la chambre sourde

4 minutes de lecture

Georges ne connaissait presque rien de l’oncle Frans.
Quelques fragments, des silences. On disait qu’il avait été résistant. D’autres le pensaient collabo. Sa grand-mère, la sœur de Frans, avait été rasée à la Libération pour avoir aimé un Allemand. Le passé familial ressemblait à une cave fermée depuis trop longtemps.

Quand Georges apprit qu’il héritait de cet homme, il rêva un instant d’un oncle d’Amérique, d’une fortune oubliée.
Mais non.
Ce qu’il reçut, ce fut une cave scellée à Paris. Un cadenas rouillé. Et une feuille griffonnée, signée à la main :
« Ce lieu a une mémoire. Si tu la libères, tu en souffriras. Mais si tu l’écoutes… tu trouveras fortune. »

Georges descendit jusqu’au sous-sol d’un immeuble du XIe arrondissement. Couloir humide. Néon grésillant. L’endroit puait la rouille.
Il trouva la cave sans mal. Numéro 43. Cadenassée.

Soudain, une voix venue de l’intérieur murmura :
« Casse le cadenas… et libère-moi. »

Georges recula. L’endroit était glauque.
Si je commence à halluciner, c’est mal parti…

Un homme apparut dans le couloir.
Grand. Sec. Regard perçant.

— Qui êtes-vous ? demanda-t-il.
— Georges Lemoine. Je suis… le nouveau propriétaire. Je devais hériter de cette cave. Mais je n’ai pas eu la clé.

L’homme hocha la tête.
— C’est normal. Je suis le gardien de la mémoire. J’ai toutes les clés.

Il montra son trousseau. Ancien, oxydé. Puis ajouta, en chuchotant :
— Mais celle-là… je ne l’ouvre pas.

— Pourquoi ?
Le gardien soupira.
— Parce que ce lieu n’oublie rien. Et qu’il restitue ce qu’il entend. Même ce qui n’a jamais été dit à voix haute.

Il caressa le mur du bout des doigts.
— Ici, les Templiers soumettaient leurs novices au silence absolu. Pour sonder leur esprit. C’était un rite. Et quand Philippe le Bel a massacré l’ordre, ils ont caché ce qu’ils avaient de plus précieux ici…

— Le Graal ?
Le gardien se figea. Long silence.
— Peut-être.

Il se pencha :
— Mais s’il est là, il est protégé. Par un gardien plus rude que moi. Un démon. Il lit dans l’âme. Et s’il ne vous juge pas digne… il vous fait souffrir.

— Et si je le laisse partir ? demanda Georges.
Le gardien pâlit.
— Alors vous serez responsable de l’Apocalypse.

Georges recula d’un pas.
— Qu’est-ce que c’est que cette folie ?

Le gardien planta son regard dans le sien.
— Il ne conquiert pas. Il révèle. Il montre aux humains ce qu’ils sont. Et c’est cela, la fin du monde.

Long silence.
— Vous voulez toujours entrer ?
— Oui.
— Pourquoi ?
— Pour savoir.

Le gardien soupira.
— Très bien. Je vous laisse vingt minutes. Si vous ne ressortez pas… je refermerai.

Le cadenas céda dans un grincement.
La porte s’ouvrit sur un cube vide, tapissé de mousse grise. Pas un bruit. Pas un souffle. Juste ce silence… épais. Ancien.

Georges eut envie de fuir.
Mais la porte se referma.
Une odeur de soufre emplit la pièce.

— Ah… enfin de la visite, dit une voix grave.

Un homme surgit du mur. Grand, vêtu d’un manteau noir aux reflets rouges. Sa peau semblait faite de cendres et de braises. Ses yeux, deux puits sans fond, reflétaient des visages en souffrance.
Mais ce n’était pas un monstre. Il avait une allure noble, presque sacerdotale.

— Je suis Mémeroth, gardien du seuil.
Sa voix résonnait comme un chant ancien, fait de douleur et de vérité.

Derrière lui, une fente. Et à travers elle… des hurlements étouffés.
Le démon se retourna.
— Taisez-vous. Souffrez en silence. Nous avons de la visite.

Puis il sourit à Georges.
— Que me vaut l’honneur ?
— Tu veux le Graal ? Le pouvoir ? La vérité ? Je peux te l’offrir. Ne dis rien… ton âme va parler.

Georges fut pris d’un vertige. Une douleur atroce lui arracha quelque chose du cœur.
Un halo de lumière s’extirpa de sa poitrine. Vibrant.

Mémeroth le saisit entre ses doigts, comme une perle vivante.
— Ah, petite âme… si sale. Ton porteur ne prend pas soin de toi. Il mérite une leçon.

Le mur s’écarta.
Une vision de l’enfer.
Corps nus, tordus, silencieux. Une souffrance pure, sans cri.

Georges ne bougea pas. Mais son âme tremblait.
— Ne crains rien, dit Mémeroth. Tu n’as pas encore passé l’épreuve.

Il s’approcha, plus doux.
— Je ne suis pas ton ennemi. Je suis ton miroir. Je ne punis pas. Je révèle. Je suis né du premier mensonge des hommes. Et je vis dans chaque vérité qu’ils refusent de voir.

Une porte gravée du mot Vérité palpitait doucement.
— Tu pourrais partir… dit-il. Mais tu veux entrer. Va.

Georges posa la main sur le bois. Et passa la porte.
Un espace blanc, sans limite.
Et au centre : une présence. Pas un Graal. Pas un objet. Mais une vibration vivante.

Et une voix s’éleva — la sienne, mais différente :
« Le Graal n’est pas ce que tu cherchais. C’est ce que tu es devenu. »

Georges s’agenouilla. Son âme, plus lumineuse, revint en lui.
Un calme immense l’enveloppa.

Mémeroth réapparut. Paisible. Défait.
— Je te salue, nouveau gardien de la mémoire.
— Quoi ? souffla Georges.
— Ton oncle ne t’a rien dit ? Le farceur…

Il sourit.
— En acceptant les épreuves… tu hérites de sa place. Tu deviens gardien. Jusqu’à ce que tu trouves, à ton tour… quelqu’un de digne.

Il disparut dans un dernier rire.
Et la chambre se referma.

Annotations

Versions

Ce chapitre compte 1 versions.

Vous aimez lire lambeau ?

Commentez et annotez ses textes en vous inscrivant à l'Atelier des auteurs !
Sur l'Atelier des auteurs, un auteur n'est jamais seul : vous pouvez suivre ses avancées, soutenir ses efforts et l'aider à progresser.

Inscription

En rejoignant l'Atelier des auteurs, vous acceptez nos Conditions Générales d'Utilisation.

Déjà membre de l'Atelier des auteurs ? Connexion

Inscrivez-vous pour profiter pleinement de l'Atelier des auteurs !
0