Mauvaise Surprise

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Chapitre 11 - Les Conséquences 

Capucine — À la recherche de Cerise

Nous pédalions comme des fous sur nos bécanes avec Mathieu. Le sang battait furieusement à mes tempes, je n'arrivais plus à trouver l'air.

Mathieu... je l'ai jamais vu aussi calme. Ses iris autrefois pétillantes et brillantes... elles sont mortes. Complètement éteintes.

— Capu... il lui est arrivé malheur, j'en suis absolument sûr.

Je tentai vainement de le rassurer, mes paroles sonnant creuses même à mes propres oreilles.

— Si tu veux, je peux appeler Emy, attends...

Je composai frénétiquement le numéro de ma sœur avec des doigts tremblants.

Rien.

Toujours rien.

Était-elle toujours au travail ?

Je regardai les horaires qu'elle m'avait transmis pour son boulot. Aujourd'hui, elle devait finir à 15 heures.

Il commence à se faire vraiment tard. Il est 20 heures bordel. Qu'est-ce qu'elle fout ?!

Je l'harcelai de messages vocaux frénétiques, lui hurlant de revenir au plus vite à la maison. Ma voix tremblait dans chaque mot.

Toujours pas de nouvelles. Je décidai donc d'appeler Tristan en dernier recours.

Mathieu, lui, se rongeait les ongles jusqu'au sang, les yeux perdus dans l'obscurité.

— Attends, panique pas, lui dis-je faiblement. Elle est sûrement avec cet autre imbécile de British et elle a emmené Cerise, c'est sûr...

J'appelai le principal intéressé.

1 sonnerie.

2 sonneries.

3 sonneries.

— Allô ?

J'hurlai littéralement au téléphone, ma voix se brisant.

— TU FOUS QUOI BORDEL ?! PASSE-MOI EMY !

Il râla à l'autre bout du combiné.

— Alors déjà, bonjour ! Elle est pas là, Emy. J'ai pas demandé à être agressée au téléphone moi !

On se regarda furtivement avec Mathieu. Putain, ça sent vraiment pas bon...

— Je déconne pas, Tristan... je te jure que si elle est avec toi, je t'arrache littéralement la tête. C'est hyper grave, on a perdu Cerise !

Sa réaction fût trop réelle pour qu'il ose mentir.

— Comment ça... ? demanda-t-il d'une voix blanche, presque inaudible. Elle est pas avec vous ?

Mathieu m'arracha le portable des mains avec violence.

— NON, CONNARD, ELLE EST PAS AVEC NOUS !

Il tremblait de tous ses membres, les veines de son cou saillant sous la tension.

Une voix féminine m'interpella soudainement.

— C'est qui qui hurle comme ça ?

Aya. Qu'est-ce qu'il fait avec AYA ?

— Allô ?!

La voix de mon amie me parvint plus facilement aux oreilles, légèrement étouffée par le bruit de fond.

— Oh Aya ma belle, quel soulagement de t'entendre... Il fait quoi avec toi ce bougre de Tristan ? Tu as vu Cerise ?! Ou Emy ?...

— Attends attends, plusieurs choses à la fois, s'exprima-t-elle.

Il y eut un blanc qui sembla durer une éternité. Un mauvais contact ?

— Aya ?

— Oui oui attends, désolée... Tu vas pas le croire, LÉANDRE EST RÉVEILLÉ !!!

— Hein ?!!

Des cris fusèrent à travers le combiné, des voix qui se chevauchaient.

— Aya ?!! AYA ?

Le téléphone coupa net.

Merde.

— Qu'est-ce qui se passe ? me demanda Mathieu d'une voix blanche.

— Léandre vient de se réveiller à l'instant...

— C'est vrai ?

Un mélange de joie écrasante et de peur viscérale se mélangea dans sa réponse. Comment était-on sensé réagir à une bonne nouvelle quand on apprenait une mauvaise en parallèle ?

Nous continuâmes à faire le tour du village des Trois Sapins sans aucun succès. Cerise était introuvable. Emy aussi, évaporée sans laisser de trace.

— Tu penses que les deux pourraient être ensemble ? me balança Mathieu après dix minutes d'un silence écrasant.

Le pire dans cette histoire, c'est que c'était sûrement la chose la plus probable qui puisse se passer.

— Honnêtement ? Je pense que oui. J'ai bien dit à Cerise de n'ouvrir qu'aux personnes qu'elle connaît. Si elle a vu Emy, elle lui a certainement ouvert. C'est littéralement sa babysitter.

Nous repartîmes donc bredouilles à la maison, l'angoisse nous étreignant comme des mains glacées.

J'ai bien cru à plusieurs reprises que Mathieu allait faire un malaise complet sous le stress. Son visage avait pris une teinte grise, ses mains tremblaient violemment.

Fort heureusement, il réussit à faire tout le trajet.

Des sirènes de police illuminèrent soudainement la maison.

Toute notre motivation ressurgit d'un seul coup. L'espoir revint explosif. La folie nous empara complètement.

On fonça tête baissée à travers la marée de policiers qui embrumait les alentours de la maison.

Autour de nous, des villageois se regroupaient en petits groupes silencieux. Ils murmuraient, faisaient des masses basses remplies de terreur.

Certains avaient le visage blafard et cireux. D'autres ne pouvaient pas arrêter les flots de larmes qui coulaient de leurs yeux comme des rivières.

L'ambiance était froide, presque glaciale, déchirante au-delà de toute expression.

Des signalisations étaient installées partout au sol, des banderoles jaunes et noires incontournables, des « WARNING », « DO NOT PASS » qui encerclaient le jardin comme les frontières d'une tombe.

— ELLE EST OÙ MA SŒUR ?! hurla Mathieu.

Il bouscula les passants sans s'excuser, et il attrapa un policier en tirant désespérément sur sa veste.

Le policier sembla lui expliquer la situation, et je vis le visage de mon ami se décomposer progressivement fil de la conversation. Tout l'espoir qui était remonté en tempête retomba brutalement comme une pierre jetée dans l'abîme.

Les montagnes russes émotionnelles devinrent rudes, incontrolables.

Mathieu s'effondra à terre, sur ses genoux, le poids du monde écrasant ses épaules fragiles.

Je voulais pas en savoir plus. Mon esprit refusait absolument. Mais mon corps me guida indépendamment de ma volonté, et sans prêter gare aux signalisations officielles, je passai à travers les banderoles déchirées.

Le jardin était rempli de matériel policier en tout genre, des caméras, des appareils de mesure, des sachets de preuves. On entendait le clic incessant des appareils photos qui étraillaient la scène de douleur.

Au milieu, la balançoire.

Une petite fille y était suspendue. Mais elle n'était pas vivante.

Les cordes enserraient son cou avec une brutalité incompréhensible. Ses yeux étaient exorbités, presque sortis de leurs orbites. Un filet de sang mince coulait le long de sa lèvre inférieure et venait s'écraser délicatement sur l'herbe fraîche.

Sa peau d'origine brune était à présent blafarde, tirant sur un bleu décomposé et nauséabond.

Ce qui me choqua le plus brutal, c'était la terreur figée. La terreur enfouie profondément dans ses yeux ouverts. Des yeux qui hurlaient silencieusement de douleur inexprimable.

Je vomis l'entièreté de mes tripes sur le sol crasseux, éclaboussant mes chaussures de bile amère. Des policiers me tirèrent violemment en dehors de la scène de crime, et je ne suivis plus rien de ce qui se passait autour de moi.

Le reste était un brouillard blanc d'horreur.

Emy était enfin là, elle avait Mathieu dans les bras, lui parlant doucement malgré mon absence.

On me metta une couverture de survie tremblante sur les épaules et on m'éloigna aussi loin que possible de l'endroit maudit.

L'image était inscrite au fer rouge dans mon esprit, elle brûlait les synapses, elle ne voulait pas s'en aller.

— Capu, qu'est-ce que tu as vu ?!!

Ma sœur et mon ami accoururent vers moi dans un geste instinctif.

— Vous ne devriez pas savoir... articulais-je tel un automate brisé.

J'étouffais, des mains tentaient de m'attraper, de me consoler. Mais la seule chose qui pouvait réellement me consoler était l'ignorance totale.

Je veux faire machine arrière. Je n'aurais jamais dû la laisser seule.

Je ne suis qu'une sale égoïste.

(Aya )— Chambre d'hôpital de Léandre

Léandre était enfin revenu à la réalité. Peut-être une dure réalité, mais une qui était bien, définitivement réelle.

Il avait les yeux grands ouverts, des yeux qui nous regardaient intensément, mais vides, complètement détachés. Son regard fixe avait quelque chose d'inquiétant.

Entre-temps, du personnel médical avait accouru précipitamment pour gérer la situation, prendre ses constantes vitales, et tout le tralala médical dont je n'avais sincèrement rien à faire.

Tristan était heureux, mais visiblement en retrait. Il n'arrêtait pas de tenter de joindre Emy avec insistance, mais cette dernière ne lui répondait obstinément pas. Pourtant, c'est elle qui lui avait demandé de l'accompagner spécifiquement pour rendre visite à Léandre.

Léandre tentait d'articuler des mots, des phrases complètes, mais ils restaient étrangement coincés dans sa gorge. Des sons pâteux et guttéraux s'en échappaient, déformés. Après tout, il avait un tuyau enfoncé profondément dans la trachée pendant si longtemps.

— Léandre !

Je tentai de lui faire un câlin enthousiaste, mais Tristan me retint fermement par derrière.

— Non Aya, pas tout de suite.

En effet, Léandre s'était recroquevillé immédiatement en boule défensive dans son lit d'hôpital, geignant douloureusement. De peur ou de douleur ? Je ne saurais le dire avec certitude, mais son regard ne me promettait absolument rien de bon.

— Qu'est-ce qui lui arrive ? demandai-je perplexe.

Tristan enroula machinalement sa petite queue de cheval autour de ses doigts nerveux. Il sembla aussi perplexe que moi.

— Peut-être qu'il est devenu amnésique, comme dans les films hollywoodiens ?

— Ah ça non, je refuse catégoriquement d'y croire !

Une partie en moi cria que je ne pensais qu'à mon propre bonheur égoïste, mais je ne pouvais simplement pas imaginer un monde où Léandre m'aurait complètement oubliée. Je ne voulais surtout pas croire au fait qu'il ne se souvienne plus de rien, de tout ce qu'on avait partagé et surmonté ensemble.

— Léandre, mais qu'est-ce que tu nous fais ? ... Tu sais qui tu es ?

Il jeta des regards méfiants et terrorisés autour de lui, se cachant à moitié sous la couverture hospitalière.

— Je sais pas... je suis pas Léandre. Nous répondit-il d'une voix tremblante.

— Oh que si !

Je sortis précipitamment une photo de lui, en plein match de basket, radieux et vivant, et me débattis avec l'autre imbécile de Tristan qui voulait m'éloigner avec force.

— Mais bordel, AYA ! Tu veux le déstabiliser ou quoi ? Il n'a plus toute sa tête ! Il ne me reconnaît même pas !

— Si je te reconnais...

On le regarda tous les deux avec des yeux ronds incrédules.

— On dirait... c'est bizarre... mais Tristan, mon frère. En plus âgé.

Tristan me bouscula pratiquement pour se rapprocher précipitamment de son frère.

— C'est vrai ?! Alors tu me reconnais ? Je suis bel et bien Tristan, ton frérot !

— J'ai pas envie de te voir.

Tristan tira une moue dépitée et blessée.

— Mais... je suis là pour toi, gars. Je serai toujours là pour toi et... tu m'as manqué, tu sais pas à quel point...

— Depuis quand tu me genres au masculin ?

Répondit Léandre d'une voix qui me glaça le sang.

Je restai bouche bée et je compris soudainement la situation avec une clarté terrifiante.

Léandre était revenu bloqué dans une époque de sa jeunesse la plus sombre, une période où personne ne l'acceptait comme il était réellement, pas même son propre frère bien-aimé. Et je n'étais pas encore arrivée dans sa vie à cette époque-là.

— Tristan... le Léandre auquel tu parles, il n'existe pas encore aux yeux du monde comme tel.

— Mais qu'est-ce que tu me baragouines toi ? Cracha-t-il, visiblement vexé et frustré.

— Ton frère... croit que on le considère encore comme ta sœur.

— HEIN ?!

Je me frappai le front, complètement dépassée par l'incompétence de cet imbécile de British.

— Je suis en train de t'expliquer que ton frère est resté bloqué dans le passé ! L'époque où il était encore... Léanne.

Il me sortit une tête d'imbécile ahuri qui me donna envie de m'arracher les cheveux.

Quel con ce mec.

Son téléphone vibra soudainement. J'eu le temps d'apercevoir que l'appel provenait d'Emy. À mon plus grand soulagement, il courut littéralement hors de la chambre pour décrocher.

Super, elle tombe au bon moment !

Je pris un petit fauteuil roulant et me plaçai près de Léandre, de façon à ce que je sois ni trop proche ni trop loin, en position non-menaçante.

Je l'observai d'un regard tendre, essayant de lui prouver silencieusement que je ne lui veut aucun mal.

— Dis-moi, commençai-je doucement, je crois bien que on ne se connaît pas.

Il affirma en levant la tête de haut en bas.

— Non... mais si c'est pour me faire un sale coup, dégage d'ici, m'engueula-t-il agressivement.

Je lui laissai un petit temps sans réponses, respectant son espace émotionnel.

— Écoutes, je sais que tu n'es pas une fille, et tu le sais tout autant que moi.

Il baissa le regard intensément.

— Ce n'est pourtant pas ce qui se passe biologiquement, dit-il en se touchant la poitrine avec déception et colère mêlées.

— Tu vas y arriver. Le rassuraj-je gentiment.

— Dans un monde aussi pourri ? Ironisa-t-il amèrement. Mes propres parents me jetteraient littéralement dehors.

— Ce n'est pourtant pas ce qu'ils ont fait.

Paumé, il me méprisa.

— Tu sors d'où toi ?.. Du futur ?..

Mes mots cafouillèrent dans ma bouche et mon esprit embrouillé.

— C'est compliqué à expliquer mais... tu as perdu la mémoire. Je sais que tu vas pas vouloir me croire, mais pourtant, l'endroit dans lequel tu te trouves te le prouves par lui-même.

Il regarda lentement autour de lui, puis prit un dossier médical posé sur sa table de chevet. Il regarda sous sa blouse d'hôpital, affichant la cicatrice douloureuse au niveau de son abdomen.

— Je me suis fait attaqué au couteau et je suis devenu amnésique, c'est ça ?

Je confirmai d'un hochement de tête.

— Mais alors, qui es-tu toi ?

— J'aurais aimé te confirmer que je suis ta petite amie. Mais je crois bien que on va devoir tout recommencer à zéro....

(Tristan )— 23 heures passées

Il commence à se faire vraiment tard...

Je regrettai amèrement le fait de ne pas avoir pris de manteau. Le froid mordant me transperçait jusqu'aux os.

Emy m'a appelée en urgences. Elle m'a dit qu'elle avait des problèmes graves. Elle n'a pas précisés lesquels.

Il m'a fallu plus d'une heure pour arriver chez elle. Pourtant, l'hôpital est pas loin, mais vu que je suis venu en voiture, j'ai eu un petit souci de pneus. J'ai crevé, tout simplement. Une crevaison stupide au pire moment possible.

Me voilà dans de beaux draps. J'ai donc fini la route entière à pieds en ayant abandonné la bagnole sur un parking désert d'une superette du coin. En plus, il pleut comme vache qui pisse comme on le dirait en France. L'eau glacée ruisselait sur mon visage.

J'espère qu'il ne lui est rien arrivé de grave. Elle ne m'a pas recontacté depuis tout à l'heure et elle ne m'a même pas dit ce qui lui arrivait réellement. J'ai tenté moi-même de la rappeler plusieurs fois, mais je n'ai rien eu.

Arrivé devant chez elle et sa sœur, j'eu un coup de panique brutal.

De nombreuses banderoles de police inondaient littéralement le jardin. Du matériel digne d'une enquête à la poursuite d'un serial killer était étalé au sol.

Mon cœur s'arrêta net.

Je me précipitai pour aller frapper à la porte avec urgence.

La lumière s'alluma instantanément dans la maison.

Je fus quelque peu soulagé quand je vis ma copine m'ouvrir la porte. Mais quelque chose clochait.

— Putain.... c'est quoi cette blague, Emy ?

Elle portait une tenue qui lui recouvrait entièrement chaque partie de son corps visible. Elle se cachait complètement à l'aide d'une serviette de bain épaisse.

— Je crois que j'ai une réaction allergique, Tristan.... C'est horrible.

Je tentai de lui découvrir le visage avec douceur.

— Montre-moi, ça doit pas être si terrible que ça....

— Non.... non je ne peux pas !!!

La voyant aussi paniquée et terrorisée, je me dis qu'il était infiniment préférable de la laisser tranquille pour l'instant.

— Tu veux que je t'emmènes aux urgences ?

— Non... Ils ne pourraient pas comprendre ce qui est en train de m'arriver... Je... Je suis totalement métamorphosée.... J'arrive même pas à me regarder dans la glace !!!

Sa réaction était tout sauf normale. Elle tremblait de tous ses membres, frissonnante. Et je n'ai pas vu une parcelle minime soit-elle de son visage depuis tout à l'heure.

— Tu... tu as touché à quelque chose, mangé quelque chose de bizarre ?.... J'ai besoin de savoir, sinon je ne vais pas pouvoir t'aider ma belle...

— Tu ne devrais pas m'appeler ma belle, Tristan... Je suis horrible ! Je... Je ne comprend pas ce qui m'arrive, je ne me souviens plus de rien... Je... Je.... C'est comme si je.... perdais le contrôle de mon corps....

— Bon, écoutes, je ne sais pas ce qui se passe exactement, c'est ultra bizarre ce qui se passe. Pourquoi ta maison s'est transformée en scène de crime d'ailleurs ? Et puis, je ne comprend rien à rien si toi aussi tu ne me donnes pas plus d'informations, je ne vais pas pouvoir t'aider correctement !

Elle se retourna lentement, de façon à ce qu'elle soit dos à moi complètement. Elle garda le silence quelques secondes terrifiantes.

Puis elle fît tomber sa serviette par terre.

— Tristan... C'est peut-être pas croyable... Mais je suis possédée. Une putain de psychopathe hante mon corps. Elle a tué... elle a tué ton frère, et tous les autres qui sont morts. Et elle va continuer.

Je reculai d'au moins trois pas tremblants.

— C'est un canular, c'est ça ?....

— Non. C'est moi qui ai fait tout ce carnage. Ou du moins... mon corps.

Elle se retourna lentement, et ce que je vis m'horrifia complètement.

Des larmes noires coulaient profondément de ses yeux, comme du goudron liquide. Son regard était asymétrique, terrifiant. Un œil brun qui ne lui appartenait absolument pas avait littéralement remplacé le bleu ciel des siens. Son visage entier fondait, se liquéfiait en une masse noire et gluante, une amas informe de peau qui tombait doucement, régulièrement, de ce visage autrefois si angélique et pur.

J'hurlais sans m'entendre vraiment. Mon voix résonnait lointainement.

— AAAAAAAAAAAAAAAAAARG !

Je cracha littéralement mes poumons, tombant à la renverse par-derrière. Mes bras faisaient instinctivement office de bouclier désespéré face à moi.

— RENDEZ EMY !! QUI QUE VOUS SOYEZ CASSEZ VOUS!!!

"Emy" semblait à la fois rire convulsivement et pleurer des torrents, comme si deux âmes antagonistes habitaient simultanément son corps tordu.

— TUE MOI, TRISTAN !

Elle fût prise d'un nouveau hoquet de rire incontrôlable et dément. C'était littéralement terrifiant au-delà de toute expression.

— TUE LA OU ELLE VA TOUS NOUS TUUUER !!!!!

Je sortis le plus vite possible hors de la maison en courant frénétiquement, prenant littéralement mes jambes à mon cou. La pluie glacée me fouettait le visage.

Un numéro venait de s'inscrire inexplicablement sur mon bras.

Le 5.

Qu'est-ce que ça voulait dire tout ça, bordel de merde.

— À L'AIDEEEEE!!!!

Personne ne pouvait m'entendre. La maison est tellement en recul du village que personne ne vit réellement dans les alentours immédiats. C'est juste moi, la forêt dense et elle.

Je m'enfonçai dans les ténèbres épaisse de celle-ci, tout en trébuchant maladroitement sur une branche d'arbre gisant au sol. Je tombai lourdement sur le sol mouillé à plein ventre, l'air expulsé de mes poumons.

J'étais foutu. Ma jambe n'obéissait plus à mon esprit terrorisé.

Je rampa donc désespérément sur le sol boueux, tentant vainement de m'enfuir vers l'espoir. Mais au final, je ne faisais que m'encrasser davantage, me ralentir.

Je finis enfin par apercevoir l'ombre immense de ma traqueuse qui avançait inexorablement dans l'obscurité de la nuit noire.

Elle tenait une putain de hache lourde dans les mains. Une hache bien évidemment réservée à moi spécifiquement. À mon exécution programmée.

La Emy que je connaissais et aimais n'existait plus. Elle avait été complètement remplacée par une autre femme, terne de la tête aux pieds, habillée d'un vieil uniforme de lycée datant de décennies.

Quand elle fût arrivée à ma hauteur tremblante, je me laissai simplement croupir sur le sol froid.

À quoi bon vivre après avoir vu de telles horreurs inimaginables ?

Mon âme était foutue.

Elle leva sa hache avec lenteur sadique, prête à asséner le coup fatal et définitif.

— Dommage pour toi mon joli... Il a fallu que tu sois là au mauvais endroit au mauvais moment. Emy n'a pas le droit de sortir habituellement. Elle a désobéi. On pourrait presque penser que au final, c'est elle qui t'a tué.

La hache siffla l'air dense avec une violence terrifiante.

Un coup.

Deux coups.

Trois coups.

Et puis le silence.

Et puis le néant.

Nathan était le prochain sur la liste.

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