Chapitre 9 - La danse du tonerre

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Le sentier s’enfonçait dans les collines, loin du village et de ses regards. Onil avançait en silence, guidant le pas de son cheval d’un air distrait. Samira, derrière lui, n’avait pas besoin de demander où il l’emmenait : elle connaissait déjà l’endroit.
Lors de ses repérages, elle était tombée sur ce terrain oublié, un champ d’entraînement à ciel ouvert. Des silhouettes grossières peintes sur des planches, plantées dans la terre sèche. Des cibles de fortune, rongées par les saisons.

En approchant, son œil aguerri remarqua ce qu’elle avait déjà noté : les impacts. Les plus anciens, au centre, nets, précis. Plus le temps passait, plus les trous s’éloignaient du cœur. Certains bords éclatés trahissaient des tirs à côté. Deux mois… calcula-t-elle. Voilà le temps écoulé depuis que le maître forgeron avait posé la main sur une arme. Sa vue déclinante parlait à sa place.

Onil posa un sac sur une pierre, sortit l’objet qu’il protégeait d’un linge. Le Rivelda. Le métal noirci par les flammes de la forge, encore rugueux par endroits, mais déjà terrible dans sa forme.
Il plaça six cartouches dans un petit dispositif d’acier, un cercle parfait.
— Ça, expliqua-t-il, c’est un système de recharge. Tu glisses tout le cylindre d’un coup. Pas besoin de remplir une chambre après l’autre.

Il lui montra une fois, d’un geste maladroit, puis lui tendit l’arme. Samira s’en empara. Ses doigts la manipulèrent avec une familiarité instinctive. Une caresse, un basculement sec, le cliquetis du barillet qui se referme.
Onil écarquilla les yeux. Elle avait compris en une seule démonstration.
Elle est à la hauteur de mes espérances… pensa-t-il, partagé entre fierté et vertige.

Samira ne dit rien. Elle leva simplement l’arme, visa. Le métal était lourd, l’équilibre surprenant, mais le geste venait naturellement. La détente céda sous sa pression.

Le tonnerre éclata.

Puis un autre.
Et encore un autre.

Le souffle chaud de la poudre emplissait l’air, l’odeur acre s’accrochait à ses narines. Les détonations résonnaient dans la vallée, une cadence rapide qu’elle n’avait jamais connue avec les arquebuses ou fusils classiques. Elle se laissait porter par le rythme, un enchaînement fluide, presque une danse.

Elle manqua deux tirs, l’un mordant le bord de la planche, l’autre s’écrasant dans la poussière. Ses lèvres se retroussèrent en un sourire féroce. Pas de frustration : seulement l’envie de recommencer.

Onil, lui, restait figé. Devant lui, sa création vivait, transcendée par cette étrangère. Chaque tir était une étincelle de génie, mais chaque salve réveillait en lui des images qu’il aurait voulu oublier : des champs éventrés par le feu, des cris étouffés sous la poudre, la beauté froide des machines qui n’enfantent que la mort.

Il sentit son cœur se serrer.
Émerveillé par l’artiste qui sublimait son œuvre. Terrifié par l’homme qui venait peut-être d’offrir à ce monde une abomination.

Et dans le silence qui retomba, il ne sut plus s’il avait accompli le meilleur… ou commis l’irréparable.

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