4.3) Volodia

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Ces jours-là, je rêvai qu’elle dévêtissait sa peau de sangsible comme on enlève un T-shirt et qu’elle me dévoilait ses côtes ; moins saillantes que les miennes, bien gardée par la muraille de ses abdos d’instruite.

Jamais je n’avais encore vraiment pensé au futur : cette quête était aussi insensée que notre curieux duo, et sans doute n’en reviendrions-nous pas entières. Au réveil, je me demandai pourtant quel avenir nous avions puisque, vraisemblablement, au regard de sa caste, elle n’aurait jamais pu me trouver belle – et peut-on s’attacher à quelqu’un les yeux fermés ? J’espérai parfois que, quitte à revenir estropiée, elle finirait aveugle. Ce malheur paraissait la seule issue à mon cœur.

Aveugle, je devais l’être, pour ne pas voir le zèle qu’elle mettait dans la confection de son ignoble bijou. J’apprendrais plus tard que Sakineh avait de la beauté une idée peu commune et, ce jour-là, je regretterais de n’avoir pas mieux cherché à voir le monde à travers ses remous.

Un matin – où peut-être était-ce encore le crépuscule – nous aperçûmes, noyée dans la brume toxique, ce que je pris d’abord pour une maison. La drôle de petite chaumière surplombait un ilôt encore épargné par l’Océan Mortifère, avec ses bardages vermillons et sa porte qui, un jour, avant d’être déglinguée, avait dû coulisser, son loquet pendant et grinçant, écho des plaintes gémies jadis par les carcasses fuménoyées. Il y avait sous les fondations d’épaisses roues, dont l’une de travers, et sous elles quatres les restes d’un rail en forme d’échelle qui, à peine jailli de l’eau, embrassait la courbe de l’île pour y replonger sitôt. Sur la pointe des mémomines, je me tendis tant que possible pour porter Sakineh jusqu’à l’intérieur.

— Alors, y reste quelque chose là-dedans ?

Dans son langage bullaire, elle me parla d’un lit, d’ossements, et peut-être de fantômes.

— Tu crois qu’on peut passer la nuit dans cette piaule ?

En vérité, aussi confortable était le vaisseau et si légères me semblaient à présent les mémonines, je regrettait parfois le matelas miteux de l’arrière-boutique.

Pa’u’iol ! me gronda-t-elle. Un ‘rain.

Un train, oui. Je me souvins en avoir entendu parler – peut-être en avais-je déjà vu un dans les livres de Mireille, mais il avait davantage à voir avec le monorail suspendu de Néon que cette carcasse de bois.

Un son me tira du sommeil, semblable au pas feutré d'un gobessoûl. J'ignore s'il y en a jamais eu ailleurs que sur la Dune-45. J'en avais croisé un – un seul – une nuit où, âgée d'à peine dix ans, j'avais fui le logis de mes parents, fui leur colère sans borne, leurs disputes incessantes et les violences répétées. À cette époque-là, j'étais certaine que rien au monde ne saurait m'inspirer plus de terreur que mes parents – ces monstres.

Pourtant, il y a eu le gobessoûl, son ombre biscornue dans le halo d'un néon, sa mitaine sale contre ma joue. Je suis morte cette nuit-là, pendant une fraction de seconde : mon cœur s'est suspendu et le gobessoûl affamé n'aurait eu qu'à me cueillir, si n'avait pas retenti la cloche sourde du cadavrier.

Pourtant, il y a eu ce sème-la-mort, tirant son traîneau surmonté d’une pile de corps, dans le sable de Néon. Il aurait suffi qu'il me vît pour que je termine au sommet du tas, mais mon souffle était trop court et son attention s'était plutôt portée sur le gobessoûl qui tentait de détaller. Ça court vite, un gobessoûl. Vite et loin, mais pas droit. Si je n'avais pas saisi le moment pour prendre mes jambes à mon cou, j'aurais pu les voir se battre, le cadavrier sortir son tisonnier, ouvrir en deux le torse du gobessoûl et faire pleuvoir ses organes en sauce sur sa cargaison.

Et par-delà la terreur, il y a eu celle devant qui s'inclinaient les cadavriers eux-même : Priss.

Peut-être faut-il maintenant que j'emprunte un détour et que je vous apprenne exactement qui était Priss ; parce que c'est aussi son histoire ; parce que ce récit ne serait rien sans elle.

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