l'appel de trois heure trente
— J’en ai marre de vos plaisanteries !
J’ai hurlé en entrant dans le bureau des inspecteurs. Cela faisait quatre jours que j’avais été muté à la brigade criminelle… et trois nuits que, chaque soir à 3h30, mon téléphone sonnait. Une seule fois. Et au bout du fil, rien. Juste le silence.
— On se calme, le nouveau, lança Gérard, inspecteur massif et moqueur, en croisant les bras. Explique-toi avant d’hurler.
Je me laissai tomber sur une chaise, l’estomac noué.
— Je dors plus. Le téléphone sonne toujours à la même heure. Et cette nuit… il y avait une voix.
— Oh, une ex qui te harcèle ? lança Gérard avec un sourire en coin. Laisse passer, elles se lassent. Et en attendant, t’as pas oublié ta tournée de bienvenue, bourreau des cœurs ?
Rires dans tout le bureau. Je forçai un sourire.
— Ce soir, c’est pour moi, répondis-je. Mais si demain je disparais, commencez par interroger la ligne fixe.
La soirée fut arrosée. À mon retour, titubant, je posai mes clés… et le téléphone sonna.
3h30.
Je décidai de ne pas répondre. Mais la sonnerie insista. Alors je décrochai, excédé.
— Cessez de m’appeler !
Un silence. Puis une voix douce, familière.
— Alors… tu m’as oublié.
— Qui êtes-vous ? demandai-je, haletant.
— C’est moi. Anne.
Un souvenir d’enfance surgit. Anne Bonnevile. Mon premier amour de cour d’école. Tresses blondes, rires timides.
— Oui… je me souviens. Ma voix était plus douce.
— J’ai besoin de toi, murmura-t-elle. Retrouve mon corps.
— Quoi ?
— Mon corps. J’ai très peur.
Je me raidis.
— Tu peux parler. Tu as composé mon numéro. Tu es en vie.
— Non. Ce n’est pas moi qui appelle. Ce sont mes pensées que ton téléphone capte. Chaque fois que j’ai peur… je pense à toi. Et tu décroches.
Mon instinct reprit le dessus.
— Que vois-tu autour de toi ?
— Rien. Mais je sens des présences. Elles me parlent.
— Que disent-elles ?
— Que je suis morte. Et que je dois les suivre. Aide-moi…
Le lendemain matin, j’étais au bord du gouffre. Fatigué. Rêve ou réalité ? Mon cerveau refusait de choisir.
J’allai au poste, silencieux. Les blagues fusaient, Gérard mima une scène indécente, comme toujours. Je ne répondis pas. Je fonçai vers mon ordinateur et tapai son nom dans la base des personnes disparues : Anne Bonnevile.
Aucune trace.
Mon cœur s’emballa. Alors j’eus une idée : appeler maman.
— Allô, mon chéri ! Tu penses à ta mère ? Tu viens quand me voir ?
— Maman… Tu te souviens d’Anne Bonnevile ? Une fille de l’école primaire ? On était proches.
Un silence. Puis :
— Oh… tu penses encore à Anne ?
— Elle m’a parlé hier…
Un long silence. Je sentis un frisson me traverser l’échine.
— Elle te parle ?
— Oui. As-tu son adresse ? Ses parents vivent encore ici ?
— Mon chéri… dit-elle doucement. Anne Bonnevile n’existe pas. C’était ton amie imaginaire. Tu l’as inventée, petit.
Je restai pétrifié.
— Allô ? Mon chéri ? Tu es là ?
Je raccrochai sans répondre.
— T’es bien pâle, me lança Gérard. Qu’est-ce que t’as ?
Je ne répondis pas. Je sortis du commissariat.
Et là… elle était là. Une petite fille. Elle m’attendait.
— Enfin tu te souviens de moi, dit-elle avec un sourire tendre.
— As-tu retrouvé ton corps ? soufflai-je.
— Oui. Il était en toi.
Nous avons marché ensemble. Les passants nous regardaient étrangement… car ils ne voyaient qu’un homme seul, parlant dans le vide.
— Pourquoi es-tu revenue, Anne ?
— Je viens te chercher.
— Pour aller où ?
— De l’autre côté. Là où nous serons toujours ensemble.
Et soudain, une détonation. Le sol se déroba. Un souffle me projeta dans l’oubli.
Je flottais.
Plus de corps. Plus de sol. Juste l’obscurité. Et dans ce noir complet… sa voix.
« Tu n’as plus peur maintenant… n’est-ce pas ? » « Tu m’as retrouvé. Tu ne m’as jamais vraiment quittée. »
Je pensais. Elle entendait.
« Tu peux rester… ou tu peux revenir. C’est à toi de choisir. »
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