Liberté

20 minutes de lecture

Nathan

16 mars 2006

Je me plantai devant ce qui me servait pathétiquement de miroir – un pauvre éclat terni et poussiéreux accroché tant bien que mal à la paroi blafarde d'une salle de bain d'hôpital. Mon reflet me renvoyait quelque chose d'étrangement flou, d'indistinct, presque irréel. Ce n'était pas la faute de la vitre rayée. Non. C'était moi. Mon image elle-même qui se décomposait lentement, qui perdait de sa netteté, de sa substance.

Je passai un peigne lentement, presque religieusement, dans ma chevelure clairsemée. Le simple contact déclencha instantanément un frisson douloureux qui parcourut tout mon cuir chevelu hypersensible. Autrefois, ma coupe au bol un peu ridicule faisait gentiment rire mes amis lors des soirées pyjama, provoquait des moqueries affectueuses. Aujourd'hui, elle ne faisait plus rire absolument personne : elle tombait. Littéralement. Mèche après mèche. Chaque passage du peigne arrachait inexorablement une poignée de cheveux qui glissaient entre mes doigts tremblants comme du sable fin, pour s'amonceler tristement dans le lavabo écaillé, formant un petit cimetière brun et désolé au fond de la porcelaine blanche.

Une larme unique roula soudainement sur ma joue creuse. Sans prévenir. Sans que je l'aie sentie venir. Comme une vieille amie fidèle qui débarque à l'improviste sans même frapper à la porte. Peut-être que, quelque part au fond de moi, je savais parfaitement pourquoi elle était là, ce qu'elle signifiait... mais je n'avais pas le courage d'affronter directement cette raison terrifiante. Pas maintenant. Pas encore.

J'enfilai méthodiquement plusieurs couches superposées de pulls épais, des sous-pulls qui me serraient presque désagréablement, comme s'ils tentaient physiquement de me retenir en vie, de maintenir ensemble les morceaux fragmentés de mon corps qui menaçait de se désintégrer. Puis, dans un réflexe absurde et presque pathétique, j'appliquai une généreuse pulvérisation de parfum – celui que Gabriel m'avait offert pour mon anniversaire l'année dernière – avant de quitter finalement cette pièce maudite qui sentait perpétuellement le désinfectant industriel mélangé à quelque chose d'indéfinissable qui ressemblait étrangement à la honte.

Je ne pouvais même plus me permettre de toucher mes cheveux avec insouciance. J'avais constamment cette impression terrifiante qu'ils ne tenaient plus qu'à un fil invisible, comme suspendus précairement au-dessus d'un vide insondable, prêts à s'envoler définitivement à la moindre brise.

Je me laissai finalement tomber lourdement dans le petit fauteuil inconfortable positionné près de mon lit d'hôpital, ce trône bancal et déformé qui servait davantage à attendre interminablement qu'à véritablement se reposer. Sur la table de chevet encombrée s'étalaient en désordre des feuilles froissées couvertes de notes illisibles, des stylos à bille de toutes les couleurs, certains fonctionnels, d'autres complètement vides. Mais pas mon ordinateur portable. Trop lourd pour mes bras affaiblis, trop encombrant pour cet espace confiné, comme si mes pensées elles-mêmes devaient désormais se faire plus petites, plus légères, plus discrètes, presque invisibles pour ne déranger personne.

Ici, enfermé dans cet hôpital impersonnel aux couloirs interminables, il n'y a que moi. Uniquement moi. Et honnêtement, je ne suis pas toujours une compagnie agréable, même pour moi-même. Je tourne inlassablement en rond dans les méandres tortueux de ma tête surchargée, et mes idées contradictoires s'entrechoquent violemment comme des oiseaux complètement affolés qui se cognent désespérément contre les barreaux d'une cage trop étroite. Des centaines de papiers nerveusement chiffonnés jonchent le sol poussiéreux sous mon lit métallique, formant un tapis chaotique d'appels à l'aide muets que personne ne lira jamais. Mes recherches obsessionnelles, mes pensées fragmentées, mes fixations malsaines.

Je crois sincèrement que c'est précisément ça qui me garde encore relativement sain d'esprit dans cet enfer blanc. Ou peut-être, paradoxalement, que c'est exactement ça qui me fait progressivement basculer dans quelque chose de plus sombre, de plus dangereux.

Le cancer ravageur, les jugements impitoyables des autres... tout ça est devenu étrangement secondaire, presque accessoire. Parce que j'ai découvert un autre but maintenant, une nouvelle obsession qui consume toutes mes pensées. Une piste ténue. Une intuition troublante, aussi floue et insaisissable soit-elle.

Et puis il y a ce truc incompréhensible... ce détail apparemment insignifiant qui refuse obstinément de coller avec le reste. Ce mystérieux BUG 333. Ce chiffre me suit partout comme une ombre malfaisante, me hante jusque dans mes cauchemars les plus noirs. Partout où je porte mon regard. Dans les reflets déformés des vitres, dans les ombres qui dansent sur les murs, dans les coïncidences troublantes qui s'accumulent. Et même gravé sur la plaque métallique de la porte de ma chambre d'hôpital. Le chiffre 3. Encore et toujours. Inlassablement.

Et si le tueur mystérieux en était lui aussi obsédé ? Si ce chiffre récurrent annonçait inéluctablement quelque chose de terrible ? Trois victimes sacrifiées ? Un troisième événement dramatique à venir ? Je sais avec une certitude viscérale que l'école est fermement dans son viseur, dans sa ligne de mire. Et samedi prochain, il y a justement ce match de basket très attendu... Une foule compacte de spectateurs insouciants. Du bruit assourdissant. De la distraction généralisée. Un terrain absolument parfait pour frapper fort et marquer les esprits. Cette pensée angoissante me noue douloureusement l'estomac à chaque fois qu'elle resurgit.

C'est précisément à ce moment de réflexion intense qu'on frappa doucement, presque timidement, à ma porte.

— Nathan ? Ton ami Gabriel est arrivé pour te voir, annonça une infirmière d'une voix professionnelle mais douce.

Gabriel se tenait dans l'encadrement de la porte, se découpant dans la lumière crue du couloir. Je crus d'abord rêver, halluciner sous l'effet des médicaments puissants. Mais non. C'était indéniablement bien lui, en chair et en os. Sauf que son visage était anormalement pâle, presque cireux, et son œil gauche terriblement gonflé, entouré d'un halo violacé impressionnant. Il était visiblement en sale état.

Mais l'infirmière me coupa brutalement dans mon élan d'inquiétude avant même que je ne puisse articuler le moindre mot de préoccupation.

— Ne t'inquiète pas inutilement, Nathan. Il a simplement reçu un coup assez violent à l'œil, ce qui a provoqué un hématome certainement impressionnant à regarder, mais rien de véritablement grave d'un point de vue médical. Vous disposez de trente minutes exactement pour votre visite.

— Pardon ?! m'offusquai-je immédiatement, déjà profondément agacé par cette restriction arbitraire. Depuis quand exactement j'ai un temps strictement limité pour recevoir mes amis ?!

Encore ce satané chiffre maudit qui revenait me narguer. Trente minutes. Trois dizaines. Je commençais vraiment, sincèrement, à en avoir par-dessus la tête de cette obsession numérique qui me poursuivait partout.

— C'est ta mère qui a spécifiquement demandé cette limitation temporelle, répondit calmement l'infirmière avant de s'éclipser discrètement dans le couloir, refermant la porte derrière elle avec un léger claquement.

Un déclic brutal résonna dans mon esprit embrumé. Ma mère ? Ma propre mère qui ne sait même pas techniquement comment envoyer une simple pièce jointe par email sans appeler au secours ? Elle m'avait pourtant solennellement promis, en me regardant droit dans les yeux, que j'aurais autant de temps que je le désirais avec Gabi lors de ses visites. Elle ne rompt jamais, absolument jamais ses promesses. C'est même l'un de ses principes de vie les plus ancrés.

Quelque chose clochait sérieusement.

Dès que l'infirmière fut suffisamment éloignée dans le couloir, je me jetai littéralement dans les bras accueillants de Gabriel, oubliant momentanément toute retenue ou dignité.

— Putain Gabi, mais qu'est-ce que t'as foutu pour te retrouver dans cet état ?! m'exclamai-je, ma voix trahissant mon inquiétude grandissante.

Il garda le silence pendant quelques secondes interminables, ses lèvres tremblant légèrement de manière presque imperceptible, avant de finalement répondre d'une voix inhabituellement basse et tendue.

— Il se peut que... j'aie eu un léger accrochage avec quelqu'un, admit-il en détournant le regard.

— Pourquoi ?! Avec qui ?! insistai-je, sentant la panique commencer à m'étreindre la gorge comme une main invisible.

Est-ce qu'il avait encore pris courageusement ma défense face à des agresseurs ? Est-ce qu'il s'était une nouvelle fois mis stupidement en danger pour moi, pour protéger mon honneur ou ma réputation ? Il l'avait déjà fait par le passé à plusieurs reprises, mais là, c'était manifestement plus violent que d'habitude, plus sérieux. Ce n'était pas juste un simple œil au beurre noir qu'on attrape lors d'une bousculade anodine. Il avait été frappé. Violemment. Intentionnellement.

Je m'approchai davantage de lui, le regardant avec insistance droit dans les yeux avec toute l'intensité dont j'étais capable. Son œil encore relativement valide me perça de son regard troublé mais déterminé.

— Dis-moi absolument tout, Gabriel. Sans rien omettre.

Je ne l'appelais pratiquement jamais comme ça. Gabriel. Pas Gabi, mon surnom affectueux habituel. Mais je voulais désespérément qu'il comprenne l'importance de ce moment. Que je ne rigolais absolument pas. Que je voyais parfaitement clair dans ce qu'il tentait maladroitement de me cacher.

— Si seulement c'était si simple à expliquer, Nat... soupira-t-il profondément, ses épaules s'affaissant sous un poids invisible.

Ses yeux déjà horriblement gonflés d'hématomes s'embuèrent progressivement d'un voile d'eau salée qu'il refusa obstinément de laisser déborder et couler sur ses joues. Il serra les dents avec une détermination farouche. Il se protégeait émotionnellement. De moi. De tout le monde. De la situation. Et cette constatation me fit encore infiniment plus mal que n'importe quelle douleur physique.

— Gabi, dis-je cette fois beaucoup plus tendrement, en posant délicatement ma main tremblante sur son bras musclé. Si quelqu'un te fait activement du mal, si tu vis un truc difficile en ce moment... tu peux absolument me le confier. Je veux le savoir. J'ai besoin de le savoir.

Je voulais littéralement le supplier à genoux. Mais il n'en avait pas réellement besoin. Il savait déjà. Il lisait dans mes pensées transparentes comme dans un livre grand ouvert posé devant lui.

Et pourtant, malgré mes regards insistants et suppliants, malgré toutes mes tentatives répétées pour lui tirer patiemment les vers du nez, rien de plus concret ne sortit de sa bouche obstinément close. Il me cachait manifestement quelque chose. Quelque chose de lourd, de grave, de dangereux peut-être. Ses yeux expressifs me le hurlaient désespérément en silence, mais ses lèvres restaient hermétiquement scellées par une promesse ou une peur que je ne comprenais pas. Je compris avec résignation que je n'obtiendrais aucune réponse satisfaisante aujourd'hui, quoi que je fasse.

Et là, un vertige émotionnel me saisit brutalement : mon meilleur ami, la personne qui compte le plus au monde pour moi, est clairement menacé par quelque chose ou quelqu'un. Et moi, impuissant, je suis coincé ici comme un rat dans un piège, enfermé dans une prison qu'on appelle pompeusement un hôpital. Une cage blanche aux murs immaculés, aseptisée jusqu'à l'absurde, censée théoriquement me sauver la vie, mais qui en réalité m'étrangle lentement jour après jour.

Alors on se tait tous les deux. Ensemble mais séparés. Mais nos silences lourds de sens en disent infiniment long. Beaucoup trop long.

Pour chasser efficacement l'ambiance étouffante qui s'était installée entre nous comme un brouillard toxique, on décide finalement, d'un accord tacite et muet, de changer radicalement de sujet de conversation. Ou plutôt, de faire semblant de pouvoir à nouveau respirer normalement.

Gabriel m'observa alors longuement, scrutant chaque détail de mon visage avec une attention presque clinique. Son regard inquiet glissait sur mes traits émaciés, s'attardant sur mes cernes profonds, ma peau translucide.

— Tu devrais vraiment sortir prendre l'air plus souvent, Nathan... j'ai sincèrement l'impression de parler à un fantôme désincarné en ce moment. Même Aya se dit qu'elle devrait bientôt te traquer avec un équipement de chasseur de spectres, ajouta-t-il en tentant un sourire encourageant.

Je ris faiblement. C'était un rire fragile, cassé, mais c'était quand même authentiquement un rire. Une tentative désespérée de lumière dans la pénombre épaisse qui m'entourait constamment.

Il vit immédiatement que je faisais des efforts considérables pour paraître normal, pour jouer le jeu. Il le savait parfaitement. Et c'est très certainement pour cette raison précise qu'il fit ce qu'il fit juste après.

Un éclair de folie pure brillant soudainement dans ses yeux habituellement doux, il s'approcha rapidement de moi, m'attrapa fermement d'un coup sec et me souleva sans prévenir dans ses bras comme un vulgaire sac de patates, malgré ma maigreur inquiétante.

— GABI ?! m'écriai-je, complètement pris au dépourvu. Mais t'es complètement malade ?! Repose-moi immédiatement ! Tu vas te casser le dos en deux, bordel !

Mes joues prirent instantanément feu, s'embrasant d'une rougeur incontrôlable. Et mon cœur s'emballa dangereusement dans ma poitrine creuse. Je ne comprenais absolument plus rien à ce qui se passait. Mais lui, calme et imperturbable comme une statue de marbre, me lança simplement avec autorité :

— Tchht. Tais-toi et profite du moment.

Il jeta prestement un œil prudent vers la porte fermée, l'ouvrit ensuite extrêmement doucement pour ne pas faire grincer les gonds métalliques, et scruta méthodiquement le couloir désert comme un véritable agent secret en mission d'infiltration.

— La voie est parfaitement libre. C'est maintenant ou jamais.

Et là, ni une ni deux, sans me laisser le temps de protester davantage, il se mit brusquement à courir. Avec moi fermement agrippé sur son dos solide, mes bras enroulés instinctivement autour de son cou.

L'escalier en travaux que nous empruntâmes ? Un simple obstacle de plus à surmonter. De la peinture fraîche étalée sur les murs et marquée d'un panneau d'avertissement ? On s'en foutait royalement. On était deux adolescents complètement inconscients en cavale dans un hôpital réglementé. Et on riait comme des idiots complets, étouffant nos gloussements dans nos mains.

Au passage, seul un vieux monsieur âgé en robe de chambre élimée, visiblement un peu perdu dans les méandres embrouillés de sa mémoire défaillante, nous croisa dans un couloir sans même remarquer notre évasion improvisée et totalement interdite.

Gabriel me transporta ainsi jusqu'au rez-de-chaussée en empruntant des itinéraires détournés, puis poussa fermement une lourde porte de secours métallique marquée de panneaux d'interdiction. Et là, soudainement...

La lumière naturelle nous aveugla.

La lumière fraîche et douce, presque irréelle et magique d'un matin de mars naissant m'aveugla violemment pendant un instant. Elle caressa délicatement mon visage pâle comme une main aimante. J'eus instantanément envie de pleurer d'émotion pure. Mais cette fois, uniquement de bonheur intense et inattendu.

L'extérieur authentique. Le vrai monde des vivants. L'air libre. Le ciel immense.

Gabriel me reposa ensuite très doucement sur le sol en béton froid, avec une délicatesse infinie. Et malgré moi, contre toute logique, je me sentis presque profondément déçu qu'il me lâche si rapidement, qu'il mette fin à ce contact physique réconfortant. J'ignorais complètement qu'il possédait autant de force insoupçonnée dans ses bras fins et élancés. Il était naturellement svelte, discret physiquement, presque fragile en apparence... mais il venait de m'offrir une évasion mémorable que je n'oublierai jamais de toute mon existence.

Il sortit subitement un paquet de cigarettes froissé de la poche arrière de son jean délavé.

— Tu vas quand même pas me dire sérieusement que tu vas fumer maintenant, juste devant moi... soupirai-je avec lassitude et déception.

Mais à ma très grande surprise stupéfaite, au lieu de l'allumer, il le jeta violemment par terre, puis sauta dessus à pieds joints avec un acharnement presque comique, le réduisant méthodiquement en miettes dispersées et en brins de tabac éparpillés.

— Qu'est-ce que... balbutiai-je, totalement confus par ce spectacle inhabituel.

Il me regarda ensuite avec un mélange puissant d'intensité brûlante et de douceur infinie dans ses yeux expressifs légèrement humides.

— Je sais, Nathan. J'ai enfin compris ce qui se passe vraiment.

Et là, brutalement, mon monde entier s'arrêta net de tourner.

— Co... comment ? articulai-je difficilement, la gorge nouée.

Ma respiration s'emballa immédiatement de manière incontrôlable. Mon thorax se serra douloureusement comme pris dans un étau. Je me mis à hyperventiler dangereusement, complètement incapable de réguler quoi que ce soit. Mon cœur cognait comme un marteau-piqueur démentiel dans ma poitrine oppressée.

— Oh, merde ! Attends, calme-toi ! s'exclama Gabriel, paniqué par ma réaction.

Il me prit immédiatement dans ses bras protecteurs avec une précaution extrême et m'allongea délicatement sur un banc public en bois verni situé à proximité, sous un arbre aux branches encore nues.

— Repose-toi tranquillement. Bordel, Nathan. Je sais parfaitement que t'es fort mentalement, que t'es toujours celui qui encaisse stoïquement tout sans broncher. Mais merde... accepte enfin d'être faible un instant, rien qu'un instant. Laisse-toi aller complètement. Laisse-toi chouchouter tendrement, pour une fois dans ta vie. T'as absolument pas idée à quel point t'es important pour moi, murmura-t-il avec une émotion palpable.

Puis il s'approcha encore davantage, tout doucement, avec une lenteur calculée. Je sentis distinctement son souffle chaud et rassurant dans mon oreille hypersensible, ses mots murmurés comme un serment solennel et sacré.

— Je crois profondément en toi, Nathan. Tu vas forcément t'en sortir victorieux. Je le sais. J'en suis absolument sûr. Tu es plus fort que cette maladie.

Il ne pleurait pas ouvertement. Mais ses yeux brillants... ses yeux étaient une véritable mer de douleur intense soigneusement contenue derrière un barrage fragile. Et cette douleur visible, c'était moi qui en étais l'unique cause, le responsable direct.

Je savais depuis longtemps que ce moment redouté viendrait inéluctablement. Que quelqu'un de mon entourage finirait fatalement par découvrir mon secret. Mais je refusais obstinément de l'accepter comme une réalité concrète.

— S'il te plaît... Ne le dis surtout pas aux autres, le suppliai-je faiblement.

Je le suppliai du regard. Le fameux regard de chiot battu et abandonné que je maîtrise parfaitement. Mais je savais déjà exactement ce qu'il allait me répondre.

— Je ne dirai absolument rien à personne, Nathan. Promis solennellement. Mais toi, en échange, promets-moi sincèrement que tu ne vas pas t'enterrer vivant dans ton silence. Appelle les autres membres du groupe. Tu sais parfaitement, ils n'ont jamais cru une seule seconde à ces rumeurs débiles et malveillantes. Aya me harcèle littéralement tous les jours pour venir te voir. On t'aime énormément, Nat. Moi, je t'aime, conclut-il avec une intensité troublante.

"On t'aime." J'aurais tellement préféré entendre juste "je t'aime", sans ce pluriel qui dilue tout. Je suis vraiment un con égoïste et pathétique. Un vrai connard. Mais bon sang, j'ai juste désespérément besoin de lui. De lui seul. Personne d'autre ne compte vraiment.

Je me redressai progressivement et doucement sur le banc inconfortable. Mes muscles protestaient un peu, envoyant des signaux de douleur sourde, mais mon cœur affolé, lui, se calmait enfin progressivement. Gabriel, ce héros discret et humble, me tendit alors une sucette colorée qu'il avait mystérieusement sortie de nulle part, comme si c'était un antidote magique et miraculeux à ma tristesse chronique.

— T'es vraiment pas très lourd, hein, mais si tu t'évanouis encore une fois, mes pauvres bras vont définitivement finir en compote, se moqua-t-il gentiment, un demi-sourire malicieux au coin des lèvres.

Je ris franchement, sincèrement cette fois. Son rire clair suivit immédiatement le mien, éclatant et pur comme une source de montagne, et pendant quelques secondes précieuses et suspendues hors du temps, j'avais presque complètement oublié où j'étais exactement, qui j'étais devenu, et ce poids écrasant que je traînais constamment derrière moi comme un boulet enchaîné.

On s'installa confortablement dans un coin relativement abrité du petit parc oublié situé derrière le bâtiment principal de l'hôpital. Un endroit un peu sauvage et négligé, où l'herbe verte poussait librement et anarchiquement entre les dalles de béton fissurées et moussues. Gabriel, ce prévoyant incroyable, avait même pensé à apporter des biscuits secs, les plus nuls et banals du monde — genre ceux qui collent désagréablement au palais et s'effritent immédiatement dès qu'on les touche — mais ce jour-là particulier, assis là avec lui, ils avaient exactement le goût des cookies artisanaux les plus chers et délicieux du monde entier.

Le soleil timide de mars nous réchauffait agréablement le visage, hésitant mais réel. Une chaleur douce et bienvenue qui me donnait presque irrésistiblement envie de fermer les yeux et de m'endormir paisiblement là, sur ce banc. Presque. Mais la paix véritable, dans ma vie chaotique, ne dure malheureusement jamais très longtemps.

— Bah alors ? On rougit comme une tomate en ma simple présence ? se moqua gentiment Gabriel, un sourire carnassier et taquin étirant ses lèvres.

— N'importe quoi, t'as complètement rêvé, répondis-je en lui donnant de petits coups théâtraux et sans force sur l'épaule.

Il les encaissa en riant joyeusement, visiblement fier de sa bêtise assumée. Et moi, je me surprenais à être... heureux. Oui, genuinement heureux. Un mot qui sonnait comme une langue morte et oubliée dans ma bouche depuis beaucoup trop longtemps.

J'avais presque complètement oublié, momentanément... la maladie dévorante. Le deuil paralysant. L'enquête obsessionnelle. Le mystérieux Bug 333.

Et pourtant...

Alors que je fermais doucement les yeux un instant, bercé agréablement par les voix apaisantes du vent dans les branches des arbres et les rires cristallins de Gabriel, une sensation étrange et dérangeante me parcourut brusquement l'échine. Un frisson désagréable. Pas de froid physique. Un frisson d'instinct animal. De danger imminent.

Et là, sans le moindre avertissement préalable, deux bras énergiques se refermèrent brusquement sur ma taille fragile par surprise.

— NATHAAAAAAN !!! hurla une voix familière et perçante.

Je sursautai violemment, complètement pris au dépourvu :

— PUTAIN AYA ! T'peux vraiment pas arriver comme une personne normale et civilisée ?!

Je n'avais même pas besoin de me retourner pour identifier avec certitude que c'était elle. Sa voix caractéristique, sa façon bien particulière de m'étouffer littéralement dans ses câlins enthousiastes et asphyxiants, son parfum entêtant — ce mélange reconnaissable de fleur d'oranger sucrée et de savon Cadum — tout criait indubitablement "AYA" en lettres majuscules.

Quand je me retournai finalement pour lui faire face, mon cœur rata brutalement un battement important.

Ils étaient absolument tous là, rassemblés devant moi.

Capucine avec son air perpétuellement agacé. Léandre et son sourire discret. Mathieu portant sa petite sœur. Emy rayonnante. Cerise sautillant d'excitation. Même cette aigrie quotidienne de Capucine tenait soigneusement un petit panier en osier tressé rempli de fruits fraîchement coupés et de petits gâteaux faits maison. Comme si on organisait spontanément un pique-nique champêtre. Comme si tout était parfaitement normal dans le meilleur des mondes.

J'étais là, moi, dans mon enchevêtrement ridicule de pulls débraillés et dépareillés, le moral oscillant dangereusement en dent de scie... et eux, mes amis irremplaçables, mon monde entier, avaient traversé toute la ville pour me rejoindre. Pour me dire sans prononcer un seul mot qu'ils étaient là, présents, solidaires.

Je n'arrivais absolument pas à parler, les mots se coinçant dans ma gorge serrée. Mon cœur se serra violemment et douloureusement, et mes yeux me piquaient de manière insupportable. Je clignai frénétiquement des paupières pour empêcher les larmes traîtresses de couler. Je refusais catégoriquement qu'ils me voient faible et vulnérable. Encore une fois.

Mais soudainement, quelque chose d'inexplicable figea instantanément mon sourire naissant.

Derrière eux, dans le ciel.

Dans le ciel normalement clair et limpide, un énorme 3 se dessinait distinctement. Pas écrit artificiellement. Formé naturellement par les nuages cotonneux. Ou par les ombres projetées. Ou... par quelque chose d'autre, quelque chose que je ne comprenais pas. Une simple illusion d'optique ? Un signe prémonitoire ?

Je clignai plusieurs fois des yeux rapidement, pensant que ma vision me jouait des tours. Mais il était toujours obstinément là. Un gigantesque 3 menaçant, presque accusateur.

— Tout va bien, Nathan ? murmura Gabriel avec inquiétude en posant doucement une main rassurante sur mon épaule tendue.

Je me redressai vivement, arrachant presque mon regard de cette apparition céleste troublante, forçant un sourire crispé et manifestement artificiel sur mes lèvres tremblantes.

— Oui... Ouais, t'inquiète pas pour moi. Tout va bien, mentis-je maladroitement.

Je n'allais surtout pas leur gâcher ce moment précieux et rare. Pas maintenant, alors qu'ils avaient fait tout ce chemin. Même si ce chiffre maudit, ce symbole obsédant, ce rappel constant, me hurlait violemment quelque chose d'important. Quelque chose que je ne comprenais pas encore clairement, mais qui me terrifiait profondément jusqu'au plus profond de mon être.

Je décidai consciemment de l'ignorer complètement. Pour eux. Pour moi. Pour préserver cet instant de bonheur fragile.

On s'installa tous ensemble sur l'herbe légèrement humide du matin, formant un cercle désordonné mais chaleureux. Aya me colla littéralement contre elle, parlant à toute vitesse et sans reprendre son souffle de absolument tout ce que j'avais manqué pendant mon absence forcée. Les délires quotidiens au lycée. Les rumeurs débiles qui circulaient. L'histoire complètement folle d'un prof de mathématiques qui avait apparemment pété un câble monumental en plein cours la semaine dernière. Gabriel m'écoutait attentivement en silence, une main posée négligemment sur son genou, un sourire discret mais authentique flottant aux coins de ses lèvres.

C'était doux comme du velours. C'était vivant et vibrant. C'était profondément humain.

Et moi, miraculeusement, je n'avais absolument pas l'impression d'être à l'article de la mort comme d'habitude. J'étais juste un adolescent ordinaire parmi ses amis fidèles, profitant d'un après-midi un peu trop lumineux et chaud pour un mois de mars normalement gris.

Mais quand l'horloge du clocher de l'église voisine sonna l'heure — une fois, deux fois, trois fois — mon cœur fit un bond spectaculaire dans ma poitrine. Je réalisai brutalement qu'on avait très largement dépassé le temps officiellement autorisé. Ma fameuse "limite de visite" arbitraire. La règle stricte imposée par ma mère, soi-disant.

Je me levai précipitamment, presque en panique.

— On doit absolument rentrer maintenant. Vraiment. Je vais littéralement me faire tuer si on tarde encore...

Ils râlèrent bruyamment, bien sûr, comme je m'y attendais. Mais ils comprirent rapidement la situation. On reprit lentement et à contrecœur le chemin du retour vers l'hôpital. Gabriel marchait silencieusement à mes côtés. Pas trop proche pour ne pas être indiscret. Pas trop loin pour rester présent. Juste assez près pour que je sente constamment sa présence réconfortante.

Devant la porte fermée de ma chambre d'hôpital, je le pris impulsivement dans mes bras. Fort. Beaucoup trop fort probablement. Comme si je voulais désespérément le garder ici avec moi. Le geler magiquement dans ce moment parfait et suspendre le temps.

Je n'avais absolument pas envie qu'il parte maintenant. Pas envie de me retrouver de nouveau seul, isolé entre ces murs froids et impersonnels, avec ce foutu chiffre obsédant qui tournait inlassablement dans ma tête.

Mais il partit finalement, comme il le devait. Me laissant seul avec en mémoire son regard intense. Son visage doux. Son amour inconditionnel.

Et ce vide abyssal qui revenait inexorablement.

Mais je savais parfaitement qu'une nouvelle chose allait inévitablement perturber ma soirée déjà éprouvante.

Je savais que je devais absolument appeler ma mère immédiatement pour en avoir le cœur net, pour dissiper ce doute qui me rongeait.

Être absolument sûr et certain que c'était véritablement bien elle qui avait demandé cette limitation stupide de trente minutes.

Je décrochai le combiné téléphonique blanc fixé au mur près de mon lit, mes mains tremblant légèrement. Je composai le numéro familier.

Le téléphone sonna dans le vide.

Une fois.

Deux fois.

Trois fois encore, évidemment.

— Maman ? articulai-je finalement quand elle décrocha.

— Mon chéri adoré, comme ça me fait immensément plaisir de t'entendre enfin ! s'exclama-t-elle avec une joie manifeste et spontanée. Gabi est encore avec toi en ce moment ?

— Non maman, il vient justement de partir il y a quelques minutes à peine, répondis-je prudemment.

— Déjà !? s'étonna-t-elle, visiblement surprise et déçue. Mais vous avez eu le temps de bien discuter au moins ?

Son ton était sincèrement surpris. Authentiquement déçu. Pas du tout celui d'une mère qui aurait consciemment imposé une limite stricte.

Et c'est précisément ainsi, à cet instant précis et glaçant, que je compris avec une certitude absolue et terrifiante que ma mère venait tout simplement de se faire usurper son identité.

Quelqu'un s'était fait passer pour elle. Quelqu'un avait volontairement limité mon temps avec Gabriel. Quelqu'un voulait nous séparer, nous isoler.

Mais qui ? Et surtout... pourquoi ?

Le chiffre 3 résonna à nouveau dans ma tête comme un gong sinistre.

Trente minutes. Trois sonneries. Trois amis présents. Trois... toujours trois.

Mon sang se glaça brutalement dans mes veines.

Ce n'était pas une coïncidence banale. Ça ne pouvait plus l'être. C'était un message codé. Un avertissement cryptique.

Et le match de samedi... samedi prochain...

Mon Dieu.

Je devais absolument les prévenir. Tous. Avant qu'il ne soit définitivement trop tard.

Mais comment leur expliquer rationnellement quelque chose que moi-même je peine encore à comprendre complètement ? Comment leur faire comprendre ce danger invisible que je sens planer au-dessus de nos têtes ?

Je raccrochai machinalement le téléphone, mon esprit tournant à plein régime.

Le tueur savait où j'étais. Il savait qui comptait pour moi. Il savait comment me toucher, comment m'atteindre.

Et maintenant, il jouait avec moi.

Avec nous tous.

Le Bug 333 n'était pas juste un détail technique obscur dans une enquête. C'était une signature meurtrière. Un compte à rebours mortel.

Et le temps s'écoulait inexorablement.

Tic.

Tac.

Trois.

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