3.13) Volodia

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J’ai toujours préféré les femmes intelligentes, et leur façon de faire l’amour. Mireille plongeait en moi comme dans un livre ouvert, me pliait, me cornait, et je me mettais à croire, sous des doigts, que j’avais des pages, en la sentant glisser entre tous mes feuillets. Alma, elle, était une fouilleuse hors-paire : elle connaissait sans faute tous les débris du désert, leurs formes du passé et qui les rachetait ; elle connaissait aussi tous les points de ma chair, la pression adéquate et les effets certains. Ninon différait d’elles. Elle n’aimait pas les livres, ni l’archéologie. C’était moi qui la léchais plus souvent que l’inverse, et elle serrait ses jambes comme un piège sur mon torse, et ne me relâchait pas à moins que je la fasse jouir, plusieurs fois d’affilée, jusqu’à lui faire perdre haleine, puis perdre connaissance.

Un jour, j’avais interrogé Ninon sur ce penchant scabreux. Je me souviens qu’étrangement elle m’avait répondu par une autre question : « Tu sais que jouir, c’est comme mourir ? Ça fait le même effet, c’est ce qu’on dit. Comme ça, je m’habitue, et ça me fait moins peur. »

J’ai su longtemps plus tard qu’elle exerçait sur sa dune comme cadavrier.

Il y avait sa peau de femme d’un côté, l’enveloppe d’une inconnue chiffonnée sur la rive à même le sable boueux ; de l’autre, il y avait sa chaleur vivace, son envie bouillonnante de m’arracher un cri, ou juste un glapissement, ses eaux capricieuses, un tourbillon dans mes muqueuses ; et puis, sous moi, il y avait les échasses, les mines empêtrées dans le limon grumeleux. Chaque pas en avant, je sentais le chemin s’imprimer dans mes nerfs, une vraie carte mentale — on m’avait expliqué le pouvoir des mémomines, mais jusqu’alors je supposais que les cart’os en rajoutaient. Mes pas étaient petits, minuscules même ; des presque-pas, pas-tout-à-fait-pas, d’imperceptibles avancées dont seul mon corps tenait conscience. Mes yeux n’en voyaient rien. Je me trainais davantage que je marchais, retenue par la menace de choir dans le poison, transie aussi, un peu, par les ondes salaces dont Sakineh me lubrifiait.

Je crois que je le raconte mal, comme je crois que certaines histoires ne se racontent pas et que, d’ailleurs, les légendes qui nous bercent tous à Soltræk sont toujours des mensonges, ou plus exactement une mystification de ce-qui-a-été, dont les mots, les images, se veulent plus acceptables, respectables, plus plausibles, moins triviaux.

Je dis toutefois avec mes mots ce qui fut ma vérité, et comment le typhon sensuel d’une instruite sadique m’enseigna, mieux que les oiseaux, l’art de lever le pied.

Une fois que je sus me tenir sur mes pattes allongées, Wendigo m’initia à l’assimilation et au traçage des cartes. Les voies que les mémomines imprimaient dans ma mémoire, il me fallait désormais les retranscrire sur les tablettes qui ornaient les murs du Temple d’Ekö, école des cart’os. Sous les mains minutieuses de centaines d’entre nous, le monde prenait la forme d’une fresque sur les voûtes de la nef. J’y découvris les méandres du fleuve que j’avais arpenté de nuit et, au bout, des eaux à n’en plus finir. La véritable mer.

Il me fallut des lunes et bien des insomnies avant de maîtriser ne serait-ce qu’une pincée de cet art ancestral. Chaque plongée dans la mémoire nouée de mes nerfs était un voyage plus sensible que la réalité elle-même. Les souvenirs de mes pas minés décuplaient mes impressions, j’y revivais mes marches au centuple. Ce furent des heures solitaires, intégralement tournées vers l’intérieur de moi, à remuer le sable de tracés dépassés. Je m’efforçais toutefois de me plier sans écart aux exigences des gardiens. À l’occasion, chacun d’eux me rappelait comme le temps pressait. Les cart’os revenus de mes dunes natales rapportaient les tensions qui incendiaient les villes, dans les entrailles sèches que les Eaux Célestes refusaient d’abreuver.

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