de fierté.

Tant pis. Je n'étais pas prête à lâcher mon film d'horreur juste pour ça.

Il était environ vingt et une heures trente quand on a enfin lancé le film. Le salon était plongé dans la pénombre, seulement éclairé par la lueur bleutée de l'écran.

Moi, je m'étais totalement plongée dedans, captivée par chaque scène, chaque jump scare. À côté de moi, Emy s'était endormie sur le canapé, la tête penchée sur le côté, la bouche légèrement entrouverte. Elle dormait comme une masse.

Capucine, elle, se leva brusquement et éteignit la télé d'un geste sec.

— Mais ! protestai-je.

— Il est vingt-trois heures trente-trois, Aya. Tu te rends compte de l'heure ? Il serait temps d'aller dormir, non ?

Je la regardai, surprise par son ton cassant. Elle évitait mon regard, tripotant nerveusement l'ourlet de son pyjama. Le film l'avait clairement secouée plus qu'elle ne voulait l'admettre.

Je me tournai vers Emy. Elle dormait profondément, complètement dans les vapes. Je la secouai doucement par l'épaule.

— Emy ? Emy, réveille-toi...

Rien. Elle ne broncha même pas.

— Je crois qu'on l'a perdue, soupirai-je.

Capucine monta à l'étage, me lançant par-dessus son épaule :

— Rejoins-moi dans ma chambre après, une fois qu'Emy se sera réveillée.

Je restai en bas avec le corps endormi de mon amie, me demandant si c'était vraiment une bonne idée de rester seule dans ce salon faiblement éclairé après un film pareil. L'atmosphère était trop calme. Trop étrange. Le silence pesant, seulement troublé par la respiration régulière d'Emy.

Et puis je commençai à avoir cette sensation bizarre. Comme si je n'étais pas seule. Comme si quelque chose — ou quelqu'un — me regardait depuis les ombres.

Je secouai la tête. Arrête tes conneries, Aya.

Après quelques minutes interminables, je pris la décision de monter rejoindre Capucine. Tant pis pour Emy.

J'observai les cadres accrochés le long de l'escalier en montant les marches. Ils étaient nombreux, alignés comme une galerie de souvenirs figés dans le temps. On y voyait deux petites filles — Emy et Capucine, beaucoup plus jeunes — accompagnées de deux adultes souriants. Leurs parents.

J'eus un pincement au cœur.

Je les avais connus, ces gens-là. Ils étaient gentils, chaleureux, toujours prêts à rire. Mais ils sont malheureusement décédés dans un accident de voiture tragique quand leurs filles n'avaient à peine que quatre et huit ans.

Je me rappelle de cette époque sombre. Mes parents avaient hébergé les filles pendant plusieurs mois afin qu'elles puissent avoir un toit temporaire et se sentir en sécurité. Je me rappelle qu'Emy avait beaucoup pleuré, des crises incontrôlables qui duraient des heures. Des sanglots déchirants qui me réveillaient parfois la nuit.

Mais étrangement, Capucine était restée beaucoup plus calme. Trop calme, même. Elle ne pleurait presque jamais, gardait tout à l'intérieur, serrait les dents.

Et pourtant, aussi étrange que cela puisse paraître, je pense qu'elle a souffert encore plus de cet événement malheureux qu'Emy. Elle s'est forgée une carapace épaisse, une armure invisible. Et à présent, si elle a toujours ce ton adulte et autoritaire qui peut parfois être agaçant, je pense que c'est en quelque sorte une façon pour elle d'exprimer ce désir de parentalité qui lui a manqué une bonne partie de sa vie. Elle joue la grande sœur responsable parce qu'elle n'a plus personne pour jouer ce rôle pour elle.

Cela a aussi joué sur sa santé physique. Depuis cet événement, elle a pris du poids et on lui a diagnostiqué un diabète. Le stress, le chagrin, tout ça laisse des traces.

Je me dis parfois que j'ai de la chance d'avoir la vie que j'ai. Mes parents sont là, en bonne santé, et je ne manque de rien. C'est pour ça que j'essaie d'égayer la vie de ceux qui en ont besoin. De leur apporter un peu de légèreté.

J'atteignis le palier du premier étage et m'arrêtai net.

Quelque chose clochait.

Tout semblait... déformé. Comme dans un rêve. Non, dans un rêve.

Le couloir s'étirait devant moi de manière anormale, trop long, les murs légèrement inclinés. La lumière avait cette qualité étrange, diffuse, qui ne venait de nulle part et de partout à la fois.

Je baissai les yeux. Le sol... le sol n'était plus du parquet.

C'était une substance noire, visqueuse, qui ondulait légèrement comme si elle respirait. Je posai un pied dessus et ça fit un bruit de succion dégoûtant. La matière collait à ma chaussure, s'étirant en filaments gluants quand je soulevais mon pied.

C'est un rêve, me dis-je. Tu rêves, Aya. Calme-toi.

Je savais que c'était un rêve. Je le sentais. Cette lucidité étrange où une partie de ton cerveau est consciente mais où ton corps continue d'agir comme si tout était réel. Un rêve lucide.

Mais putain, ça semblait tellement réel.

J'avançai prudemment dans cette substance immonde. Chaque pas produisait ce bruit ignoble de ventouse mouillée. L'odeur aussi commença à me parvenir — une odeur métallique, écœurante, de sang et de quelque chose de pourri.

Au bout du couloir, je vis une porte. Enfin !

Je me mis à courir vers elle, mes pieds pataugeant dans la substance noire. Mais plus je courais, plus la porte semblait s'éloigner, reculant au même rythme que j'avançais. Comme si le rêve se jouait de moi.

— Super... marmonnai-je, essoufflée et frustrée.

Je ralentis, décidant de marcher calmement. C'est là que je le vis.

Un mannequin.

Il se tenait là, au milieu du couloir, blanc immaculé. Enfin, presque. Du sang épais et rouge recouvrait entièrement sa tête, dégoulinant sur ses épaules comme de la peinture fraîche.

Je m'approchai lentement. Malgré la terreur qui me nouait l'estomac, une partie rationnelle de mon esprit me répétait : Ce n'est pas réel. C'est juste un rêve.

Je tendis la main et touchai le mannequin. Le sang était chaud. Visqueux. Il adhérait à mes doigts comme du sirop.

Du vrai sang.

Mais bon, je savais que tout ça n'était pas réel. Alors je continuai, m'essuyant distraitement les mains sur mon pantalon.

J'avançai encore. Un autre mannequin apparut, celui-ci allongé dans une sorte de flaque de liquide bleu électrique. Ses membres étaient tordus dans des angles impossibles, comme s'il avait été brisé puis recollé n'importe comment.

Puis un autre. Celui-là avait un couteau planté dans le ventre, la lame enfoncée jusqu'à la garde. Ses bras articulés semblaient tendus vers moi, comme s'il me suppliait de l'aider.

Je n'étais pas vraiment prête à aider un bout de plastique, alors je continuai ma route, le cœur battant de plus en plus fort.

Les mannequins se multipliaient. À chaque nouveau pas, j'en découvrais un autre. Décapité. Éviscéré. Brûlé. Démembré. Chaque scène devenait de plus en plus gore, de plus en plus insoutenable.

Je sentais la nausée monter. Mon souffle devenait court, saccadé. J'étais épuisée, mais je ne pouvais pas m'arrêter. Quelque chose me poussait en avant, une force invisible.

Continue. Va jusqu'à la porte.

Enfin, après ce qui me sembla être une éternité, j'atteignis la porte. Elle était là, immense, en bois sombre, légèrement entrouverte.

Une silhouette noire se tenait juste devant. Grande, massive, sans traits définissables. Juste une forme humanoïde faite d'ombre pure.

— Hé ! criai-je, ma voix résonnant étrangement dans le couloir. Qui êtes-vous ?!

La silhouette ne répondit pas. Elle se contenta de se fondre dans l'air, comme de la fumée aspirée par un courant invisible.

Sans réfléchir — parce que dans les rêves on ne réfléchit jamais vraiment — je me lançai à sa suite à travers la porte.

BOUM.

Je me retrouvai brutalement projetée sur le sol de la chambre de Capucine, le choc me coupant le souffle.

— Mais Aya, t'es malade ou quoi ?! s'exclama Capucine en se redressant dans son lit.

J'avais mal. Mal à l'arrière-train. Mal au dos. Mal partout. Mais c'était rien comparé à l'angoisse qui continuait de pulser dans mes veines.

— Capucine... haletai-je en me relevant péniblement. Tu n'imagines même pas... C'était un rêve lucide de malade !

— T'as qu'à arrêter avec tes films bizarres, grommela-t-elle en se frottant les yeux.

Emy déboula dans la chambre, l'air inquiet.

— Aya, t'es... t'es trempée ! s'exclama-t-elle.

Je baissai les yeux.

Mon cœur manqua un battement.

J'étais complètement mouillée. Mes vêtements dégoulinaient, mes cheveux collaient à mon visage et à mon cou. De l'eau formait une petite flaque à mes pieds.

— Mais je... je comprends pas...

La panique monta en moi comme une vague glacée.

Emy me tendit une serviette, son visage empreint d'une compassion inquiète.

— Je crois que t'as dû faire une crise de somnambulisme, Aya. Tu es allée sous la douche sans t'en rendre compte.

Capucine était déjà en train de vérifier la salle de bain à côté. Elle revint quelques secondes plus tard.

— La baignoire est trempée. Et le sol aussi. Allez, va te laver correctement, Aya. Tu vas attraper froid.

Sous la douche, je laissai l'eau chaude couler sur ma peau glacée, essayant de me détendre. Mais mon esprit tournait en boucle.

Ce rêve. Ce putain de rêve.

C'était tellement bizarre. Tellement intense. Tellement réel.

J'avais toujours l'impression que quelque chose de sombre restait collé sur ma peau, comme une trace invisible mais palpable. Une présence. Une ombre.

Et cette silhouette noire...

Je fermai les yeux sous le jet, tentant de chasser ces images. Mais elles restaient là, gravées dans mon esprit.

Quelque chose avait commencé cette nuit.

Quelque chose que je ne comprenais pas encore.

Mais une certitude s'imposa à moi, froide et terrifiante : ce n'était que le début.

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