Chapitre 4 - Le village de Riksha
Le soleil perçait déjà au-dessus de la chaîne de montagnes à l’est, inondant de lumière les toits de bardeaux du village de Rishka. Niché au creux de la vallée, le bourg s’étirait de part et d’autre d’un fleuve large et tranquille, artère vitale qui apportait poissons, marchandises et voyageurs. Les cris des bateliers résonnaient sur les berges, tandis que les enfants couraient entre les étals du marché qui s’ouvrait à peine. Odeurs de pain chaud, fumée de foyers et parfums de fleurs sauvages se mêlaient dans l’air tiède du matin.
L’auberge, cœur battant du village, vibrait déjà d’agitation : voyageurs qui bouclaient leurs sacs, familles qui prenaient un maigre repas avant de reprendre la route, enfants qui chahutaient dans les couloirs. Mais derrière une porte encore close, une mercenaire dormait toujours.
Samira.
Elle n’était pas du genre à paresser, mais cette nuit-là, son sommeil avait été lourd, sans rêves, comme après une longue bataille. Elle émergea difficilement, un coq chantant au loin, les pas pressés des clients résonnant dans le corridor. Un froissement discret la fit sursauter : une feuille venait de glisser sous sa porte.
Elle l’attrapa, encore vaseuse, et déplia le papier. L’écriture était hâtive, presque illisible, mais elle reconnut les symboles : une adresse, une heure, un nom. Onil. Le chasseur. Son premier contact. Et la mention nette : Ne pas se faire voir ensemble.
Un soupir lui échappa. La couverture devait rester intacte. Aux yeux de tous, elle n’était là que pour un banal contrat de chasse. Rien de plus.
Dans la salle commune, Ubessa s’inquiétait déjà. Son regard d’acier suivait les va-et-vient dans le couloir. Samira n’avait pas donné signe de vie, et dans un village grouillant de réfugiés et d’oreilles indiscrètes, le moindre retard pouvait sembler suspect. Marlot, fidèle à son rôle d’intermédiaire, s’agitait avec un naturel désarmant. Il jouait avec les enfants, riait fort, puis, l’air de rien, s’approcha de la porte close de Samira. Un geste, un coup discret, puis il s’éloigna en secouant la tête vers Ubessa : rien à signaler.
Mais l’inquiétude persista. Un homme s’était approché d’Ubessa. Elle l’avait déjà remarqué la veille : visage marqué par la boisson, regard trop insistant sur Samira. Il s’assit maladroitement près d’elle et, croyant trouver une oreille muette, se mit à parler.
— Je me suis mal comporté hier… commença-t-il, la voix pâteuse. Cette fille… elle doit être seule, loin de chez elle. Peut-être qu’elle a besoin de quelqu’un. Je pourrais…
Ubessa ne répondit pas. Son silence glacial le fit taire plus sûrement qu’un éclat de voix. L’homme détourna les yeux, honteux, et s’éloigna.
Dans sa chambre, Samira s’était enfin redressée. Les murs de bois, l’odeur de terre humide… Rien à voir avec le roulis du navire du capitaine Simmons. Elle inspira profondément, chassa le tournis et attacha son sabre dans son dos. Elle avait un rendez-vous.
Elle quitta l’auberge sans un mot, évitant les regards curieux, et traversa la rue principale. Les odeurs changèrent rapidement : au parfum du marché succéda l’air âcre de la forge. Des volutes de fumée s’élevaient, couvrant de suie les pierres alentour.
Elle poussa la porte du petit atelier. À l’intérieur, une jeune apprentie travaillait, visage rougi par la chaleur. Ses cheveux mi-longs collaient à sa nuque, ses pommettes saillantes lui donnaient un air encore enfantin. Quand elle leva les yeux, son regard se fixa aussitôt sur Samira.
— Joli travail, souffla Samira en observant les lames exposées.
La jeune fille hésita, puis lâcha sans détour :
— Et cet œil… c’est en combat que vous l’avez perdu ?
Samira esquissa un sourire sans joie. Elle en avait l’habitude.
— Oui. Et j’ai survécu, c’est tout ce qui compte.
L’apprentie baissa aussitôt les yeux, gênée, et retourna à son enclume.
Un tumulte monta depuis l’extérieur. Samira sortit sur le pas de la porte, attirée par les murmures indignés.
Un homme approchait, juché sur un cheval robuste. Trois bêtes abattues pendaient en travers de la selle, sang dégoulinant sur les pavés. Les villageois s’écartaient, dégoûtés par la vue, certains détournant carrément la tête.
L’homme, lui, ne broncha pas. Sa barbe épaisse, son regard dur et ses gestes assurés dégageaient une force brute, presque sauvage. Il attacha son cheval, fit fi des réactions et lança d’une voix rocailleuse :
— Quel imbécile a laissé travailler une gamine dans l’atelier ?
Samira sut aussitôt qu’elle avait trouvé Onil.
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