Cérémonie d'hommage

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Chapitre 13

11 mars 2006

POV : Aya

La nouvelle avait secoué tout le lycée comme un séisme violent.

Un meurtre. Ici, dans notre propre établissement. Dans nos couloirs familiers.

Et pas n'importe quelle victime : Hannah.

Ma collègue. Mon amie. Ma seule vraie complice dans ce monde de mensonges.

Le choc m'avait frappée comme un coup de poing brutal en plein sternum. Un poids écrasant sur la poitrine. Une sensation d'irréalité totale qui refusait de se dissiper.

Comment cela pouvait-il arriver ? Comment ?

Dans un endroit où nous étions censés être en sécurité. Où nous passions la majeure partie de nos journées, de nos vies.

Mais ce qui me dégoûtait encore plus profondément, ce n'était pas seulement le fait horrible de sa mort violente.

C'était l'hypocrisie écœurante qui s'était immédiatement emparée des gens autour de moi.

Des bouquets de fleurs fraîches, des peluches déposées par dizaines, des bougies allumées qui tremblaient pathétiquement sous le vent froid de mars, alignées comme une barricade fragile devant l'entrée du lycée.

Et des mots griffonnés à la hâte, maladroits, sur des cartons déjà mouillés par la pluie et les larmes factices :

« Tu vas nous manquer Hannah. »
« On t'aimait fort. »
« Repose en paix, ange. »

Des mots doux, presque trop beaux pour être vrais.

Parce qu'ils étaient faux. Complètement, horriblement faux.

Je savais. Je savais que c'était du vent. Que personne n'avait jamais vraiment vu Hannah de son vivant.

Elle était comme un fantôme invisible dans les couloirs, une présence silencieuse et discrète que tout le monde ignorait systématiquement.

Parfois, elle avait choisi la solitude, c'est vrai. Mais cela ne justifiait absolument pas qu'on la laisse seule. Qu'on l'abandonne.

Je me déteste parfois de ne pas avoir été plus présente, de ne pas avoir su lui tendre la main plus souvent, plus sincèrement. Pourtant, je crois honnêtement que j'étais la seule personne à qui elle s'était réellement ouverte.

Ses parents ? Ils étaient constamment absents.

Une mère infirmière, toujours de garde à l'hôpital, jamais là. Un père gendarme, souvent en mission lointaine, rarement à la maison.

Ils n'étaient jamais ensemble. Jamais vraiment dans sa vie. Jamais présents pour elle.

Elle n'avait pas de frère ni de sœur pour lui apporter un peu de chaleur familiale, un peu de réconfort.

Hannah était seule. Profondément, terriblement seule.

Puis il y avait Nathan.

Les cris haineux, les menaces violentes, les regards accusateurs.

« Va brûler en enfer, Nathan ! »
« Mort à Nathan ! »

Je ne pouvais pas supporter cette haine aveugle qui se déversait sur lui comme une vague toxique.

Ils cherchaient désespérément un bouc émissaire. Ils avaient besoin de quelqu'un à haïr, à condamner, à détruire pour se sentir mieux.

Mais ce n'était pas lui. Et ils le savaient pertinemment. Toutes les preuves matérielles l'exonéraient complètement. Ce n'était objectivement pas Nathan qui avait tué Hannah.

Mais peu importait la vérité. Les rumeurs suffisaient à le condamner socialement.

Il a été violemment viré du lycée. Expulsé.

Gabriel, lui aussi, a disparu des radars. Il ne venait plus en cours.

Notre groupe d'amis, déjà fragile, s'est désintégré comme du sable.

Et malgré tout, je n'arrive pas à croire que Nathan soit le vrai coupable.

Parce que s'il l'était vraiment, s'il avait voulu la tuer... il l'aurait fait. Il aurait réussi.

Or, il ne l'a pas fait. Quelqu'un d'autre a terminé le travail.

Ce qui m'obsède, ce qui me hante la nuit, c'est ce que j'ai vu ce jour-là à la cantine.

Hannah s'est coupée accidentellement. Et son sang... ce sang était d'un bleu étrange, presque lumineux. Surnaturel.

Elle faisait partie de mon clan secret. Ce petit cercle invisible que nous avions formé.

Et elle parlait sans arrêt à Nathan. Comme si elle cherchait quelque chose en lui.

Je me demande si Nathan ne serait pas ce fameux troisième intangible dont le Temps m'a parlé.

Peut-être a-t-il essayé de l'endormir avec les somnifères, pensant qu'elle était l'ennemie. L'Intrus. La Mort incarnée.

Je n'en sais rien. Rien n'est clair dans cette histoire tordue.

10h00 du matin

Ce jour-là, les cours ne commençaient exceptionnellement qu'à onze heures.

Tout avait été annulé pour organiser une cérémonie officielle en hommage à Hannah.

J'avais choisi de m'habiller entièrement en violet. Ma salopette préférée et un pull à capuche confortable.

Qu'ils pensent ce qu'ils veulent de moi. Je sais qu'Hannah n'aurait jamais voulu me voir en noir. Jamais.

C'était la tenue exacte que je portais lors de nos réunions nocturnes dans la forêt des Trois Sapins, notre repère secret, notre petit sanctuaire personnel.

Là où nous étions libres, loin des regards cruels, loin des jugements constants.

Je savais que je me ferais critiquer, encore et encore. Qu'on m'insulterait parce que je restais obstinément amie avec Nathan.

Mais je m'en fichais royalement.

Avant de me rendre au lycée, j'ai fait un détour par la forêt. J'avais emporté une petite pierre fine et pointue, une sorte de pierre précieuse, parce qu'une idée trottait dans ma tête depuis ce matin.

Au cœur de la verdure dense, entre les grands sapins silencieux, je me suis plantée devant un vieux tronc massif et j'ai commencé à graver lentement dans l'écorce humide :

« À Hannah,
la meilleure acolyte que j'aie jamais eue.
Repose en paix.
— Aya »

Je suis restée là, un long moment interminable, à observer les lettres maladroites que j'avais tracées.

Puis je me suis assise sur l'herbe fraîche et mouillée, après avoir posé mon écharpe pour ne pas salir mes vêtements.

J'avais quand même un minimum de respect pour Hannah. Pour sa mémoire.

Je regardais le paysage automnal, la lumière dorée filtrant à travers les branches nues, imaginant Hannah à mes côtés.

Elle aurait adoré cet endroit, j'en suis absolument sûre.

Puis quelque chose attira soudainement mon regard.

Une boule de cristal. Petite et délicate, posée soigneusement contre un arbre.

Je l'ai prise avec précaution infinie.

Elle était en verre fin, d'un bleu nuit profond et hypnotique, parsemée de petites étoiles dorées qui semblaient briller mystérieusement de l'intérieur.

— C'est magnifique... murmurai-je, fascinée.

— T'as vu ça ?

Une main se posa doucement sur mon épaule.

Le Temps venait d'apparaître silencieusement.

— Oh ! Tu étais là toi ?

— Je viens juste d'arriver. J'ai senti ta présence.

Elle a pris délicatement la boule de cristal de mes mains et l'a serrée contre son cœur, comme si elle en tirait une force immense et vitale.

— Mon amie m'a quittée... murmura-t-elle, la voix brisée.

Je l'ai fixée, surprise et bouleversée.

Le Temps connaissait Hannah ?

— Attends... Tu sais tout ? Tu savais pour elle ?

Elle hocha lentement la tête, les yeux baissés, emplis de tristesse cosmique.

— Toi, tu as perdu Hannah ton amie humaine. Moi, j'ai perdu la Clairvoyance, ma sœur d'armes. Ton amie n'a même pas eu le temps d'utiliser vraiment son intangible, d'exploiter son pouvoir... Ce don précieux va maintenant retourner directement à notre ennemi.

— Quoi ?!

Mon sang se glaça dans mes veines.

— Oui, Aya. Nous ne sommes plus que deux maintenant. Deux contre un. Hannah avait un plan incroyable, brillant, mais elle est allée beaucoup trop vite. Si elle avait pris plus de temps, si elle avait été plus prudente, elle aurait peut-être pu réussir sa mission.

Je restais sans voix, paralysée.

— Tu veux dire... elle savait tout ? Elle savait exactement ce qu'elle faisait ?

— Bien sûr qu'elle savait. Mais je ne peux absolument pas t'en dire plus. Sinon, c'est ma propre vie qui serait immédiatement en danger. Et crois-moi, on ne peut vraiment pas se permettre de perdre un autre univers. Pas maintenant.

Elle m'a serrée dans ses bras translucides, ses bras nacrés et pleins de douceur surnaturelle.

— On a désespérément besoin de toi, Aya. Ne te fais pas attraper. Promets-le-moi solennellement.

Je serrai sa main fort. Très fort.

— Je te le promets. Je ferai absolument tout pour arrêter cette tuerie.

Puis, sans un mot de plus, mon alter ego m'a laissée seule.

Debout.

Au milieu de la forêt silencieuse.

Avec mes souvenirs douloureux.

Et cette boule au ventre qui refusait obstinément de s'en aller.

— Bon... Il est temps d'y aller.

Il y avait un monde absolument pas possible devant le lycée.

Des élèves, des parents, même des gens que je ne connaissais pas du tout. Des journalistes étaient aussi présents, discrets mais bien là, armés de leurs caméras voyeuristes et de leurs regards prédateurs.

Et au milieu de tout ce chaos organisé, des fleurs, des bougies, des photos agrandies de Hannah.

Mais il n'y avait pas que des photos d'elle. Il y avait aussi celles de Chris. Lui aussi avait eu droit à son hommage posthume, quelques jours avant.

Deux morts en si peu de temps, c'était trop. Beaucoup trop. Les gens parlaient à voix basse, certains pleuraient bruyamment, d'autres avaient le visage fermé.

Et moi, je regardais tout ça, sans réussir à ressentir autre chose qu'une immense colère sourde.

Tous ces gens qui faisaient semblant. Qui s'apitoyaient maintenant, mais qui, avant, ignoraient complètement Hannah.

J'avais envie de crier. De leur hurler à la figure que c'était trop tard. Que leurs peluches, leurs lettres, leurs petits mots doux, c'était du vent. De la poudre aux yeux pour se donner bonne conscience.

Je me suis tournée vers Cerise, la petite sœur de Mathieu, qui tenait toujours son petit bouquet de marguerites dans ses mains. Elle me regardait avec ses grands yeux ronds, remplis d'un sérieux presque dérangeant pour une enfant de son âge.

— Tu crois qu'elle va les voir, mes fleurs ? demanda-t-elle en chuchotant.

Je m'accroupis doucement face à elle et lui répondis, sincèrement.

— Oui, je suis absolument sûre qu'elle va les voir. Elle va les aimer, même.

Elle hocha la tête, comme rassurée. Cette petite, elle n'avait pas encore été contaminée par l'hypocrisie ambiante.

Quand on entra dans le lycée, tout semblait plus sombre que d'habitude. Les couloirs étaient silencieux, trop silencieux. C'était comme si chaque bruit était étouffé, comme si le bâtiment lui-même retenait son souffle.

On nous dirigea vers le gymnase. C'était là que devait se tenir la cérémonie officielle.

Il y avait tellement de monde qu'on avait du mal à se frayer un chemin. Je sentais mon cœur battre de plus en plus vite. J'avais peur qu'on nous regarde de travers, à cause de Nathan.

Et ça n'a pas loupé.

Alors qu'on cherchait une place, un papier froissé vola jusqu'à nous. Gabriel le ramassa, intrigué. Il le déplia, lut quelques secondes, puis son visage se ferma complètement.

— "Vous devriez avoir honte d'être amis avec un tueur", lut-il à voix basse.

Je sentis mon estomac se nouer violemment. J'avais envie de vomir.

Léandre serra les poings, son visage devenant rouge de colère.

— Mais ils sont bouchés ou quoi ? Nathan est innocent en ce qui concerne le meurtre ! C'est prouvé !

— Tu sais, dit calmement Mathieu, il y aura toujours des imbéciles qui croiront ce qu'ils veulent entendre.

Gabriel jeta le papier au sol, écœuré. Je regardai autour de moi. Un groupe de terminales nous observait, l'un d'eux affichant un sourire méprisant.

C'était sûrement eux les responsables. Je détournai les yeux. Je n'avais pas la force de me battre aujourd'hui.

Gabriel sortit alors un petit papier soigneusement plié de sa poche. Il le tenait comme s'il s'agissait d'un objet précieux.

— Il m'a dit de déposer ça... le poème qu'il avait mentionné à la cantine, dit-il d'une voix étranglée. Et les fleurs aussi. Des lilas. Ses préférées.

J'étais surprise.

— Nathan savait pour les lilas ?

— Tu le connais. Le sens de l'observation, répondit Gabriel avec un sourire triste.

Il déplia doucement le papier et se mit à lire à voix basse :

"Elle marchait dans les ombres, sans bruit, sans guerre.
Les regards la glissaient comme de l'air.
Mais elle portait l'univers sur le dos.
Et personne n'a jamais tendu le moindre mot."

Un silence lourd s'installa. Cerise chuchota timidement :

— C'est joli...

Je hochai lentement la tête, les larmes aux yeux. C'était plus que joli. C'était... douloureusement vrai.

Un peu plus tard, le directeur prit la parole, sa voix résonnant dans les haut-parleurs du gymnase. Il parla longuement de Hannah, de sa discrétion, de sa gentillesse, de son intelligence.

Des mots qu'elle aurait sûrement aimé entendre de son vivant. Trop tard maintenant.

Puis il posa les yeux sur moi.

— Mademoiselle Aya, souhaitez-vous dire quelques mots ? Vous étiez son amie la plus proche, d'après ce qu'on m'a dit.

Je me suis levée sans vraiment réfléchir. Mes jambes tremblaient, mais j'étais déterminée.

Je devais le faire. Pour elle.

Quand je suis arrivée sur l'estrade, le silence était total. Tous les regards étaient tournés vers moi. Mon cœur battait à tout rompre.

J'ai pris une inspiration et j'ai commencé.

— Je ne vais pas vous faire un grand discours. Je ne suis pas douée pour ça. Mais je vais être honnête. Hannah... elle était quelqu'un de formidable. Mais peu de gens ici le savent, parce que peu de gens ont pris le temps de la connaître.

Je marquai une pause, cherchant mes mots.

— Elle était intelligente, drôle, loyale. Elle n'attendait pas grand-chose, juste un peu d'attention, un peu de considération. Mais la plupart du temps, elle passait inaperçue. Et maintenant... maintenant tout le monde pleure. Tout le monde dépose des fleurs. Mais où étiez-vous quand elle avait besoin d'un simple "bonjour" dans les couloirs ? D'un sourire ? D'un regard sincère ?

Je sentais ma gorge se serrer. Mais je continuai.

— Je me sens coupable de ne pas avoir été plus présente. J'aurais dû faire plus. Être là, vraiment. Pas juste en surface. Et je le regrette. Mais je peux vous dire une chose : elle méritait mieux. Elle méritait d'être vue, d'être entendue. Et à tous ceux qui pleurent aujourd'hui alors qu'ils ne la connaissaient même pas... demandez-vous pourquoi.

Je fis un pas en arrière.

— Vous avez laissé filer une perle rare. Et vous ne le saurez jamais.

Je descendis lentement de l'estrade. Mon cœur battait toujours aussi vite, mais quelque chose en moi s'était calmé.

J'avais dit ce que j'avais à dire.

Gabriel posa sa main sur mon épaule, silencieux. Capucine me regardait avec une fierté discrète. Cerise me fit un petit sourire. Et Emy, toujours en larmes, hocha la tête, comme pour me dire qu'elle aussi, elle avait compris.

C'était terminé. Du moins pour aujourd'hui.

Mais au fond de moi, je savais que ce n'était que le début.

Le début de quelque chose de plus grand.

Le début de la vraie guerre.

Et cette fois, nous étions que deux.

Deux contre la Mort elle-même.

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