3.4) Sakineh

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Les êtres qui peuplent la ville rose s’avèrent moins difformes que ceux croisés tantôt sur le rivage du Ciel. La plupart d’entre eux sont des bipèdes aux extrémités palmées, couverts de fourrures étanches. Je vais à leurs marchés et dors sous leurs toits. Tous paraissent humbles et accueillants ; nul ne pose de question. Ils m'accueillent auprès d’eux comme on accueille un réfugié, un estropié, dans les histoires du Temps-d’Avant. Sans que j’aie à supplier, l’absence de mes jambes suscite immédiatement chez chacun une charité sincère. On me porte, on me nourrit et on panse les plaies nettes qui me cernent le tronc.

Parfois, j’ose une question au sujet de Volodia.

— Je cherche une fille aux cheveux roses et au visage arraché. Elle porte un vieux scaphandre, et elle sent bon le sucre.

Quoi qu’on ne puisse la rater, aucun citadin ne se souvient d’une telle énergumène. Alors, je commence à penser que le Ciel l’a peut-être changée, elle aussi, en l’un de ces hybrides.

Au bout de quelques temps – je ne puis dire des “jours” avec exactitude, car la nuit ne tombe plus, ici-haut – attendris de me voir sans cesse ramper d’une ruelle à l’autre, le ventre éraflé par les pavés parmes et les dalles salies par mes lambeaux sanglants, les bestihommes m’offrent un chariot en guise de pieds. Le caisson est sculpté dans la souche d’un des arbres qui abritent les toitures et les roues métalliques viennent, à ce que je comprends, des forges terrestres croulantes. Les vieilles leçons refont surface : c’est là-bas que les Anciens fabriquaient les scaphandres. Lorsque mes roues grincent sur le pavé bancal, c’est elle que je crois entendre : les parois rigides de la bombonne qui m’interdit de me couler en elle, ou les notes du grain qui frappent son gros méchanovule.

Les jours passent, encore, et je circule plus à mon aise. Les descentes tiennent d’un jeu ; comme sur des roulettes ! Les montées, en revanche, me donnent du fil à retordre. Souvent, les bestihommes au grand cœur courent pousser mon caddie. Je m’améliore un peu, à force de pratique. Mais Volodia reste introuvable.

Une clameur se lève doucement, sous les porches. Je retrouve les regards familiers qui, dans une autre vie, m’ont trop dévisagée. La rumeur se répand que le Loup va frapper. Bientôt. Quand les vents chanteront.

J’ignore ce qu’est un loup, alors je ne crains rien.

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