Interlude

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Le temps des résolutions était venu. Pour Isladora, la situation était à la fois dramatique et ridicule. Le risque qu’elle allait prendre était d’une ampleur sans nom, celui qu’on lui demandait ridiculement maigre. Les prochains jours, non, les prochains mois allaient s’avérer cauchemardesques, elle le sentait.

Mais pour l’instant, son inquiétude devait laisser place aux réjouissances des formalités. Et à son éternelle cérémonie du thé.

De chaque côté de la table, les armées étaient arrivées. Si celle des plus jeunes avait l’avantage du nombre, les plus âgés trônaient encore fièrement sur leurs sièges et échangeaient des banalités remplies de petites piques qu’eux seuls semblaient sentir, au grand désarroi de Melinn, Alexandre et d’Iule, qui tout compte fait, aurait largement préféré se trouver sur les genoux de l’Impératrice. Armés de leurs seules tasses plus ou moins ébréchées, la question était de savoir qui, d’un regard, ferait couler le premier sang. Les armes s’aiguisaient tranquillement entre les connaissances, tandis que le silence tendu de l’autre côté laissait planer une tension qui allait finir par être palpable.

Puis l’on jugea qu’il était temps de commencer.

— Melinn, Alexandre, je vous présente Volderien Ivanov, Premier Intendant de la Reine de Ghé. J’imagine que vous vous connaissez, que vous vous êtes croisés, plus ou moins. Il a quelques mots à vous dire concernant votre position et les prochains mois.

— En effet, nous nous connaissons. Peut-être même un peu trop bien, je crois bien que mademoiselle Melinn a failli me poignarder en sortant du palais. Sachez que le responsable des crimes que nous vous avions attribués a été exécuté il y a quelques jours et que vous avez donc été complètement réhabilités. Cependant, vous ne devez pas relâcher votre vigilance. Votre nouveau statut vous a certes permis d’acquérir une alliée de poids, mais il vous a également attiré la haine d’un grand nombre de gens. Ce n’est pas parce que vous avez demandé à être protégé que rien ne peut vous arriver.

— Commencez par vous protéger de votre propre stupidité, je devrais pouvoir me charger du reste, ne put s’empêcher de murmurer l’Impératrice avec un sourire.

Le jeune homme soupira, récupéra son enfant et se mit en tête de jouer avec lui pour se distraire, cette réunion stratégique n’ayant pour lui d’autre intérêt que de garder les deux dangers publics à l’œil. Pour sa camarade, le poids de sa décision écartait tous les avantages qu’elle y avait vus. Cette alliance aurait plus de conséquences qu’elle ne le pensait, si le Premier Intendant en personne leur adressait ces mots. Ils étaient probablement encore plus en danger qu’ils ne le pensaient…

— Pour le reste, je laisse votre hôte vous annoncer la nouvelle, elle trouvera sans doute les mots mieux que moi.

— Monsieur le Premier Intendant me flatte inutilement pour ne pas perdre la face. Mais soit, nous partons. J’imagine que vous souhaitez nous accompagner, Volderien ?

— Ai-je vraiment le choix ?

— Ne faites pas celui qui se force à obéir aux ordres, vous savez aussi bien que moi que vous êtes venu de votre plein gré. Nous partirons au plus tard dans trois jours. Melinn, je compte sur toi pour me rafraîchir la mémoire en ce qui concerne les coutumes actuelles, je suis un peu vieux jeu. Alexandre, réunit vos affaires, ne prend que le strict nécessaire et entasse-le devant la porte. Je repasserai derrière pour vérifier, nous partons pour plusieurs mois, ce sera un voyage relativement périlleux, ne prenez donc rien de valeur qui ne soit indispensable ni rien de trop lourd ou imposant, sinon vous vous en débarrasserez au milieu. Bien sûr, on emmène tout le monde, même les enfants.

— Même les enfants ? répéta Alexandre, appuyant sur ses mots pour s’assurer d’avoir bien compris l’injure.

— Absolument, tous les deux ! acquiesça l’Impératrice avec un grand sourire qui sonnait faux. Allez, dépêchez-vous, trois jours, c’est suffisamment court pour que tout le monde ne soit pas prêt d’ici-là !

Les plus jeunes se levèrent, saluèrent et sortirent de la pièce sans un mot. Pour l’un, c’était un manque de respect assumé, pour l’autre, sa fébrilité et son inquiétude l’avaient simplement privée de sa voix. Dans sa tête, tout tourbillonnait, tout dansait, plus rien n’avait de sens. Le danger était omniprésent.

Elle venait de se rendre compte que ce n’étaient ni les murs de pierre ni la crainte qu’inspirait Isladora qui les avait protégés, Alexandre, Iule et elle.

Ce n’était rien d’autre que de la politique.

— Eh bien, très chère ?

Melinn se rendit compte qu’elle était debout. Dans l’encadrement de la porte. La foudre l’avait frappée et elle restait debout, comme ça, bêtement. Au milieu du passage. Le regard de l’Impératrice la fixait et elle ne savait pas quoi faire. Si, il fallait tourner les talons. S’exécuter. Elle aurait tout le temps de lui poser des questions plus tard. Plus tard.

Elle finit par quitter la pièce, sous le regard amusé de son hôte et de leur invité.

— Comment peut-elle être si différente de celle qu’elle était il y a à peine quelque temps ? s’interrogea l’homme, les sourcils froncés et la cuillère à sucre entre le point de départ et la destination.

— Comment ça ?

— Ton influence sur ces jeunes pourrait bien avoir changé des choses…

— Ah oui ?

Isladora était clairement amusée. Elle ne chercha même pas à dissimuler son sourire lorsqu’elle finit sa tasse. Mais Volderien y tenait, à son idée.

— Même chez toi, il y a des choses qui pourraient…

— Ne dis pas de bêtises, répliqua-t-elle brusquement en posant sa tasse. Même toi tu n’y crois pas.

Elle se leva et ôta le récipient de la main de son invité, le posa sur le plateau et le ramena à la cuisine.

Il était encore plein lorsqu’il glissa sur la table et se renversa dans la neige fondue qui se teinta d’ocre, assurant à la délicate porcelaine une propreté prochaine. La vaisselle attendrait encore un peu, puisque c’était comme ça. Puisqu’elle le voulait. Puisqu’elle n’avait plus le choix.

Mais cette situation… Il allait être temps pour elle de changer de vie, de retrouver de vieilles habitudes. D’en forger de nouvelles. Ou simplement d’aller voir le monde, d’aller voir ces terres corrompues, de se retrouver face à face avec des esprits faibles, manipulés, au milieu d’une cour de marionnettes au service de pouvoirs auxquels elles ont volontairement laissé toute latitude sur leurs vies.

Mais si c’était ça où rester à vivre parmi les ruines que les Dieux avaient laissées pour elle, alors elle se mettrait en marche. Elle ne leur ferait pas plus longtemps l’honneur d’être leur invitée.

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