Chapitre 1 - Traversée

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 La cloche du Thalis sonna, claire et aiguë, perçant la brume comme une lame. Chaque tintement roulait au-dessus des flots avant de mourir dans le silence. Le mousse compta jusqu’à soixante, puis fit résonner à nouveau la cloche.
Le navire avançait doucement, porté par les vagues. Le bois du trois-mâts gémissait sous le rythme régulier de la mer.

Derrière une porte entrouverte, le son s’infiltra dans les coursives. Sur une paillasse trop étroite, une silhouette se redressa. Élancée, chevelure noire en cascade, un cache-œil posé non loin. Samira. Mercenaire, passagère pas comme les autres : la seule femme embarquée pour cette traversée vers les îles Ioniennes, et officier de surcroît. Certains marins chuchotaient qu’elle avait le charme d’une sirène. Elle préférait sourire à leurs murmures plutôt que de les corriger.

Elle se leva sans bruit, ramassant ses vêtements familiers dans la pénombre. Deux mois en mer suffisaient pour connaître par cœur ce réduit étroit. Elle enfilait sa chemise quand un bruit la fit s’immobiliser : un craquement dans le couloir, suivi de pas précipités et maladroits.
Samira glissa la main sous son oreiller, sur le manche d’un poignard. Encore un marin éméché en quête d’aventures ? Ça ne serait pas une première.

Le visiteur heurta la poutre basse du couloir. La porte vibra sous le choc et les poules du navire s’agitèrent en caquetant. Un juron retentit, bien trop familier.

— Farkitsh !

Elle relâcha son arme.
— Garby ?

Le gabier apparut, massif, la quarantaine rude, fronçant les sourcils en se frottant le crâne.
— Des galions, m’dame.

Samira suspendit son geste.
— Combien ?
— Sept. Le capitaine veut tout l’équipage sur le pont.

Trois… Pas un hasard, pas une escorte. Une flotte. Son ventre se serra. Garby croisa son regard, et acheva sans détour :
— C’est Noxus.

Un frisson glacé parcourut sa colonne. Depuis l’invasion, les rumeurs parlaient de soulèvements partout dans l’archipel. Trois galions, si loin à l’est… Noxus envoyait du renfort.

— Je monte, dit-elle en ajustant son plastron.
— Franck réveille les autres.

Garby s’éloigna, jurant encore lorsqu’il se reprit la poutre. Samira acheva de nouer ses lanières, rassembla sa chevelure sous un pic de métal, fixa son cache-œil. Elle saisit ses armes, puis, sa cape brune sur les épaules, elle sortit sur le pont.

Le Thalis glissait lentement. Les voiles étaient rentrées. Dans le noir, elle aperçut le veilleur sur le gaillard d’avant, qui la salua d’un signe bref. À la barre, le capitaine Arthur Simmons tenait le gouvernail, silhouette raide sous un manteau usé. Sa chemise flottait, ouverte, mais son regard restait dur, fixé vers l’horizon.

Samira le rejoignit.
— Ils ont envoyé un signal ?
— Aucun, répondit-il sans quitter la mer des yeux.

Elle souffla la flamme de sa lanterne. Arthur la dévisagea une seconde, puis hocha la tête. Dans le noir, il hésita un instant… et ordonna :
— Manœuvre de nuit.

Samira émit un sifflement, semblable à un hululement. Immédiatement, les quelques lanternes encore allumées s’éteignirent. Le navire sombra dans une obscurité totale. Les masses sombres à l’horizon glissèrent lentement, semblant s’écarter de leur route.

Ils passèrent la nuit dans un silence de mort. Au matin, la mer était vide, comme si la flotte n’avait jamais existé. Le capitaine se décida enfin à parler :
— Avez-vous réfléchi à ma proposition ?

— Sur la suite de mon voyage ? demanda Samira.
— Oui.
— Je compte bien le poursuivre.

Il hocha la tête.
— Dès notre arrivée, la cabine sera à vous jusqu’au lendemain. Après… je ne pourrai plus garantir qu’un coin parmi l’équipage.
— C’est entendu. Merci, Capitaine.

Le cri des mouettes annonça la terre proche. La vigie hurla :
— Phare en vue !

L’équipage explosa de joie. Simmons corrigea le cap, ajusta les voiles, puis resta figé, la main crispée sur le gouvernail, l’œil toujours méfiant malgré l’accueil lumineux du port de Fragord.

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