Seule à la maison
- Le MasqueEmy (Lou) — La décision
Je commence à en avoir vraiment, sincèrement assez de cette gamine insupportable.
Cette foutue Cerise.
Rien qu'à penser à elle, mes mâchoires se crispent douloureusement et mes ongles s'enfoncent profondément dans ma paume jusqu'à percer la peau. Elle est capable, à elle toute seule, de réduire en poussière le plan minutieux que je prépare depuis si longtemps. Une simple gosse de neuf ans, et pourtant... elle pourrait tout foutre catastrophiquement en l'air. Tout ce pour quoi j'ai attendu, tué, souffert.
Mais heureusement pour moi, demain elle est la prochaine sur ma liste.
Et au fond, j'ai presque l'impression troublante que la mort elle-même a pris exactement la même décision que moi. Comme si tout avait été écrit depuis le début. Comme si le parchemin que je traîne partout n'était qu'un écho fidèle de ce que je savais déjà dans mes tripes.
Cette sale mioche doit disparaître définitivement, avant qu'elle ne commence à ouvrir sa bouche au mauvais moment, devant les mauvaises personnes. Parce que Cerise, c'est précisément ce genre d'enfant qui parle beaucoup trop, qui regarde beaucoup trop attentivement, qui devine des choses qu'elle ne devrait absolument pas. Et moi, je n'ai pas le droit de la laisser divulguer quoi que ce soit de mon identité à qui voudra bien écouter ses histoires.
Je suis assise sur ce qui est censé être mon lit. Mais soyons parfaitement clairs : c'est pas un lit, c'est une mer écœurante de peluches roses, de nounours aux sourires stupidement figés, de bisounours à la tronche débile. Un amas sucré, ridicule, qui n'a absolument rien à voir avec moi.
Je pousse un long soupir, presque un râle de dégoût.
— Pff... heureusement qu'y avait pas ça à l'époque..., je souffle pour moi-même.
À l'époque. Celle que personne ne connaît vraiment, celle qui est censée être effacée des mémoires.
Je m'affale, mes bras écartés sur ce tas de couleurs criardes et infantiles. Chaque seconde passée dans cette chambre me donne l'impression étouffante d'être enfermée dans une vie qui n'est pas la mienne. Une vie qui aurait dû s'arrêter depuis longtemps.
Parce que je suis censée être morte.
Morte, bordel. Et pourtant je respire encore. Et je subis.
J'en ai marre de ne pas pouvoir être pleinement libre de mes décisions. Marre de devoir plier le genou devant ce foutu parchemin qui me dicte chaque pas, comme si j'étais une vulgaire marionnette. Quand j'aurai fini ma mission — si jamais j'y arrive — peut-être que je pourrai enfin récupérer ma poupée. Elle m'attend, quelque part, je le sens. C'est peut-être qu'un souvenir, peut-être un fantasme, mais c'est tout ce qui me reste pour avancer.
Alors j'imagine.
J'imagine un monde parfait.
Un monde dénué d'ordures, un monde lavé de toutes ces impuretés qui nous collent à la peau. Un monde où les intangibles et les humains pourraient coexister, marcher ensemble sans peur ni haine. Un monde où je ne serais pas obligée de ramper dans l'ombre.
Mais non. À la place, je suis coincée ici, sur cette planète pourrie. Une planète qui m'écœure, qui me rejette, où je n'ai pas ma place. Parce que, je le répète, je suis censée être crevée depuis longtemps. Et chaque seconde que je passe vivante est une insulte.
Demain, j'ai la mioche en garde. Cerise.
Le problème, c'est qu'elle est intouchable tant que je suis officiellement sa gardienne. Toutes les occasions seraient parfaites pour... agir. Mais si ça se produit sous ma surveillance, je serai la première accusée. Une cage invisible se referme sur moi.
Je rouvre les yeux. La feuille avec son nom me fixe depuis le bureau. Juste à côté, une inscription. Un mot griffonné qui scintille presque dans ma tête.
"L'Imposteur."
Mes lèvres s'étirent en un sourire mauvais.
Ça, c'est pas mal comme intangible. Pas mal du tout.
Je me redresse, mes pensées se mettent à tourbillonner. Ce mot me rappelle quelque chose. Ça me renvoie directement à l'intangible que j'avais utilisé contre Chris. La "Dématérialisation". Le principe est presque le même : on colle une image, une apparence qui n'est pas la nôtre, et les autres n'y voient que du feu. Une supercherie parfaite, une illusion si solide qu'elle devient réelle pour tous ceux qui la regardent. Tout ça avait tellement bien marché la première fois ! Mon esprit, qui vagabondait, hors de "mon" corps !
Il suffirait de projeter une Emy qui n'est pas moi. Une doublure. Une copie conforme, obéissante, qui joue mon rôle à la perfection pendant que je m'occupe de mes vraies affaires.
Tout cela me semble être une idée parfaite. Trop parfaite.
Et plus j'y pense, plus l'idée m'empoisonne comme un parfum addictif.
Capucine — Le dilemme
Demain, c'est foutu : personne pour garder Cerise.
Cette pensée me trotte en tête depuis des heures, comme une mouche qui refuse de mourir. J'ai beau la chasser, elle revient. Cerise pourrait rester seule — elle n'est plus un bébé, elle a de la ressource. Mais après ce qu'on a vécu avec Tristan, je n'arrive plus à la voir comme une simple petite fille autonome. Je la vois fragile, exposée, comme une vitre qui pourrait se briser au moindre choc.
Et puis, c'est pas seulement moi. Mathieu aussi le sait. Même si monsieur préfère toujours garder sa contenance, je le lis dans ses gestes. Sa manière de mordre l'intérieur de sa joue quand on parle d'elle, ses sourcils qui se froncent à peine quand je dis « seule ». Il n'a pas besoin de le dire, je comprends : il n'est pas rassuré non plus.
Alors depuis hier, on cherche. On se creuse la tête, on imagine tous les scénarios possibles : demander à une voisine, improviser une garde chez une copine de Cerise, demander à quelqu'un de faire semblant de tomber malade pour rester... mais rien n'est viable. Chaque plan s'effondre avant même d'exister.
Et moi, je sais très bien quelle serait la solution la plus simple.
Emy.
Ma sœur. Celle qui a toujours été là, qui autrefois pouvait prendre le relais sans sourciller. Mais voilà : depuis Tristan, je n'arrive plus à la regarder en face. Quelque chose s'est brisé. Entre nous, il y a comme une cloison de verre épaisse. On se parle, mais tout sonne creux, comme si nos mots s'écrasaient contre cette paroi invisible.
Je la vois, parfois, marcher dans la maison avec ce visage fermé, ces yeux fuyants. Elle n'est plus vraiment là. Elle est dans ses pensées, dans ses plans — des plans dont je ne sais rien. Et plus j'essaie de la comprendre, plus je sens qu'elle s'éloigne. Alors oui, lui confier Cerise, c'est peut-être logique... mais est-ce que c'est raisonnable ?
J'ai peur.
Aya, bien sûr, a essayé d'arranger les choses à sa façon. Aya, c'est toujours la médiatrice, celle qui croit qu'il suffit de vouloir très fort pour que tout redevienne comme avant. Elle a parlé de l'hôpital, de Léandre, de prendre Cerise avec elle pour aller le voir... mais Mathieu a dit non. Il refuse qu'Emy approche Léandre tant qu'il n'est pas réveillé. Et même si je comprends ses raisons, ça laisse tout en plan.
Et puis, il y a moi. Moi et ce fichu rendez-vous que je me suis laissée imposer.
Pas directement, non. Personne ne m'a braqué un flingue sur la tempe. Mais Aya... Aya a insisté avec ses grands yeux pleins de larmes, avec ses phrases toutes douces qui finissent par être des ordres. « Tu verras, Capu, ça te fera du bien. » « T'as besoin de tourner la page. » « Je l'ai déjà prévenu, tu ne peux plus te défiler. »
Alors j'ai cédé. Pas pour moi, mais pour elle. Comme toujours.
Le pire, c'est que quand j'ai essayé de lui expliquer pourquoi je voulais pas, elle n'a pas compris. J'ai dit :
— J'ai pas envie de m'attacher à quelqu'un pour le perdre après.
Et Aya, évidemment, a pleuré. Parce qu'elle, elle croit encore à l'amour éternel, aux histoires qui réparent les cœurs. Moi, je sais que ça laisse que des cicatrices.
Alors voilà. J'ai dit oui. Je me suis préparée. J'ai passé une heure devant le miroir, à hésiter entre paraître indifférente ou montrer que j'y ai mis un effort. Finalement j'ai opté pour un entre-deux : une robe simple, des tresses serrées avec des rubans, un peu de maquillage discret. Pas pour lui. Pas pour Mathieu non plus. Juste pour moi, peut-être. Pour me rappeler que je suis encore moi-même.
Quand je descends, Cerise est assise au milieu du salon. Elle a étalé toutes ses Barbie, et bien sûr, elles s'appellent toutes... Barbie. Elle les range, les classe, les fait parler entre elles avec des voix différentes. Son monde à elle est encore intact, protégé par des murs invisibles que je me tue à défendre.
Je m'accroupis à côté d'elle.
— Elles sont jolies ces poupées.
Elle acquiesce.
— Oui !! Mais ma préférée restera toujours celle-là !
Elle brandit la Barbie à la peau brune, et aux cheveux crépus. La seule parmi toutes les autres identiques, blondes, aux yeux bleus.
— Très bon choix, approuvai-je. Elle a d'aussi beaux cheveux que toi.
Elle rigola, passant la main dans son épaisseur hallucinante de cheveux.
— Tu sais que je vais sortir ce soir, hein ?
— Mh-hm.
— Tu restes avec Emy. Tu promets de pas ouvrir à n'importe qui ?
Elle me regarde, ses grands yeux remplis de cette innocence qui me déchire.
— Promis !
Je la serre fort dans mes bras. Trop fort, peut-être. Comme si ce câlin pouvait la protéger de ce qui m'échappe. Puis je me relève, j'inspire un grand coup.
Quand je pousse la porte de la maison, j'ai déjà un goût amer dans la bouche. Comme une intuition que quelque chose va mal tourner. Mais je chasse l'idée. Je me dis que ce n'est que quelques heures. Juste un rendez-vous. Juste une soirée.
Que pourrait-il bien arriver ?
Emy (Lou) — Le supermarché
Évidemment que je n'ai aucune intention de bosser aujourd'hui.
Le boulot d'Emy existe, oui. Elle a vraiment décroché un petit job étudiant, histoire de donner un coup de main à Tata pour les frais. Mais moi... moi je n'ai rien à voir avec cette gamine sage qu'elle fait semblant d'être. Je n'ai pas de temps à perdre derrière une caisse, à supporter les clients avec leurs mines fatiguées et leurs courses débordant de conserves.
Je suis là pour une autre raison.
Je l'avais décidé hier soir, en fixant le plafond couvert de peluches stupides et de posters criards. J'en pouvais plus de cet univers étouffant, sucré, collant, où chaque objet crie « enfance ». J'en ai ri toute seule : quelle ironie, qu'on m'ait collée dans le corps de cette gosse. Moi, coincée dans une peau qui n'est pas la mienne, forcée de sourire comme une poupée alors que j'ai soif de sang et de silence.
Mais peu importe. J'ai une mission. Et aujourd'hui, la cible est Cerise.
Le supermarché est immense, saturé de néons qui grésillent. L'air sent le plastique, le carton mouillé, et une odeur de sucre chimique provenant du rayon confiserie. Les gens défilent comme des automates, caddies grinçants, visages tirés. Je déteste cet endroit. Mais c'est parfait pour passer inaperçue.
Je prends place derrière une caisse. La collègue qui me forme me bombarde d'instructions inutiles, comme si j'en avais quoi que ce soit à faire. « Sourire au client, scanner lentement, bien vérifier le code-barres... » Je hoche la tête, docile, mais à l'intérieur, je ris. Si elle savait...
Quand enfin elle s'éloigne, je profite de l'instant. Je sors l'objet.
Le masque.
Un loup fin, couleur ivoire, gravé de motifs presque invisibles à l'œil nu. Il paraît inoffensif, presque joli. Mais moi, je sais ce qu'il cache. J'ai appris à le manier comme une extension de moi-même. Un instrument d'ombre. Une arme silencieuse.
Les instructions étaient simples : poser le masque sur le visage d'une autre. L'esprit s'endort. Le corps obéit. Et moi, je suis libre.
Je respire profondément, comme pour savourer l'instant. Puis je me lève de ma caisse, discrète, rapide, mes yeux balayent la salle. Les clients ne remarquent rien. Juste une « petite nouvelle » qui bouge. Rien d'alarmant.
Mais la vieille peau derrière moi — ma collègue, ridée, sèche comme une branche morte — relève la tête.
— Hé ! Toi ! On t'a pas appris à rester en poste ? On quitte pas sa caisse comme ça !
Je serre les dents. Je pourrais lui briser la nuque d'un seul mouvement, mais je me retiens. Pas aujourd'hui.
— J'ai une envie pressante, lâché-je, jouant la comédie.
Elle me fusille du regard.
— Pff. Les jeunes... Toujours une excuse. Au moins, préviens à l'accueil !
Je me plie en deux, feignant un haut-le-cœur, une main sur le ventre. Elle détourne le regard, dégoûtée. Parfait.
Je file. Je trouve ma « proie » dans la salle de pause : la collègue qui m'a formée, affalée dans un fauteuil, une revue dans les mains, totalement détendue. Elle ne m'entend pas arriver.
Je m'approche par derrière, silencieuse comme l'ombre que je suis. Mes mains claquent sur sa bouche. Elle se débat, ses yeux s'écarquillent. Je sens sa panique vibrer sous mes doigts. Je glisse un chiffon dans sa bouche — un vieux torchon qui traînait là. Ses cris s'étouffent aussitôt.
Puis, délicatement — presque tendrement — je pose le masque sur son visage.
Il colle aussitôt, comme une seconde peau. Ses paupières battent une fois, deux fois. Puis son corps se détend, sa respiration ralentit. Quand elle rouvre les yeux, ce ne sont plus les siens. C'est Emy qu'on verrait, si quelqu'un passait la porte. Une Emy parfaite, docile, prête à retourner à la caisse comme si de rien n'était.
Moi, je recule. Je souris.
La première pièce de mon plan est en place.
Je n'ai plus qu'à filer, discrète, pendant que mon double reste en poste. Personne ne se posera de questions. Personne ne saura qu'Emy, la gentille fille, est déjà ailleurs.
Ailleurs... vers Cerise.
Parce que ce soir, cette gosse va comprendre ce que c'est que d'être sur ma liste.
Capucine — Le rendez-vous
C'était dur à admettre, mais le temps semblait enfin au rendez-vous. Les oiseaux chantaient doucement, une brise légère caressait ma peau et jouait dans mes cheveux, un mélange subtil de fraîcheur et de chaleur, juste assez pour que je ne regrette pas ma tenue. Je ne pouvais m'empêcher de remarquer chaque détail autour de moi : le parfum subtil des fleurs qui bordaient le trottoir, le léger bruissement des feuilles dans le vent, le cliquetis des chaussures des élèves au loin. Tout semblait se fondre dans une sorte de décor irréel, presque parfait pour ce moment que je redoutais et espérais à la fois.
Mathieu voulait m'attendre près de la fontaine, un endroit où les couples se retrouvaient souvent, mais je refusai. Trop voyant. Je lui demandai de venir plutôt devant le lycée. Je n'avais pas envie que tout le monde pense que j'avais un rendez-vous galant. J'étais à la fois excitée et paniquée. Chaque pas me semblait plus lourd que le précédent, chaque regard que je croisais m'enfonçait un peu plus dans ma nervosité.
Quand je le vis enfin, là, immobile, un sourire en coin sur le visage, j'eus l'impression que tout mon corps se figeait.
— Woow Capucine, t'as croisé un fantôme ? blagua-t-il.
— Oui, c'était le mien de ce soir, dis-je en jouant le jeu, essayant de masquer ma tension par un rire léger qui trahissait pourtant mon embarras.
— Heeeey, le but n'est pas que tu sois mal à l'aise avec moi, tu sais.
Il posa sa main sur mon épaule. Un frisson me parcourut alors tout le corps, mais pas un frisson électrique, non... un frisson de recul, comme si le simple contact était trop intense, trop rapide. Je sentis ma gorge se nouer, et je bus un instant d'air comme pour reprendre le contrôle. Il comprit aussitôt, retirant sa main.
— Désolé... je pensais que tu étais tactile, la dernière fois avec Aya.
— Oui... c'est exactement ça le problème, marmonnai-je. Aya est beaucoup trop tactile... mais toi, je... je ne sais pas...
Son regard se fit interrogateur, presque attendri.
— Serait-ce un compliment ou je rêve ? dit-il en haussant un sourcil.
Je rougis violemment, consciente que mon visage trahissait plus que mes mots.
— Va pas t'imaginer des choses ! Mon ton était ferme, trop ferme, et je le sentis... trop tard.
Pourquoi n'étais-je pas assez douce avec lui ? Pourquoi mes paroles sonnaient-elles toujours comme des murs entre nous, alors que mes yeux et mon cœur criaient le contraire ? Je voyais ce voile de tristesse dans ses yeux clairs, un vert-bleu hypnotisant, presque irréel, qui contrastait magnifiquement avec sa peau foncée. Trop gentil, trop parfait... et moi, incapable de lâcher prise.
— Tu sais, si ça te met mal à l'aise, on peut arrêter le rendez-vous maintenant, murmura-t-il.
Putain Capucine... RATTRAPE-TOI, idiote ! pensais-je.
— Tu sais, si je n'en avais pas vraiment envie, je n'aurais jamais laissé ta petite sœur seule à la maison, répondis-je, en espérant que mes mots sonnent convaincants.
Une lueur d'espoir passa dans ses yeux. Cette petite étincelle me fit culpabiliser. Tout ça... tout ce que je faisais, ce pari stupide, cette protection maladroite... et voilà que je jouais avec les sentiments de quelqu'un d'incroyablement gentil.
— Je... je sais pas ce qui me prend, désolée, Mathieu.
Je m'apprêtai à m'éloigner, à retrouver mon sanctuaire, mais il retint mon bras doucement, sans forcer, juste assez pour me faire sentir son poids.
— Capucine... s'il te plaît, ne me laisse pas.
Le temps se figea. Nos yeux se croisèrent, et ce regard... ce regard qui semblait vouloir pénétrer mes défenses, m'obliger à déposer toutes mes armes... je sentis mon cœur s'emballer. Je dus détourner les yeux quelques secondes pour reprendre ma respiration.
— Tes yeux te trahissent, Capucine, murmura-t-il, et je sus que je venais de perdre un peu de moi-même.
Je brisai le lien que nos regards avaient créé. Hors de question qu'il continue, hors de question que je perde tout contrôle.
— Allons prendre un café, proposai-je, pour masquer mon tremblement intérieur.
— Je pensais que la journée devait se dérouler au lycée, dit-il avec un clin d'œil malicieux.
Je roulai des yeux, un mélange de frustration et d'excitation dans mon cœur.
— Aaah, commence pas à m'agacer ! Allons-y, direct à la cafétéria, ton café.
— Non, pas comme ça... j'ai une meilleure idée, dit-il en me prenant doucement par la main.
Je le suivis, perplexe, mes pensées tourbillonnant comme des feuilles emportées par le vent. Il commandait deux cafés, et sans même me laisser sortir un mot, il paya pour nous deux. Puis, il me guida dans les escaliers du lycée, escalier que je n'avais jamais emprunté, et nous atteignîmes un endroit vide, silencieux, presque secret.
Le toit... vide. Juste nous et le soleil d'avril qui chauffait doucement nos peaux, filtrant à travers les vitres et les recoins de l'endroit. Mais Mathieu prit le petit escalier, celui réservé au personnel. Mon cœur fit un bond. Je pensais qu'il voulait juste profiter du soleil, mais non... il voulait me surprendre encore. Il me prit la main. Je ne la retirai pas.
Nous descendîmes dans des couloirs interdits, silencieux, et arrivâmes devant une porte que je n'avais jamais vue. Il l'ouvrit avec un geste théâtral, et derrière... des centaines de dessins, des traces du passé, des histoires silencieuses de centaines d'anciens élèves. Une salle d'arts plastiques abandonnée, mais intacte, figée dans le temps.
La lumière filtrait à travers les rideaux semi-fermés, dessinant des milliers de particules flottantes dans l'air. Et puis, il y avait lui... et ses yeux, encore, reflétant la lumière, un mélange de vert et de bleu, menthe à l'eau, presque irréel. Mon souffle se coupa.
— C'est si beau... murmurai-je.
— Moi ou l'endroit ? dit-il avec un sourire qui me fit frissonner.
— La salle, Banane !
Il m'installa sur un pouf, alluma de petites guirlandes qui donnaient à la pièce un air magique, presque féérique. Nous restâmes là, silencieux, juste nous deux et le monde qui semblait suspendu autour.
Je me penchai instinctivement vers lui. Mes mains désobéirent à mon esprit, l'une d'elles venant se poser sur sa joue chaude. Mon cœur battait comme un tambour, mes pensées s'embrouillaient, et je compris que ce n'était plus un simple jeu.
Un baiser. Simple, mais suffisant pour faire exploser mon cerveau. Le vide, le doute, les barrières, tout fut remplacé par cette chaleur, ce vertige délicieux... je voulais que ça dure pour toujours.
Lou — En route
Pendant que Capucine s'abandonne dans les bras de Mathieu...
Pendant qu'elle perd ses défenses et découvre ce qu'est l'amour...
Moi, je marche dans les rues désertes.
Je marche vers la maison.
Vers Cerise.
Vers la quatrième victime.
Mon sourire s'élargit.
Bientôt.

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