Confiance

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Chapitre 11
8 mars 2006

PARTIE 1 — 10h00
POV : Gabriel

J'étais seul, complètement seul, étendu sur mon lit défait, les yeux rivés au plafond blanc comme si les fissures sur la peinture écaillée allaient miraculeusement me donner la réponse à tout ce bordel qui tournait dans ma tête.

Mes pensées tournaient en boucle infernale, s'entrechoquaient violemment comme des vagues trop fortes qui finissent inexorablement par m'engloutir. Je me noyais dans mes propres doutes.

Hier. Putain, hier.

C'était le chaos absolu. Tout s'est passé beaucoup trop vite, beaucoup trop brutalement. Comme si le temps lui-même avait brusquement accéléré sans prévenir personne, nous laissant tous sur le carreau.

Vous n'allez pas me croire... mais Hannah est morte. Vraiment morte.

Une fille de seize ans. Discrète. Intelligente. Observatrice.

Morte.

Et la pire partie dans tout ça ? Tout le lycée, absolument toutes ces voix qui murmurent sans arrêt, qui chuchotent dans les couloirs... Elles accusent Nathan. Mon meilleur ami. L'ami que je croyais invincible, inébranlable.

Mais il y a un truc majeur qui cloche. Un truc énorme que personne ne veut voir. Que personne ne veut accepter.

Le lycée a officiellement annoncé que Nathan ne pouvait mathématiquement pas être coupable. Selon les profs et l'administration, il était coincé dans le bureau fermé du proviseur au moment exact où Hannah est morte, à quinze heures trente précises, retrouvée inconsciente dans le lit de l'infirmerie.

Une overdose. Une putain d'overdose massive de somnifères.

Nathan avait effectivement bien ouvert le bal avec cette histoire de première injection à la cantine. Mais ce que personne ne réalise, ce que personne ne veut voir, c'est qu'une deuxième piqûre a été découverte sur le corps d'Hannah. Une dose absolument astronomique de somnifère. Mortelle.

Or, Nathan n'aurait jamais, jamais pu injecter ça lui-même. Impossible physiquement. Au moment précis des faits, il était sous surveillance constante, enfermé dans une salle où strictement personne ne pouvait entrer ni sortir sans être vu.

Alors pourquoi, putain, pourquoi tout le monde continue obstinément de le pointer du doigt ? Pourquoi les regards, les murmures, les accusations silencieuses ?

Parce que c'est tellement plus simple de s'en prendre à lui. Plus simple, plus confortable de croire à un coupable tout trouvé, bien visible, déjà désigné.

J'enfonce violemment ma tête dans l'oreiller moelleux, suffoquant presque sous le tissu. J'ai envie de hurler à m'en déchirer les cordes vocales, de tout casser dans cette chambre, mais je reste là, complètement paralysé par ce déni collectif qui me ronge de l'intérieur.

Comment mon meilleur pote, mon frère de cœur, aurait pu faire une chose pareille ? Qu'est-ce qui aurait pu le pousser à tuer ? Je connais ses secrets les plus sombres, ses failles profondes, ses rêves les plus fous... et tuer une fille qu'il connaît à peine, publiquement, devant des témoins, ça n'a strictement aucun sens logique.

Mais j'en suis absolument sûr, même s'il était au bout du rouleau psychologique, Nathan n'aurait jamais fait ça de manière aussi stupide et évidente. Il aurait été infiniment plus discret, plus malin, plus calculateur.

Une idée persiste, obsédante, refusant de me lâcher : et si c'était lui physiquement, mais pas vraiment lui mentalement ?

Je me retourne brusquement dans mon lit froissé. Et là, comme chaque fois depuis deux semaines, il est là. Celui que je déteste plus que tout au monde.

Mon double. Mon "soi-disant intangible". L'Invisibilité incarnée.

— Salut, toi, lance-t-il avec ce sourire venimeux et arrogant que je hais profondément.

Il me ressemble comme deux gouttes d'eau, trait pour trait, mais c'est un miroir horriblement déformé. C'est mon passé violent, mon côté sombre et impitoyable que j'ai essayé d'enterrer.

— Alors, ça a encore frappé ? Y a eu une autre victime innocente ? lance-t-il d'un air complètement désinvolte, comme si tout ça n'était qu'un jeu amusant pour lui.

Ça me rend littéralement fou de rage.

Je bondis du lit et le saisis violemment par le col de sa chemise noire, la rage pure me brûlant la gorge.

— Tu te rends compte au moins de ce que tu dis, espèce de salopard sans cœur ?!

J'ai toujours été rationnel, cartésien, scientifique dans mon approche du monde. Mais cette chose, ce double qui revient sans cesse me hanter, m'a fait progressivement avaler des histoires que je n'aurais jamais cru possibles il y a encore un mois.

Quand j'ai vu mon propre sang virer au bleu électrique pour la première fois, quand les présages terrifiants qu'il m'a annoncés se sont réalisés avec une précision glaçante, j'ai su que j'étais pris au piège dans un truc beaucoup, beaucoup plus grand que moi.

Je voulais désespérément parler à mes parents, demander de l'aide professionnelle, mais quelque chose de puissant en moi me retenait. Une peur sourde, viscérale, inexplicable.

— Une fille est morte, morte, tu piges ça ?! Une vie humaine s'est éteinte !

Il lève les yeux au ciel, blasé et ennuyé.

— Oh, fais pas comme si je t'avais pas clairement prévenu que ça arriverait...

Il joue distraitement avec les cordes métalliques de ma guitare électrique posée contre le mur, comme s'il se foutait complètement de tout.

— Hey, au fait, ta guitare est complètement désaccordée, mec. Tu devrais t'en occuper.

Je suis complètement à côté de la plaque mentalement, moi aussi. Perdu.

Tant qu'il est là physiquement devant moi, autant en profiter pour creuser, pour obtenir des réponses.

— Dis-moi franchement... Nathan, il pourrait être le dangereux criminel dont tu me parles constamment depuis le début ?

Ses sourcils se froncent légèrement, surpris par la question.

— Hé, j'en sais strictement rien, moi. C'est ton boulot de le découvrir, pas le mien. Je suis juste là pour t'aider, pas pour tout faire à ta place.

— Mais alors pourquoi t'es venu aujourd'hui ? Pourquoi maintenant ?

Il hausse négligemment les épaules.

— Parce que j'étais sincèrement déçu de voir que c'était une jolie poupée innocente qui était morte, voilà pourquoi. Gâchis total.

Je serre violemment les poings, me retenant difficilement de lui coller une droite monumentale en pleine figure. Quel culot incroyable, vraiment ! Et dire que j'ai été comme lui, avant. Quelle honte profonde.

— C'est possible que Nathan ait été manipulé, possédé par ce tueur mystérieux ?

— Oui, monsieur, c'est tout à fait possible, répond-il avec un sourire cruel. Tu savais que notre cher destructeur possède l'accès à trente univers parallèles différents ? Avec ça, il peut faire des tours de passe-passe absolument dignes d'un magicien tordu et sadique.

Mon sang se glace instantanément dans mes veines.

— MAIS POURQUOI TU NE ME L'AS PAS DIT PLUS TÔT ?! hurlai-je, la frustration explosant. C'EST UNE INFORMATION CRUCIALE !

— Oh, j'avais complètement zappé ce détail, quoi... Désolé.

— Quel incapable pathétique...

— Mais tu sais que tu peux découvrir par toi-même si ton précieux ami est celui que tu redoutes tant...

Je m'approche dangereusement de lui, menaçant.

— Alors, explique-moi immédiatement comment faire, ou je t'assure solennellement que mon poing va finir exactement là où tu penses.

— Oh là, le gentil garçon modèle s'énerve enfin ! Calme-toi un peu, pauvre chou fragile.

Il agite négligemment un petit objet tranchant sous mon nez. Une pierre pointue.

— Ne me dis surtout pas que t'as déjà oublié ce détail essentiel sur le sang...

PARTIE 2 — 15h30
POV : Gabriel

Je sautai littéralement sur mon vieux vélo rouillé, mon cœur battant à tout rompre dans ma poitrine. Chaque seconde comptait désormais. Je devais absolument savoir si Nathan était vraiment celui qu'on disait, si son sang, son corps, étaient normaux, ou si la rumeur horrifiante avait un fond de vérité bien plus sombre et terrifiant.

Je pédalais à en perdre complètement haleine, les jambes brûlantes de douleur, la tête tourbillonnante de questions angoissantes. Le vent glacé de mars fouettait violemment mon visage, mais je ne sentais strictement rien, tellement j'étais concentré, obsédé par cette idée fixe.

En arrivant devant chez lui, sans même réfléchir aux conséquences, je lançai plusieurs cailloux contre sa fenêtre du premier étage. Un bruit sec retentit, puis un léger mouvement se dessina derrière le rideau fleuri.

Nathan ouvrit brusquement, surpris et inquiet, son visage pâle marqué profondément par la fatigue extrême et une peur sourde.

— Gabriel ?! Tu vas bien ? Qu'est-ce que tu fais là ?

Il me fit rapidement signe d'entrer par la fenêtre. Je ne répondis pas. J'étais là pour une seule et unique chose.

Une fois dans sa chambre en désordre, j'attrapai fermement la pierre pointue que je tenais encore, et sans prévenir du tout, je griffai profondément son bras gauche exposé.

La peau fine céda facilement sous la pierre acérée.

— Aïe ! s'exclama-t-il vivement, surpris et blessé par mon geste. Mais qu'est-ce qui te prend ?!

Mais ce qui attira immédiatement mon attention hypnotisée, c'était la couleur de son sang qui s'écoulait lentement.

Rouge.

Rouge vif, brillant, normal.

Pas bleu. Pas violet. Pas noir.

Rouge.

Je sentis un frisson intense de soulagement me parcourir violemment de la tête aux pieds. Mon corps entier se détendit d'un coup.

Dieu merci.

Nathan s'essuya rapidement le bras avec un mouchoir en tissu froissé, l'air à la fois agacé et profondément inquiet.

— Tu pourrais faire sérieusement attention, hein. T'es stressé ou complètement fou ?

Je hochai faiblement la tête, incapable de parler normalement. Trop d'émotions contradictoires m'étouffaient simultanément.

Je finis par me jeter maladroitement dans ses bras, mes yeux s'embuant dangereusement de larmes chaudes.

— Nathan... Je suis tellement désolé pour absolument tout ce que tu traverses en ce moment, vraiment. Sincèrement désolé.

Il caressa doucement, tendrement mes cheveux blonds décolorés, comme pour me calmer et me rassurer.

— Gabriel... ça va aller. Ne t'inquiète pas. Regarde, ça ne saigne déjà plus.

Je restai là, blotti dans ses bras réconfortants, comme dans un refuge fragile et temporaire, cherchant désespérément un peu de force et de stabilité.

Puis il brisa le silence pesant, d'une voix étonnamment douce mais chargée d'une tristesse infinie.

— Tu sais, je pensais sincèrement pas que tu reviendrais me voir après tout ça... Que tu me sauterais dans les bras, même. T'as vraiment pas peur d'être ici, enfermé dans la chambre d'un "criminel dangereux" ?

Son regard était complètement perdu, vide, mais empli simultanément d'une sincérité absolument déchirante.

— Nathan... Je te connais intimement. Je sais profondément que tu n'es pas ça. Tu ne l'as pas tuée. Ce sont juste des rumeurs infondées. Comment tu peux les laisser te détruire comme ça ?

Il s'assit lourdement sur le bord de son lit défait, le visage apparemment calme mais les yeux brillants de larmes retenues.

— Je sais vraiment pas ce qui s'est passé exactement. Ni quand. Ni comment. Je n'ai strictement aucun souvenir cohérent de ces moments. Mais je sais avec certitude que je suis innocent. Je n'ai rien fait volontairement. Même cette histoire incompréhensible de somnifères... Je me comprends plus moi-même. Ça me fait terriblement peur.

Ses mains tremblaient visiblement, et son regard était fixé sur un point invisible quelque part sur le mur.

— Mes parents pensent sincèrement que je deviens complètement fou. Que je perds la raison. Ils veulent me faire suivre d'urgence par un psychiatre spécialisé, voire même m'interner définitivement dans un hôpital psychiatrique.

Il releva enfin péniblement ses yeux rougis vers moi, chargés d'une angoisse profonde et viscérale.

— Je veux absolument pas être enfermé quelque part, Gabi. Je comprends totalement si toi aussi tu me prends pour un fou dangereux, mais moi, je veux juste vivre normalement. Écrire mes poèmes, coder mes programmes, passer du temps avec toi et les autres. J'aimerais désespérément ne jamais avoir été mêlé à tout ça. Ne jamais avoir perdu Hannah de cette façon horrible.

Des larmes silencieuses roulèrent lentement sur ses joues creuses et pâles. Je sentais physiquement son monde entier s'effondrer méthodiquement.

— Même si j'ai été officiellement innocenté par l'administration, je sais pertinemment que je ne pourrai jamais, jamais vivre normalement à nouveau. Les regards lourds, les jugements constants, la peur palpable dans leurs yeux quand ils me croisent... Ils me voient comme un tueur en série en liberté. Un monstre.

Il baissa profondément la tête, sa voix se brisa pathétiquement.

— Une rumeur, ça ne s'arrête jamais vraiment. Elle grandit exponentiellement, elle ronge tout. C'est infiniment pire quand on est accusé complètement à tort. C'est une condamnation sociale sans fin.

Je m'assis doucement près de lui sur le lit, partageant silencieusement son poids émotionnel écrasant, tentant désespérément de transmettre un peu de courage et d'espoir.

— Tu sais, Nathan, ce n'est vraiment pas parce qu'une rumeur te colle à la peau que tout est définitivement fini. Parfois, paradoxalement, ça sert justement à faire le tri nécessaire.

Il me regarda, visiblement intrigué malgré sa douleur.

— Le tri ? Quel tri ?

— Oui, le tri. Tu sais comment j'étais exactement quand on s'est rencontrés la première fois ?

— Oulah, c'est vraiment vieux, ça, Gabi. Ça remonte à quoi, trois ans ?

Je souris tristement, amèrement.

— Pas pour tout le monde malheureusement. Les gens ont une mémoire sélective. Mais écoute-moi bien : même si le monde entier t'a tourné le dos, même si personne ne te croit, je serai toujours là pour toi. Parce que tu as été le tout premier à m'accepter comme je suis réellement.

Je pris une grande inspiration tremblante.

— Avant notre rencontre, j'étais horrible. Vraiment horrible. J'étais ce type qu'on évite instinctivement, celui qu'on croit dangereux et violent. Je fumais, je me battais, je traînais avec les mauvaises personnes. Mais toi, inexplicablement, t'as vu au-delà de ça. Tu as vu quelque chose de meilleur en moi. Et ça, franchement, ça change absolument tout.

Je sentais profondément qu'il avait désespérément besoin d'entendre ça maintenant.

— Tu sais quoi ? J'ai récemment commencé à comprendre que la vérité n'est pas toujours là où on la cherche logiquement. Parfois, elle est soigneusement cachée, enterrée profondément sous des tonnes de mensonges, sous des silences assourdissants. Ce monde, cet univers complexe dans lequel on vit... il est infiniment plus compliqué que ce qu'on imagine naïvement.

Je marquai une pause significative.

— Je sais avec certitude que tu es innocent, mais il y a quelque chose de beaucoup plus gros derrière tout ça. Quelque chose d'invisible qui nous dépasse complètement.

Il fronça les sourcils, confus.

— Tu veux dire... un autre coupable réel ? Quelqu'un d'autre ?

— Ouais. Exactement. Quelqu'un qui joue avec nos vies comme un marionnettiste sadique. Qui manipule habilement les apparences, qui brouille méthodiquement toutes les pistes.

Je regardai intensément par la fenêtre, le ciel chargé de nuages menaçants et sombres.

— Et moi, personnellement, je compte bien découvrir qui c'est. Peu importe le temps que ça prendra.

Nathan me regarda longuement, un mélange complexe d'espoir fragile et de peur profonde dans les yeux.

— Gabriel... fais vraiment attention. Ce que tu cherches, ça pourrait te détruire complètement. Te briser.

Je serrai violemment les poings, déterminé.

— Je n'ai absolument pas le choix. Pas après tout ça. Pas après ce qu'ils t'ont fait.

Le silence s'installa lourdement entre nous, épais et pesant, comme un voile de tempête prêt à violemment éclater.

Et quelque part dans ce silence, une promesse silencieuse se forma : je découvrirais la vérité. Coûte que coûte.

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