2.4) Volodia

2 minutes de lecture

— Tout va bien, Sakineh ?

La fille d’eau me dévisageait à travers sa combi de baudruche. Cette nuit-là, le Ciel seul sait pourquoi, j’avais déplié son vêtement de caoutchouc et je l’avais versée dedans. Son liquide s’était débattu quelques instants dans l’enveloppe froissée, avant de l’emplir complètement, de se remodeler à l’image de la jeune fille que j’avais croisée, quelques semaines plus tôt, en sortant les poubelles.

— ‘e’ai’b’ien, bulla-t-elle. P’quoi ‘u’as s’or’ie ?

Mes lèvres grimacèrent et, sans même me laisser le temps de réfléchir, ma gorge sèche expulsa une réponse chevrotante.

— Tu me manquais.

Elle rit, à sa façon : des centaines de micro bulles de rire explosèrent dans son torse translucide, gorgèrent sa poitrine et jaillirent dans son cou jusqu’à gonfler sa bouche et, devinant ma fascination amusée, ma compagne d’aventure se concentra de toutes ses eaux pour former ses organes et me laisser les admirer – son petit cœur battant, les ondes répandues dans ses veines, ses énormes poumons sous ses tout petits seins, ses intestins passifs, ses reins comme des moulins à battre le torrent et ses trompes fécondes où se levait tranquille un astre rougeoyant.

— Il ne suffirait pas que tu le veuilles, pour retrouver ton intégrité ?

Comme sa bouche se formait, elle articulait mieux.

— Il’n’ suf’rait paqtulveuy pou’ arter d’brûler ?

Arrêter de brûler, non, je ne le pouvais pas. Je ne le pouvais plus, car je m’étais promis de ne plus user d’elle pour noyer le brasier qui consumait mes chairs et, cette courte nuit-là, en serrant la bonbonne où stagnait Sakineh, je rêvai de son petit corps, entier et endormi entre mes os calcinés.

Tout le monde connaissait cette légende à Soltræk, et moi aussi on me l’avait narrée dans mon enfance, celle des Trois Sirènes : des femmes aux ailes écailleuses, mi-oiseaux mi-poissons, qui avaient un jour tiré le tapis de la mer pour l’enrouler sur le ciel. Elles s’appelaient Pitié, Altruisme et Privation ; aucune n’était digne de confiance.

Dans le désert, nous vénérions les Nobles Scaphandriers, une escouade de neufs plongeurs qui s’étaient aventurés jusqu’à la mer, puis avaient nagé jusqu’au firmament pour terrasser les Sirènes et faire tomber la pluie. Et, puisque toutes les cinq ou six semaines les Eaux Célestes pleuvaient, la légende ne pouvait qu’être exacte, et les Sirènes éteintes. Du moins, les Eaux pleuvaient, jusqu’à ce que j’eus la grande idée d’entraver l’évaporation d’un fant'eaume. Je m’en doutais sans le comprendre ; j’avais malgré moi enrayé un mécanisme millénaire et, si je voulais à la fois sauver Sakineh et me donner une infime chance de racheter mon hérésie, il n'existait qu’une solution : il me fallait me parer d’un scaphandre et me lancer moi-même à l’assaut du Ciel, ce monde d’au-dessus où l’on disait aussi que nul ne demeurait entier.

La mer était toxique, disait-on : le sel rongeait tout ce qui s’y retrouvait immergé, faisait fondre les chairs, les os, et jusqu’à la moelle ; on ne pouvait la franchir qu’en portant un scaphandre, mais l’on n’en revenait point.

Annotations

Versions

Ce chapitre compte 1 versions.

Vous aimez lire Opale Encaust ?

Commentez et annotez ses textes en vous inscrivant à l'Atelier des auteurs !
Sur l'Atelier des auteurs, un auteur n'est jamais seul : vous pouvez suivre ses avancées, soutenir ses efforts et l'aider à progresser.

Inscription

En rejoignant l'Atelier des auteurs, vous acceptez nos Conditions Générales d'Utilisation.

Déjà membre de l'Atelier des auteurs ? Connexion

Inscrivez-vous pour profiter pleinement de l'Atelier des auteurs !
0