Chapitre 2

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  • Halte-là ! s'éleva une voix dans son dos.

 Elle avait reçu suffisamment d'interpellations dans sa vie pour savoir qu'elle lui était destinée. Pourtant, Layalong feignit l'indifférence. Cela n'eut de résultat que de réitérer la demande, plus vertement. Lorsqu'elle se retourna, un homme d'une cinquantaine d'années lui faisait face avec une barbe drue et épaisse. Elle ne sut d'ailleurs pas si c'était sa mâchoire qui était imposante ou bien le fait de son abondante pilosité. L'homme était de taille moyenne, plus en dessous qu'au-dessus, quelque peu grassouillet avec un ventre rond qui dessinait sa silhouette. Il n'arborait aucun accoutrement, aucun blason, mais il était équipé d'un bouclier dans le dos, d'une dague et d'une épée à son ceinturon. Le reste était du plus simple apparat.

 Il s'approcha et se dandina jusqu'à elle, fanfaronnant à outrance. Son index était négligemment suspendu devant lui affichant un intérêt certain pour l'objet qu'il pointait: le sac volumineux de la femme. Deux personnes le rejoignirent et l'encadrèrent. Une grande femme à la stature démesurée, même pour les gens du continent où l'on voyait des personnes singulières. Sa chevelure brune lui tombait jusqu'à la taille. Un jeune homme l'accompagnait, assez grand, mais frêle avec une tignasse blonde négligée qui lui tombait sur les yeux. Son allure peu assurée n'était pas anodine, il sortait tout juste de l'enfance. Les deux gardes, munies respectivement d'une lance raccommodée et d'une épée, scrutèrent la jeune femme.

  • Ou est-ce que vous allez comme ça? reprit l'homme.

 L'avantage numérique n'était pas un souci pour elle, mais la yucca rougeoyante devait éviter les esclandres. Plus elle se faisait discrète, mieux la mission se porterait. Et puis, à la vue du marmot, une confrontation n'était pas quelque chose qu'elle envisageait.

  • À Khashuri.
  • Pour quel motif?
  • Vous êtes qui au juste? asséna-t-elle excédée.

 Ce fut finalement le maximum qu'elle pouvait tolérer, ce qui désarçonna l'homme en sa qualité de régent autoproclamé du port principal de l'île. Il jeta des regards à droite et à gauche pour qui cela ne semblait pas évident jusque-là.

  • Je mets cela sur le compte de l'ignorance. Vous êtes encore jeune après tout. Je suis Alphonse Edgarque Massil Troisième du nom. Régent du port de Fragorde. Je suis également détenteur de la plus grande épicerie de la région, Massil.
  • Alphonse! interrompit le capitaine Simons débarquant on ne sait d'où.
  • Arthur, sacripant ! Ça fait longtemps mon ami, il serra vigoureusement la main qui lui était tendue avant de le tirer à lui et l'enlacer vigoureusement. J'attendais ta venue avec impatience.
  • Je n'en doute pas. Quelle est cette affreuse chose que tu portes à ton menton? Tes amis, indiqua-t-il en regardant les deux personnes, auraient pu te prévenir.
  • Quoi donc?
  • Qu'elle t'allait si mal.
  • Arrête de me charrier ! répondit-il en portant la main à sa barbe et en jetant des regards suspicieux vers ses acolytes qui pouffaient de rire.
  • Je vois que vous avez fait la rencontre de mon officier de garde, Mademoiselle Raizère.
  • Elle fait donc partie de ton équipage, elle nous a dit qu'elle allait à Kashuri?
  • Oui, elle nous quitte à mon grand regret. Je crois avoir été un odieux capitaine, et après avoir dit tant de bien de vos villages. La curiosité quand elle nous pique, qu'est-ce qu'on peut y faire, hein?
  • Hmm, fit l'homme tout en dévisageant de haut en bas la femme. Très bien, sur ce coup-là, je ne serais pas regardant. Au fait, je ne sais pas si tu t'en souviens. Je t'avais demandé un petit… quelque chose.
  • Bien sûr. Allons discuter affaires, dit-il en portant son bras sur les épaules de son ami
  • Affaires? On avait dit que c'était un service !
  • Il y a eu… quelques complications et avec la guerre, ce n'est pas quelque chose d'aisé à acquérir, tu sais, dit-il en baissant la voix, presque dans un chuchotement.
  • Espèce de vautour, tu dis ça à chaque fois que ça t'arrange.

 Le capitaine jeta des regards par-dessus son épaule, ils s'éloignèrent de Layalong et des deux gardes qui s'échangèrent des regards d'incompréhension. Laya haussa les épaules et s'en alla sans demander son reste. Le duo de sentinelles se retira pour s'entretenir. Un couple se joignit à eux, la pointant du doigt et débattant à son sujet. Mais elle avait déjà disparu dans la foule.

 En se faufilant parmi les gens, elle se questionna sur l'existence et l'authenticité de cette milice d'amateurs. Si la vigilance des villageois s'était accrue à la suite des conflits, elle devrait être davantage sur ses gardes. Pourtant lorsqu'elle interrogea les roulottes sur leur destination elle ne décela aucune appréhension.
Au loin, elle reconnut les caisses de marchandises du Thalis. C'était la cargaison pour Kashuri, celle que le capitaine lui avait recommandée. Il fallait qu'elle se hâte pour ne pas la manquer. Le transporteur accepta à un prix correct et elle paya sa place dans une charrette au côté des marchandises. Il lui indiqua qu'Arthur était venu la chercher et lui adressa simplement ce message "Bon voyage" s'il n'arrivait pas à lui mettre la main dessus. Laya s'en contenta et lorsque Topesai le chef de de la caravane lui dit qu'il pouvait patienter, elle déclina l'offre et ils se mirent en marche.

 Le trajet se déroula sans encombre, le beau temps accompagnait leur journée. Faits assez rares avec le temps capricieux de leur région, lui indiqua un des transporteurs. Une chose qui étonna Layalong, c'est qu'il n'y avait pas de gardes chargés de surveiller le convoi. Il n'y avait jamais eu d'attaques selon le même individu. Les voleurs n'étaient pas courants dans leur contrée. Parfois des blagues de gamins, mais ils en riaient. D'autres caravaniers s'étant joints à la conversation et partagèrent ainsi leur expérience de ces farces. Cette candeur l'a mis quelque peu mal à l'aise, repensant à son enfance, et elle se retira.
Les jours s'écoulèrent ainsi dans cette ambiance conviviale. Ils ne semblaient pas y avoir d'impératifs, la cadence de la traversée se déroulait dans le plus grand calme. Parfois même, ils accordaient un temps de repos aux chevaux. Pourtant, elle n'eut pas l'impression qu'ils eussent été bousculés. Elle ne fit pas de remarque et finalement éprouva un peu de répit durant le trajet. Habituée aux champs de bataille, elle ne vivait que pour les pulsations des combats. Elle se surprit à se détendre.

 Au crépuscule du quatrième jour, la caravane arriva sur Kashuri. On lui donna les indications sur l'auberge de "L'eau saumâtre".

 Lorsqu'elle y entra, une femme d'un certain âge servait les clients, sèche derrière ses larges vêtements, l'hôte avait le visage éreinté et pourtant une certaine vigueur se détachait d'elle. La mercenaire lui demanda s'il y avait de l'eau chauffée dans l'auberge.

  • Je peux vous arranger ça.
  • Parfait ! Ce sera une chambre et un bain chaud pour moi.

Laya sortit une bourse de son sac qu'elle posa sur le comptoir dans un bruit sourd. Surprise, l'aubergiste lança un regard en coin aux autres clients avant d'ordonner au jeune homme qui remplissait une chope d'aller s'en occuper. Après quelques gestes de protestation et coup de chiffon sur la nuque, il disparut dans les couloirs de l'auberge en jetant des œillades sur la nouvelle venue. Il n'était pas le seul d'ailleurs à la scruter. Beaucoup se retournèrent vers la ravissante inconnue qui avait fait irruption dans l'auberge. Les hommes étaient intrigués et les quelques femmes présentes la dévisageaient. À l'exception d'une vieille dame dans un fauteuil en bois. Le regard perdu à l'extérieur de la fenêtre, celle-ci observait dans la soirée naissante, le fleuve qui rejoignait la mer. Un enfant lui racontait des histoires avec d'amples gestes.

  • Ne faites pas attention, c'est assez rare de voir une femme voyager seule, lui dit l'aubergiste.
  • Ah oui? Même dans ce cadre idyllique des terres premières? dit-elle sans cacher un sourire ironique.
  • Justement, les habitants de l'île se satisfont généralement de leur cadre de vie, alors ils ont du mal à comprendre pourquoi d'autres s'aventurent aussi loin.

Elle déposa une pinte de bière sur le comptoir à son intention.

  • C'est une rescapée qui a tenté sa chance ailleurs qui vous le témoigne. Bienvenue à Kashuri!

Elle s'en alla ensuite servir les autres tables en nommant les personnes qu'elle interpellait. Plus tard, le jeune garçon ressurgit et lui déclara que son bain était prêt. Elle prit son récipient et suivit le jeune homme jusqu'à la salle d'eau. Elle claqua la porte sur un commis décidément désireux de connaissances. Layalong y passa un long moment, la nuit avait déjà enveloppé le petit village lorsqu'elle rejoint la salle commune. La plupart des volets étaient fermés, l'aubergiste y rangeait des ustensiles, des clients avaient quitté les lieux et d'autres étaient à un stade avancé de buverie.

  • Je ferme le bar, dit-elle à l'assemblée.

Ce qui souleva quelques plaintes au grand soulagement de l'étrangère pour qui la soirée débutait. Une bonne odeur flottait dans l'air et elle n'avait rien mangé depuis son arrivée.

  • S'il reste de cette délicieuse odeur, j'y goûterais volontiers.

Comme le bain, elle savoura et apprécia la nourriture. Les traînards partirent peu après. Ne restait plus qu'une aubergiste exténuée, une Layalong ravie et la dame âgée perdue dans ses songes.

  • Je vais vraiment devoir fermer.
  • Je termine ! dit-elle entre deux bouchées.
  • Pas besoin de vous étouffer.

Elle scruta alors la porte.

  • Je verrouille la porte. N'ouvrez à personne d'accord?
  • D'accord, s'étonna la saméenne du ton soudain sérieux de l'aubergiste.
  • Même si deux nigauds se présentent, vous ne leur ouvrez pas.
  • Ça marche. Est-ce que je peux me servir une dernière tournée?
  • Oui, mais ne videz pas mon stock. Je vérifierai les fûts à l'aube. Mamie ! C'est l'heure, mamie ! Elle est un peu, vous savez... sénile, dit-elle à Laya. Cela fait quelque temps qu'elle est dans le coin. Le gamin qui l'accompagne disait qu'il constatait des améliorations depuis leur séjour. D'ailleurs, ou est-ce qu'il a bien pu passé? commença-t-elle a se plaindre. Si je l'attrape en train de roupillé.
  • Ça va, ne vous dérangez pas, je vais la raccompagner à sa chambre.
  • Z'êtes sûre ?
  • Oui, ça va aller.
  • Merci, jeune fille. Heureusement que l'on peut encore compter sur de jeunes gens comme vous. Mamie, je vous laisse entre de bonnes mains ! Bonne nuit !

Layalong ne fit qu'un signe d'approbation de la tête, trop occupée à dévorer son plat. Vu qu'aucune réponse n'émergea du fond de la pièce non plus, l'aubergiste sortit en faisant la moue. La jeune femme but sa dernière gorgée avant d'exulter. Lorsqu'elle finit, elle posa son assiette dans la bassine d'eau derrière le comptoir puis se dirigea en direction de la vieille femme en se curant les dents avec une lame fine qu'elle sortit d'un étui dissimulé à sa hanche. Elle s'assit en face de la vieillarde qui avait quitté des yeux les volets et la fixait droit dans les yeux.

  • Bonsoir Commandant, fit Layalong.

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