Chapitre 3.3

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Il ne savait plus vraiment s'il devait rire ou pleurer. Son sang lui donnait l'impression de cuire à l'intérieur de ses veines.

Pourtant, tout bouillant de fureur qu'il était, ne cessant de se maudire pour avoir ainsi perdu l'affrontement alors que le sort semblait lui sourire, il ne pouvait s'empêcher de remercier les dieux de l'avoir laissé en vie encore un jour de plus. Étrange paradoxe. La mort avait beau ne pas lui faire peur, il ne voulait pas s'effondrer en perdant. Ses derniers instants dans l'Enclos du Milieu, il voulait les vivre en conquérant invaincu. Mourir dans le déshonneur ? Hors de question !

La quasi-totalité de ses troupes avaient été mises en pièces. Aussi lui faudrait-il longtemps avant de remettre sur pied une force assez conséquente pour prendre sa revanche sur Hiarrandl et ses soldats vieillissants. Parfait : il allait faire preuve de patience. À sa prochaine tentative, son armée compterait moins d'humains et plus de monstres. Pour fêter sa victoire, il boirait son hydromel dans le crâne de Hedin. Parfois, il fallait savoir se tapir dans l'ombre et attendre le moment propice pour frapper à nouveau.

Cependant, il arrive que les choses se précipitent, à l'instar de cet objet qui venait soudain d'apparaître à travers le voile obscur de la nuit. Adalrik n'eut pas le temps de sauter de cheval. Sa tête vola très haut, coupée nette par une étrange lame qui tournoyait sur elle-même. Parcouru de spasmes grotesques, le reste du corps mutilé demeura sur le dos de l'étalon, qui ne tarda pas à arrêter sa course.

Une main amicale vint flatter la robe de l'animal puis se saisit du cadavre et le tira vers elle.

— Voilà qui est fait, lança Grimnir, son arme revenue à une vitesse folle entre ses mains. Je ne sais pas pourquoi Vanadis¹⁶ tenait tant que cela à ce que tu meures. Ne m'en veux surtout pas, je ne suis qu'un exécutant.

En silence, l'assassin contempla l'instrument de son meurtre. D'une forme curieuse, l'objet ressemblait à un hybride de hallebarde et de hache pourvue en surface de multiples angles et de pointes. Sa lame, d'un gris mate, contrastait avec les ergots d'or qui étaient enroulés autour du bord parallèle au tranchant.

Entre-temps, le spectre d'Adalrik était apparu à deux pas de son enveloppe décapitée. Le teint blafard, il regarda ce qui restait de son corps puis se tourna en direction du nord. Une voix de femme semblait l'y appeler par son nom. Il savait qu'il ne devait pas lui obéir, qu'il lui restait trop à accomplir parmi les habitants de Midgard. Néanmoins, il ne parvenait plus à se rappeler quoi.

— Tu n'iras pas à Helheim, mon ami. La gardienne des damnés devra se passer de ta présence. C'est dans mon estomac que tu vas finir.

Adalrik se mit à trembler : l'étonnant sentiment de paix qui l'avait étreint quelques instants durant avait complètement disparu au profit d'une frayeur ineffable qui reléguaient ses craintes passées au rang de peurs ridicules. Il laissa échapper un cri de détresse, se retourna et s'enfuit. Son esprit était embrumé. Il ne savait plus s'il était encore en vie ou s'il était bien mort. Impuissant, il pleura des larmes invisibles.

Pourquoi t'enfuir, tu n'entends pas ?
Les premiers mots dans l'au-delà ?
Ma voix remplace celle qui te guide
Tu es si lent, elle si rapide...

Ces vers déclamés, Grimnir se contenta de soulever légèrement son masque. Le fantôme cessa alors de courir. Une force contre laquelle on ne pouvait lutter l'attira en arrière. Un noir absolu le recouvrit.

L'esprit finit de glisser dans l'œsophage et gagna l'estomac. Lentement, il se dilua dans les reliquats de néant que cachait le corps du chasseur. Un flux d'images s'embrasa littéralement et répandit dans les profondeurs d'une conscience désaxée les morceaux éparpillés d'une fine silhouette vaguement familière. Comme dans un kaléidoscope, ces fragments se mirent à tournoyer, leur reflet renvoyé par un millier de miroirs. Rapidement, ils reformèrent un puzzle en trois dimensions : un guerrier aux cheveux blancs reconnu aussitôt.

Grimnir ne savait pas quel était son nom mais, depuis des millénaires, cet étranger venait visiter ses songes. Invariablement, il surgissait d'une eau verdâtre, les traits déformés par une froide colère. Avec une précision diabolique, il dégainait son épée et l'abattait d'un grand coup sur le monstre masqué. Des étincelles jaillissaient des lames qui s'entrechoquaient, les flots se scindaient en deux. C'était un affrontement difficile, le plus éprouvant qu'aient connu les neuf mondes. Au terme d'un épuisant effort, le coup de grâce arrivait. Une tête tombait. Le Dévoreur d'âmes se sentait plus fort que jamais, ses veines parcourues par une sensation follement nouvelle : la liberté. La Main n'avait plus d'emprise sur lui.

Que faisait donc ce mystérieux adversaire dans les souvenirs d'Adalrik ? Sans le moindre mal, il avait vaincu quatre trolls de pierre et mis en déroute une sorcière de la vieille forêt. Sans doute s'agissait-il d'un iotun des plaines, honoré par ses pairs. En revanche, il y avait peu de chances pour qu'Odin ou Thor le connaissent.

Il y avait aussi cette épée avec laquelle il se battait... Elle était chargée d'une aura exceptionnellement maléfique, identique à celle dégagée par Hungrad, la hache de Grimnir. Était-il possible qu'elle soit en réalité Bloddrekk, l'épée de légende perdue par les dieux ? Se pouvait-il seulement qu'elle soit de retour ? Et si tel était le cas, pourquoi avait-elle choisi pour porteur l'énigmatique combattant qui hantait les rêves agités du Dévoreur ? Pour le découvrir, il fallait mettre son excitation de côté et en apprendre plus sur ce nouveau venu. Freyia, en revanche, ne devait rien savoir.

— Ton nom est Omur, n'est-ce pas ? lança Grimnir à l'étalon alors qu'il l'enfourchait. C'est ton ancien maître qui me l'a dit. Tu es magnifique. Dorénavant, c'est à moi que tu appartiens. Allons, montre au fils d'Orlög quel formidable destrier tu es !

L'animal, obéissant, partit en trombe en direction du lointain. Il avait beau être devenu le serviteur d'un autre, cela ne semblait guère le gêner. Sans doute ne voyait-il pas la différence entre un homme au cœur de démon et un diable aux allures d'humain.

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Lexique :

16 - Vanadis : autre nom de Freyia. Forme simplifiée de Vanadís. Signifie La Dis (singulier de Dises) des Vanes.

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