C'est quoi la confiance ?
Partie 1 — Enfin dehors
Enfin dehors.
L'air me gifla le visage, un souffle sale, froid, mais bien plus respirable que l'atmosphère étouffante du magasin. Là-dedans, j'avais l'impression que les murs transpirent la sueur, la crasse et les regards des camés. Tous ces yeux vitreux, plantés sur moi comme des sangsues. J'en pouvais plus de voir leurs sales gueules, toutes pareilles, toutes mortes avant même d'avoir crevé.
Je tirai ma capuche sur ma tête et pressai le pas. Maintenant, la voiture.
Mes doigts tremblaient un peu quand je glissai la clé dans le contact. Je tournai — clac-clac... vroum... puis silence. La bagnole cala aussitôt, comme si elle me crachait au visage. J'avais oublié. Évidemment que j'avais oublié : je n'avais jamais eu le permis à l'époque. C'est presque devenu une habitude de laisser Emy prendre le volant quand il s'agit de conduire. Sauf que cette fois, elle n'est pas là. Alors c'est moi. Juste moi.
J'essayai encore. Le moteur rugit, toussota, s'éteignit. Deuxième tentative, troisième... mes dents grinçaient. Chaque raté était une claque, une humiliation.
Enfin, le moteur accepta de tourner. Je décollai dans un bond brutal, comme si je venais de réveiller une bête mal domptée.
Sur la route, les klaxons me tombèrent dessus comme une volée de pierres. J'évitai un bus de justesse, grillai un stop, et manquai de finir dans le capot d'une voiture de flics. Rien que leurs gyrophares éteints suffirent à me filer un coup de chaud qui me glaça la nuque. Un seul regard de travers, et tout s'effondrait. Tout.
Putain, comment ça aurait été un échec de merde...
Je roulai encore quelques minutes, la mâchoire serrée, les mains crispées sur le volant comme si elles allaient se souder au plastique. Puis je me garai en vrac, n'importe comment, sur un parking public au centre-ville. Pas question de tenter le diable plus longtemps. Les voitures, c'est trop voyant. Trop risqué. J'avais déjà brûlé assez de chances pour la journée.
Alors je fis le reste du trajet à pied, le souffle court, le cœur encore battant de la frayeur d'avoir frôlé les flics.
À chaque pas, une pensée revenait, comme un clou qui s'enfonce plus profondément dans mon crâne :
Si seulement j'avais mon propre corps...
Je ralentis en approchant de la maison. De chez... moi ?
Peut-on encore dire ça ?
Je rabattis ma capuche, nouai mes cheveux en arrière, enfilai des lunettes de soleil trop grandes pour moi. Mon reflet dans une vitrine me renvoya l'image d'un fantôme mal déguisé, d'un intrus. Mais peu importe. J'avais pris mes précautions.
Cerise ne devrait pas avoir peur. Pas d'Emy.
Je suis Emy. Je suis littéralement sa babysitter, celle qu'elle a toujours connue. Elle doit m'ouvrir. Elle m'ouvrira.
Je frappai. Une fois. Deux fois. Silence.
— Hey... j'espère qu'elle ne pionce pas...
L'attente s'étira, lourde, interminable. Trois minutes au moins. Puis enfin, une silhouette apparut derrière la fenêtre. Cerise. Son visage changea en un éclair : mépris d'abord, puis joie. Comme un orage qui cède la place au soleil.
Je fis un petit signe de la main, en retirant mes lunettes pour qu'elle reconnaisse mon visage. Le sien s'illumina aussitôt.
En même temps, mes doigts enfilèrent discrètement les gants de travail que j'avais pris du boulot. On n'est jamais trop prudent. Un seul oubli, une seule trace, et la police remonte jusqu'à moi.
La porte s'ouvrit d'un coup, avec une énergie d'enfant.
— EMYYYY !!
Elle voulut me sauter dessus, m'entourer de ses bras trop maigres, mais je la repoussai sèchement.
— Chuut ! Je ne suis pas censée être là, Cerise. Fais moins de bruit.
Ses yeux s'arrondirent, intrigués, puis descendirent le long de mon "déguisement" — la capuche, les habits sombres, les lunettes.
— C'est quoi, ton costume ? On dirait que tu vas cambrioler une banque...
— C'est rien. Les affaires du boulot. J'ai dû partir en urgence.
Elle plissa le nez, méfiante.
— Bah pourquoi ? Emy... t'as volé des trucs ?!
Sa voix monta dans l'air comme une alarme. Je crispai ma mâchoire.
— Mais non voyons ! Qu'est-ce que tu racontes ? Tu sais très bien que je ne suis pas comme ça, Cerise.
Mais ses yeux restèrent fixés sur moi, comme des aiguilles qui piquaient ma peau. Elle me scrutait. Elle cherchait la faille.
— Tu ressembles pas à Emy. Tu n'es pas Emy.
Ses mots claquèrent comme un coup de fouet. Un froid me parcourut la colonne vertébrale.
— Quoi ? Mais d'où tu me sors ça ?
— Je le sais, c'est tout. Rends-moi la vraie Emy.
Elle n'avait que dix ans, et déjà cette insolence, cette lucidité terrifiante. Je détestai ça avec une intensité brûlante. Les enfants ont toujours ce don pour flairer la vérité, comme des chiens qui sentent la peur. J'aurais dû me méfier d'elle dès le départ.
Mais peu importe. Qu'elle pense ce qu'elle veut. Ses secrets, elle les emportera avec elle.
— Tu veux bien partir, s'il te plaît ? Je parle pas aux inconnus.
Elle me provoquait. Me défiait. Ses mots me brûlaient.
— Assez, Cerise. Laisse-moi passer.
Je la poussai de côté. Elle était si frêle qu'elle glissa presque sans résistance.
— Hey ! J't'ai dit de pas entrer !
— Je suis chez moi. Et maintenant, tu te tais.
Elle recula d'un pas, secoua la tête. Ses yeux s'assombrirent, pleins d'une conviction effrayante.
— Emy ne m'aurait jamais parlé comme ça...
Partie 2 — Le doute de Cerise
Je me plantai devant elle, baissée à sa hauteur. Son regard restait fixé dans le mien, tremblant mais résolu.
— Si tu crois que t'es si intelligente du haut de tes dix ans... alors dis-moi. Où est la vraie Emy ?
Sa mâchoire se crispa. Ses yeux s'humidifièrent mais elle ne détourna pas le regard.
— Tu la gardes prisonnière.
Je ricanai, un son sec qui vibra dans le silence étouffant de la pièce.
— Prisonnière ? Et où ça, selon toi ? Hein ? Dis-le-moi, petite fouine.
— Tu lui as pris son corps.
Je restai figée une seconde, prise complètement au dépourvu. Comment pouvait-elle dire ça ? Un frisson glacé courut sur ma nuque.
— Comment tu sais ça ?
— J'ai entendu. La dernière fois, dans sa chambre. Elle te suppliait. Elle ne voulait pas que tu viennes...
Sa voix tremblait, mais chaque mot plantait un clou dans ma tête.
— Tu es comme les gens bizarres de la télé... Ceux qui ont plusieurs visages. C'est ça, hein ?
Ses pupilles brillaient avec une certitude qui m'effraya.
— Tu es malade. Elle avait raison, Capucine, tu as besoin d'aide...
Ses mots me touchèrent comme des projectiles. Elle savait. Cette petite salope savait.
Je pris une grande inspiration et me forçai à sourire, douce, presque maternelle. Le mensonge était plus puissant que la vérité.
— Oh, ma chérie... tu t'imagines des choses. Tu sais bien que j'ai toujours été là pour toi. Que je suis Emy.
— Non.
Sa voix claqua comme un coup de fouet. Elle était inébranlable.
— Toi... tu es la pas-gentille. Tu veux que j'appelle Capucine ? Les médecins vont t'aider. T'inquiète pas, j'irai avec toi. Ça fait pas mal, Naïa me l'a dit !
Elle essayait de me sauver. Elle voulait m'emmener par la main chez un médecin comme une malade.
Je fis semblant de ne pas comprendre, élargissant mon sourire jusqu'à me faire mal aux joues.
— Mais de quoi tu parles ? Des médecins ? Tu es trop mignonne...
Je laissai filer les minutes. Je la laissai parler, inventer, m'expliquer la schizophrénie avec ses mots d'enfant maladroit. Plus elle parlait, plus elle s'épuisait émotionnellement. Petit à petit, ses épaules retombèrent. Sa voix perdit de sa force, devint plus hésitante.
Je savais comment faire. Les enfants sont des éponges émotionnelles. Il suffit de leur donner assez de douceur maquillée pour qu'ils se détendent, qu'ils oublient.
Alors je sortis les gâteaux du four. Le parfum sucré envahit la pièce, se mélangeant à l'odeur de poussière et de plastique des jouets éparpillés dans le salon. Je posai l'assiette devant elle avec un sourire maternel.
— Tiens, ma puce. Pour toi.
Elle hésita. Ses doigts tremblaient légèrement, mais l'odeur l'emporta sur la méfiance. Elle mordit dedans à pleines dents.
— Merchi Emych ! dit-elle, la bouche pleine, les miettes collées à ses lèvres.
Je m'assis à côté d'elle sur le tapis, observant ses Barbie alignées avec attention. Leurs robes colorées, trop jolies pour être sorties d'un magasin quelconque.
— Ils sont beaux, ces habits.
Elle leva la tête, surprise par mon intérêt soudain.
— Normal. C'est toi qui les as faits.
Mon cœur manqua un battement. Je baissai vite les yeux, masquant mon trouble immédiatement.
— Évidemment, oui... Ils sont magnifiques, non ?
Elle hocha vigoureusement la tête, le sourire de nouveau accroché à son visage comme un masque.
— Tu pourras m'en refaire un ? Une robe de princesse ?
Ses yeux brillaient comme deux pierres précieuses. J'hochai la tête lentement.
— Bien sûr. Dès demain, si tu veux.
Son sourire s'effaça net.
— Demain... c'est long.
J'eus envie de rire intérieurement. Une gamine capricieuse, pourrie gâtée, qui voulait tout tout de suite.
Je lui caressai les cheveux d'une main lente, presque affectueuse.
— Tu verras, petite princesse... tu auras ta robe. Et tu ne regretteras pas.
Elle ne se doutait pas qu'elle n'aurait jamais le temps d'attendre demain.
Partie 3 — Capucine
Mathieu est si beau.
Assis en face de moi, le visage éclairé par la lampe doucement tamisée, il ressemble à une image trop parfaite pour être réelle. J'ai du mal à croire qu'il soit là, avec moi, à m'embrasser encore et encore.
Je n'ai pas vu le temps passer. Nos lèvres se sont trouvées, nos souffles se sont mêlés, et j'ai laissé filer les heures sans m'en rendre compte. Sa chaleur contre la mienne, ses doigts effleurant ma peau comme s'il avait peur de me briser.
Pour l'instant, on reste sages. Pas plus loin que des caresses, des baisers, des câlins. Mais je le sens, mon corps réclame davantage. Mon esprit, lui, hurle à la prudence.
Pourquoi je fais ça ? Pourquoi je m'inflige ça, et pourquoi je lui inflige ça à lui ?
Je vais finir par le briser, lui aussi. Comme tous les autres.
— Capucine ?
Sa voix me ramena d'un coup au présent. Je levai les yeux. Ses prunelles cherchaient les miennes avec inquiétude.
— Tu veux arrêter ?
— Non... non.
Mais ma voix sonnait fausse. Il le perçut aussitôt. Ses sourcils se froncèrent légèrement.
— Si, tu veux. Tu n'as pas besoin de faire semblant avec moi. Je ne veux pas que tu te forces.
Je baissai les yeux, incapable de soutenir son regard. Est-ce que je me force vraiment ? Ou est-ce que j'ai juste peur ?
Aimer ne m'a jamais paru possible. Pour moi, ça n'a toujours été qu'une plaie ouverte, qu'un cycle infernal : construire, puis voir tout s'effondrer, et recommencer encore, encore, jusqu'à s'écorcher vif.
— J'ai peur, Mathieu.
Il ne dit rien. Ses mains vinrent simplement chercher les miennes. Douces. Fines. Vivantes.
— Pourquoi la vie nous donne toujours des moments heureux... si c'est pour les transformer en illusions après ?
Il pressa mes doigts doucement.
— Les illusions n'existent que parce qu'il y a une réalité. Ce qu'on vit là, maintenant, c'est réel. Pourquoi devrais-tu croire que c'est faux tant que tu peux le toucher, le sentir ?
Ses mots vibraient dans ma poitrine. J'aurais voulu les rejeter, mais ils me touchaient malgré moi.
— La vie n'offre presque jamais de répit, Capucine. Si tu veux avancer, il faut sauter dans le vide.
Je fronçai les sourcils et retirai ma main des siennes.
— C'est facile à dire, ça. Tous les choix ne se valent pas. Certains foutent tout en l'air.
Il eut un sourire léger, amusé.
— Tu crois que je suis un mauvais choix ?
— Peut-être bien. Je haussai les épaules. De toute façon, je fais toujours les mauvais choix. Peu importe lesquels.
— Alors comment je dois le prendre ? dit-il en riant doucement, glissant ses bras autour de ma taille.
Je ne répondis pas. Mes bras, presque malgré moi, s'enroulèrent autour de son cou. Mon corps se serra contre le sien. Même ma poitrine, cette partie de moi que j'ai toujours voulu cacher, critiquée, jugée... contre lui, je n'en avais plus honte. Il n'y prêtait aucune attention. Ou peut-être qu'il l'aimait, tout simplement.
Nos bouches se retrouvèrent, plus brusques cette fois. Son baiser avait d'abord la maladresse d'un garçon timide, mais soudain il s'arrêta et me souffla à l'oreille, comme s'il me confiait un secret trop lourd :
— Je n'ai jamais embrassé personne avant toi.
Je restai figée. Lui ? Le si beau, le si désiré ? Jamais ?
Un sourire étira mes lèvres.
— Alors il est temps que je t'apprenne.
Je fis glisser ma langue entre ses lèvres, doucement, l'invitant. La sienne répondit, hésitante, puis plus assurée. Elles se mirent à danser ensemble, comme deux flammes qui se rejoignent, comme deux corps qui tournent dans une valse invisible.
Ma tête tourbillonnait.
Et pour la première fois depuis longtemps, je n'avais plus peur.
Partie 4 — La balançoire
Emy avait insisté pour m'emmener dehors.
— Il faut prendre l'air, Cerise. T'es restée enfermée toute la journée.
Moi, je voulais juste rester à jouer. Mais elle m'avait traînée jusqu'au jardin de la maison, et maintenant, je m'ennuyais.
Elle ne faisait rien. Elle s'asseyait sur le banc, les bras croisés, les yeux perdus dans le vide. D'habitude, elle joue avec moi, elle court, elle rit. Là, rien. Juste ce silence pesant qui m'écrasait.
— Quand est-ce qu'elle rentre, Capucine ? demandai-je en traînant les pieds.
— Je sais pas. Sa voix était sèche, distante, presque menaçante.
Je plissai les yeux.
— Dis, tu penses à quoi ?
— À rien.
— T'as un amoureux ?
Elle tourna enfin la tête vers moi, ses yeux étranges brillant d'une lumière anormale dans la pénombre du soir.
— Non.
— Moi j'en ai un ! dis-je en bombant le torse. Il s'appelle Paulo, il est en CM1. On a fait un pacte : c'est mon futur mari.
Elle me fixa un instant très long. Puis son regard se durcit.
— Fais attention à toi, Cerise. Il faut se méfier des garçons.
— Pourquoi ?
— Parce qu'ils mentent. Tout le monde ment. Pas que les garçons. Les filles aussi. Alors méfie-toi de tous... sauf si tu les connais depuis longtemps.
Je ne compris pas trop, mais je hochai la tête. Elle se leva soudain et posa ses mains dans mon dos.
— Tu veux que je te pousse ?
— Ouaaais ! Grave !
Le bois de la balançoire grinça sous mon poids quand je m'assis. Ses mains me poussèrent doucement d'abord, puis plus fort. Le vent fouettait mes joues, s'engouffrait dans ma bouche ouverte d'excitation.
— Dis, Emy... comment je saurai si Paulo, c'est un bon garçon ?
Elle rit, un son qui me glaça un peu.
— À ton âge, ça veut rien dire, ma puce. T'as le temps.
Mais ses mains poussèrent plus fort encore. Mes jambes volaient dans le vide, mes pieds frôlaient presque les nuages.
— Ouaaah ! Un peu moins fort, j'ai peur !
— Amuse-toi, tant que tu peux encore. Quand on grandit, on ne joue plus.
Je sentais mon cœur battre trop vite. L'air manquait déjà.
— Emy... arrête, je vais vomir !
D'un coup sec, elle stoppa la balançoire. Je faillis tomber en avant. Mes mains agrippèrent les cordes de toutes mes forces.
— Merci... refais plus jamais ça !
Je voulus descendre, mais ses bras se refermèrent sur moi, trop fort, trop longtemps, m'étouffant presque.
— Bah... Emy ? Je veux descendre...
Elle ne répondit pas. Ses yeux fixaient les miens avec une intensité qui me coupa le souffle complètement.
— Je crois... je crois que je vais vraiment parler à Capucine. Pour le médecin.
Ses lèvres s'étirèrent lentement en un sourire trop large, inhumain.
— Attends. On va jouer à un jeu.
Ses doigts saisirent les cordes avec brutalité. Elle fit tourner la balançoire sur elle-même, un tour, deux tours, trois tours. Mes jambes se tordaient, mon ventre se serrait, mais au début c'était drôle, presque.
— Ooooh ! Ça tourne ! Encore !
Elle obéit. Encore un tour. Puis un autre. Les cordes se resserraient sur mes bras, sur ma poitrine, me comprimant.
— Emy... ça serre... Lâche tout d'un coup ! Comme ça, ça va tourner super vite !
— Non, pas encore.
Ses doigts serrèrent plus fort, enroulant encore, encore, encore. Le bois gémissait sous la tension, près de se briser.
— E...my ? J'arrive plus... à respirer...
— J'écoute pas les petites fouineuses qui se mêlent des affaires des grands.
Sa main se plaqua sur ma bouche. Plus d'air. Mes yeux s'écarquillèrent, mes jambes battaient frénétiquement dans le vide. Je suffoquais. Mes poumons brûlaient. Je voulais crier, hurler, mais aucun son ne sortait. Les larmes brouillaient ma vue.
Et alors, quelque chose changea.
Sa peau sembla se liquéfier sous mes yeux, dégoulinante comme du pétrole liquide. Un noir épais s'écoulait de ses joues, de ses bras, formant des rigoles de ténèbres. Ses yeux n'étaient plus les siens : ils devinrent marron, opaques, vides, inhumains. Ses cheveux raides, bruns, tombèrent devant son visage en cacophonie. Et ce sourire... trop grand, trop plein de dents jaunes et inégales, traversé d'un appareil dentaire métallique qui brillait dans la pénombre.
Elle n'était plus Emy.
Elle n'était pas humaine.
— Je vais t'offrir un monde meilleur, gamine. Un monde où seules les bonnes âmes seront accueillies.
Je ne comprenais rien. Mes mains griffaient la corde, mes pieds battaient dans le vide, mon esprit se fragmentait entre la réalité et l'impossible.
Je pensais à maman. À papa. À Mathieu qui m'avait promis que je vivrais jusqu'à 90 ans.
Il avait menti.
Tout le monde ment.
Je voulus crier une dernière fois, mais la corde s'enfonça dans ma gorge, étouffant chaque tentative.
Les dernières images que je vis furent le ciel qui s'assombrissait et ce visage déformé qui riait.
Et puis.
Plus rien.
Épilogue — Le silence
Dans la salle d'arts plastiques abandonnée, Capucine continue d'embrasser Mathieu, inconsciente du drame qui se joue ailleurs.
Son téléphone reste silencieux.
Personne ne l'appelle. Personne ne la prévient.
Pendant qu'elle découvre pour la première fois ce que c'est que d'aimer sans peur, sa petite sœur prend son dernier souffle.
Le monde continue de tourner.
Les horloge continuent de tourner.
Et Lou, transformée en créature des ténèbres, regarde le cadavre inerte de Cerise avec un sourire triomphant.
Trois plus un.
Quatre victimes.
Et Nathan est toujours vivant.
Pour l'instant.

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