le photomaton

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Ce matin-là, je me levai de bonne humeur. On annonçait du soleil pour cette journée printanière. J’avais enfin décidé de faire ces photos d’identité pour mon passeport. Je pensais déjà aux vacances aux États-Unis avec Mathilde. Premières vraies vacances en amoureux. Cela faisait six mois qu’on était ensemble, et je n’avais jamais connu un amour aussi lumineux.

Dans la salle de bain, je me lavai le visage. Je remarquai alors trois fines griffures sur mon avant-bras gauche.

Je me suis gratté pendant la nuit ?

En descendant les escaliers, je croisai ma voisine du deuxième. Je la saluai.

Quand vous rentrez si tard, essayez de faire moins de bruit, lança-t-elle, sèchement.

Mais je ne suis pas sorti cette nuit.

Oui, c’est ça, répondit-elle avec un sourire moqueur.

Je laissai couler. Le soleil, lui, me réchauffait déjà le visage.

Chez le libraire, je pris le journal. Et là, en une :

L’homme sans visage a encore frappé. Cinquième victime retrouvée.

Plus bas :

“Elle a laissé des traces de griffures sur son agresseur. Nous pourrons peut-être isoler son ADN.”

Je refermai lentement le journal.

Dans le métro, je sentis une présence dans mon dos. Quelqu’un lisait au-dessus de mon épaule. Je percevais son souffle sur ma nuque. Je me retournai brusquement…

Personne.

Arrivé à la gare, je m’installai dans le photomaton. Un sourire, trois flashs. Je récupérai les photos. Rien d’anormal. Direction la mairie.

En file d’attente, je jetai un œil distrait aux clichés. Et là — mes doigts tremblèrent.

Sur la dernière photo, un homme se tenait derrière moi. Une silhouette obscure. Visage flouté. Et sa main sur mon épaule.

Troublé, je sortis prendre l’air. Un banc au soleil me tendait ses lattes.

Je m’y assis.

Et soudain, une voix de femme :

Tu devrais le laisser tranquille. Il n’y est pour rien si on l’a choisi.

Je me tournai, surpris.

Pardon ? À qui parlez-vous ?

À votre jumeau. Il veut vous nuire. Il veut prendre votre place.

Vous allez bien, madame ?

Moi oui. Mais vous, non. Vous êtes en danger. Et ceux que vous aimez aussi.

Elle me tendit une carte :

Madame Irma — Médium. “Je vois ce que vous ne voulez pas voir.”

Je rangeai la carte. Encore une illuminée. À ce moment, mon téléphone vibra.

Allô, mon petit Apollon, dit Mathilde.

Tu me manques, soufflai-je.

Je lui racontai ma matinée. Elle rit.

Appelle ta mère. Tu verras si tout ça est vrai. Et samedi, on se fait une soirée tous les deux.

Merci. C’est un cadeau immense.

Je raccrochai. Et j’appelai mes parents.

Ma mère répondit.

Je lui racontai tout. Les griffures. Le miroir. Madame Irma.

Un long silence.

Tu n’étais pas seul, mon chéri. Quand j’étais enceinte, vous étiez deux.

Un vertige.

Il y avait un risque. Alors on a dû… faire partir l’un des deux. C’est toi qu’on a gardé. Mais ton père et moi, on ne regrette pas. Tu es un fils merveilleux.

Je raccrochai, bouleversé.

Pourquoi moi ? Pourquoi lui n’a pas eu le droit de vivre ?

Je marchai dans la ville. Et dans les reflets de vitrines… parfois, je le voyais. Derrière moi. Flou. Comme gommé.

Les passants m’évitaient. Surtout les femmes. Je m’arrêtai devant une vitrine.

Et là, l’horreur.

Mon visage était effacé. Pas disparu. Gommé. Comme si quelqu’un avait frotté ma peau avec rage.

Il ne restait que… un sourire. Tordu. Glacé.

Et une voix en moi :

“Tu ne mérites pas de vivre à ma place.”

Ce n’est pas ma faute ! Ne la touche pas ! Mathilde est à moi ! Tu entends ? Laisse-la tranquille !

À ce moment-là… mon visage réapparut dans le reflet.

Je décidai d’aller au cinéma. Une comédie quelconque. Pour m’anesthésier.

Mais en rentrant chez moi… j’entendis cette voix :

“Va te coucher… c’est à moi de m’amuser.”

Cette nuit-là, je ne dormis pas.

À 2h du matin, j’appelai Madame Irma. Rendez-vous fixé à 9h.

D’ici là… faites attention à lui.

Je m’endormis malgré moi.

Je me réveillai en sursaut. Zut ! 8h43. Je m’habillai à la hâte.

En sortant, je faillis bousculer ma voisine.

Cela suffit, monsieur ! Vous rentrez à pas d’heure avec un vacarme infernal !

Ne vous en faites pas, madame. Ce sera fini aujourd’hui.

J’arrivai devant la porte de Madame Irma. Je sonnai. Rien.

Une dame entrait dans l’immeuble.

Elle habite au troisième. Entrez, sa sonnette est sûrement en panne.

J’escaladai les marches.

La porte était entrouverte.

Madame Irma ?

Aucune réponse.

Je poussai la porte…

Cet appartement… je le connaissais.

Je reconnus le papier peint. Le lotus rouge. Comment était-ce possible ?

Et là… sur le sol…

Madame Irma. La gorge tranchée. Le sang noir sur le parquet.

Je tombai à genoux.

Et dans le miroir de l’entrée, mon propre reflet me regardait.

Un sourire cruel. Des yeux qui n’étaient pas les miens.

“On ne se débarrasse pas de moi si facilement.”

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