Chapitre 8 - Entre sang et braises

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Une semaine avait passé depuis que Samira avait posé le pied sur l’île. Ses pas la menaient désormais chaque matin en forêt, aux côtés d’Onil.
Ils ne partaient jamais bien loin, jamais très tôt, mais revenaient presque toujours les bras chargés. Quatre, parfois cinq prises par jour. Les cerfs mâles étaient tombés un à un, réduisant les rangs avant la saison des ruts. C’était nécessaire, disait Onil, et Samira commençait à le croire.

Elle, de son côté, faisait toujours mouche. Pas un tir de trop. Pas un cerf gaspillé. Les bêtes abattues étaient dépiautées, découpées, partagées. Onil consommait la viande avec mesure, refusant de tuer pour rien. Mais à force, il commençait à plier sous la tâche, les épaules voûtées de fatigue à force de manier le couteau plus que l’arc. Son frère venait parfois prêter main-forte, silhouette massive apparaissant dans l’encadrement de la cabane, mains calleuses mais gestes discrets.

Samira observait les villageois, leurs regards fuyants quand on posait les carcasses sur les tables. Beaucoup détournaient les yeux, le nez plissé par le sang encore chaud. Mais le soir venu, ils se régalaient, un sourire aux lèvres, remerciant à peine.
Elle lâcha un soupir amer.
— Hypocrites, murmura-t-elle. Dégoûtés par la chasse, mais contents d’avoir un plat plein.

Et dans sa tête, une autre pensée s’imposa : bah… ça a toujours été ça, mon boulot.
Elle ne cherchait ni gloire, ni reconnaissance. Elle n’avait jamais été de ceux qui réclament des chants en leur honneur. Elle faisait son travail, comme la bonne soldat qu’elle avait toujours été.

À la nuit tombante, La forge d’Onil respirait encore plus fort que d’habitude. Le feu battait comme un cœur dans la pierre, le souffle du soufflet rythmait l’air, et la sueur luisait sur les visages. Angie actionnait le levier sans relâche, ses bras maigres tirant plus fort qu’on aurait cru possible.

Samira entra, essuya ses bottes contre le seuil, puis se cala contre un pilier, les bras croisés. Elle inspira profondément : l’odeur de métal chauffé, de charbon et de chair fatiguée. Un parfum qu’elle connaissait trop bien. Shurima avait ses arsenaux, Noxus ses marchés d’armes… Ici, c’était autre chose. Moins de fracas, plus de patience.

Onil maniait son marteau comme un peintre son pinceau. Chaque coup sonnait juste, une note dans une musique que lui seul entendait. Dans ses yeux se reflétaient les braises, une flamme rare, entre passion et lassitude.

— Je croyais que tu forgeais des bêches et des couteaux pour le village, lança Samira en s’avançant. Pas des joujoux qui fument.

Sur l’établi reposaient des pièces étranges : ressorts, cylindres, fragments métalliques. Pas une arme qu’elle connaissait.

Onil leva à peine la tête, ses traits burinés salis de suie.
— Ce n’est pas une arme. C’est une idée.

Samira esquissa un sourire narquois.
— Une idée qui tue, si je vois bien.

Il s’approcha de l’établi, prit une pièce entre ses doigts, la fit tourner à la lumière.
— Jusqu’ici, on a ça, dit-il en désignant une vieille arquebuse pendue au mur. Chaque tir prend une éternité à recharger. Tu risques de t’exploser les mains, de rester aveugle. C’est un outil bancal.
— Charmant, répliqua Samira.

Onil fit claquer le mécanisme qu’il bricolait. Le bruit sec résonna étrangement dans la forge.
— Mais imagine un cylindre. Six chambres, chacune avec sa charge. Tu tires, tu tournes, tu tires encore. Une pluie de balles. Pas pour dominer, pas pour massacrer. Pour équilibrer.

Samira éclata d’un rire bref.
— Tu rêves, Onil. Ce genre d’arme ne finira pas dans les mains des opprimés. Mais dans celles de tyrans.

Il planta son regard dans le sien.
— Peut-être. Mais si ce n’est pas moi qui le fais, ce sera un autre. Et lui, il ne se posera pas de questions.

Un silence pesa. Angie reprit son souffle au soufflet. Samira détourna les yeux, mais au fond, elle comprenait trop bien cette obsession. Elle en avait vu, des fous qui croyaient changer le monde avec une invention. Tous finissaient par nourrir les champs de bataille. Pourtant, chez Onil, il y avait autre chose : une retenue, une flamme triste mais tenace.

Elle s’approcha, posa ses doigts sur le bois de l’établi.
— Alors, comment tu appelles ton machin ?

Un faible sourire anima les lèvres du forgeron.
— Le Rivelda. Pas pour moi. Pour que, si ça survit au temps, on sache qu’il a été fait ici.

Samira haussa les épaules, un rictus amer au coin des lèvres.
— T’es un drôle d’oiseau. Tu détestes la violence, mais tu crées la plus belle machine à tuer que j’aie jamais vue.

Il ne répondit pas. Ses mains tremblantes replacèrent une pièce. Ses yeux plissèrent, comme s’il cherchait à mieux voir, mais la lumière lui échappait.

Samira fronça les sourcils.
— Ta vue baisse.

Il eut un bref éclat de rire, amer.
— Ça, je le sais. C’est pour ça que j’ai besoin de quelqu’un pour tester ça. Quelqu’un de… doué.

Il ne dit pas plus, mais son regard parlait pour lui. Samira soutint ses yeux un instant, puis détourna la tête. Dans le fourreau contre sa hanche, son épée semblait soudain bien ancienne, face à cette mécanique neuve.

Elle sourit malgré elle.
— Je suppose que demain, c’est moi la chanceuse.

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