Chapitre 7 - La montagne qui bouge

3 minutes de lecture

L’aube n’avait pas encore chassé la brume quand Samira descendit les escaliers de l’auberge. L’odeur de café noir et de pain chaud flottait dans l’air. L’aubergiste, une femme large d’épaules mais au sourire adouci par les ans, leva les yeux de ses préparatifs.

« Déjà debout, Samira ? » dit-elle, la voix encore rocailleuse du sommeil.
Samira hocha la tête.
« On m’a dit que la chasse commençait tôt, je compte pas manquer le départ. »

Un pli soucieux fendit le front de l’aubergiste.
« La chasse… je n’ai jamais aimé ça. Mais va. Les cerfs nourrissent mon auberge, et ce que tu ramènes, je le cuisine sans que tu n’aies à payer. Alors… je devrais te féliciter. »

Elle posa une main sur son bras, presque comme une mère.
« Onil est dur, mais bon. Et si tu as réussi à t’attirer son attention… garde-le. Il n’ouvre pas ses portes facilement. »

Samira sourit, plus amusée qu’émue.
« Je verrai bien combien de temps ça dure. »

La brume s’accrochait encore aux pavés quand elle rejoignit la forge. La lourde porte grinça, laissant échapper une chaleur vivante. Dedans, la scène l’arrêta un instant : Angie, déjà réveillée, passait la sangle d’une selle, ses petites mains expertes malgré son âge. À ses côtés, deux chiens attendaient, dressés, oreilles dressées.

Onil, lui, vérifiait un fusil dont le métal luisait à la lueur du foyer. Pas celui qu’il lui avait prêté la veille : un autre, plus fin, avec un barillet rudimentaire qu’il faisait tourner du bout des doigts.

Samira arqua un sourcil.
« Vous me préparez quoi, là ? »

Onil referma d’un clac sec la chambre de l’arme.
« Rien qui te regarde. Trop tôt encore. »

Puis, sans vraiment attendre de réponse, il lui tendit un fusil de chasse à double cartouche, plus massif.
« Celui-ci fera l’affaire. Simple. Fiable. Deux coups rapides si besoin. »

Samira le prit, le soupesa, caressa presque le bois poli.
Elle remarqua le balancement du petit barillet à l’arrière de la table d’Onil. Elle n’en dit rien, mais ses yeux trahirent la compréhension.
« Plus petite, plus légère… et plus de coups à la suite. » murmura-t-elle.

Onil se raidit. Angie leva la tête, surprise par son intuition.
Mais il ne répondit pas.

Ils partirent peu après, à cheval. La lumière naissante dorait les cimes et faisait luire les toiles d’araignées entre les herbes. Le silence des plaines n’était troublé que par les sabots et le souffle des chiens.

Samira inspira profondément.
Cela faisait longtemps qu’elle n’avait pas chassé dans une vraie montagne. Les pierres craquaient sous les sabots, l’air frais fouettait ses joues, et les forêts s’étendaient comme un tapis infini.

« D’où viennent-ils tous ? » demanda-t-elle en observant des empreintes de sabots.
Onil leva la main, pointant au loin.

« Cadeau. »
Il attendit un temps.
« Un dignitaire du grand continent, il y a cent ans. Offert à une princesse des Îles ioniennes. Cinq cerfs, pour peupler une île paisible. Elle les a laissés ici. Ils ont proliféré. »

Samira eut un rire bref.
« De cinq, on en est à combien aujourd’hui ? »

« Deux cent mille. » répondit-il sans détour.
Elle se redressa, incrédule.
« Plus que les habitants de l’île ? »

« De loin. » fit-il.
Il détailla les collines nues, les sols creusés.
« Les cerfs mangent tout. Pousses, écorces, jeunes arbres. La forêt ne se régénère plus. Les pluies emportent la terre. »

Samira observa un versant effondré, où la roche nue témoignait d’un glissement récent.
« J’aurais cru à des cicatrices de bataille… »
Onil secoua la tête.
« Non. Juste la faim des bêtes. »

Ils progressèrent encore une heure. Puis, au détour d’un sentier, Samira s’arrêta net.

Elle crut d’abord à un mirage. La colline en face d’eux semblait vibrer, onduler. Comme si la montagne elle-même respirait. Puis son œil affûté distingua les silhouettes. Des centaines, des milliers de corps bruns, cornes dressées, museaux levés.

La masse entière de cerfs se mouvait comme une vague.

« Par les dieux… » souffla Samira.
Onil, impassible, regardait la scène.
« Voilà pourquoi on chasse. »

Il désigna un grand mâle aux bois impressionnants.
« Ceux-là. Ils couvrent plusieurs femelles. Si tu veux frapper, frappe juste. C’est là que la régulation compte. »

Samira sentit son cœur battre plus vite. L’envie de lever le fusil la démangeait.

Elle tourna légèrement la tête vers Onil. Ses yeux fixaient l’horizon, mais elle remarqua : il plissait trop fort les paupières, forçait pour distinguer les contours. Sa vue le trahissait.

Elle n’en dit rien.
Un sourire effleura ses lèvres.

Annotations

Vous aimez lire Kamalinc Stampede ?

Commentez et annotez ses textes en vous inscrivant à l'Atelier des auteurs !
Sur l'Atelier des auteurs, un auteur n'est jamais seul : vous pouvez suivre ses avancées, soutenir ses efforts et l'aider à progresser.

Inscription

En rejoignant l'Atelier des auteurs, vous acceptez nos Conditions Générales d'Utilisation.

Déjà membre de l'Atelier des auteurs ? Connexion

Inscrivez-vous pour profiter pleinement de l'Atelier des auteurs !
0