DANS LES MOIS QUI SUIVIRENT : jusqu’en octobre
Le temps s’écoulait et on se rapprochait de plus en plus de Noël. Je me rapprochais aussi d’un petit groupe constitué d’Evan, Owen, Corentin, Denis et Mathhis… Cela me valut pas mal d’insultes, et je passais, sans même le savoir, pour une allumeuse. Mais ce n’était pas ma faute si j’étais plus à l’aise avec les garçons ! Attendez, je vous explique.
Depuis ma plus tendre enfance, j’ai grandi avec quatre garçons : Maël, Solal, Enzo et Dorian. Nous nous connaissions depuis que nous ne savions même pas encore tenir debout, et, aussi loin que je me souvienne, je les ai toujours aimés comme des grands frères. En grandissant, j’ai donc toujours eu une certaine facilité avec les garçons. C’est vrai que, quand on les connaît, ils ne sont pas si bêtes que ça, au final… Ils jouent peut-être les gros durs, mais derrière leurs airs se cachent des petits garçons qui ne savent pas vraiment comment gérer la pression de la société — du moins, d’après ce que j’en ai vu. Vous comprenez mieux ? Bref, revenons-en à nos moutons…
Ce petit groupe s’était réuni autour d’un jeu redevenu à la mode : le kendama. Ils faisaient un tas de figures impressionnantes, et moi, je tentais (sans grand succès, à mon grand désespoir) de réaliser les plus basiques. Parfois, je me perdais dans la contemplation de leurs gestes, de leur précision, de cette boule qui virevoltait dans tous les sens avec une minutie redoutable.
Un jour, j’appris que Denis — le grand Chinois — connaissait une fille de mon passé : Noah. Il me parla d’elle subtilement, puis il commença à évoquer mon passé. Je sentis mon cœur se serrer, et les souvenirs défilèrent devant mes yeux, comme si j’avais soudain coupé avec la réalité. Je n’entendais plus qu’un bourdonnement, et je revivais en boucle les moqueries. Denis me donna un coup de coude, ce qui me fit redescendre sur terre, mais les émotions que j’avais enfouies étaient revenues ; elles rugissaient, et des larmes menaçaient de trahir mes joues… et mon honneur.
— Noah m’a dit que t’étais partie parce que t’avais plus d’amis, c’est vrai ?
Je sentais la colère, l’angoisse, la honte et tout un bric-à-brac d’émotions bouillonner dans mon petit cœur. Ce prénom : Noah. Il m’avait hantée. Je pensais pouvoir faire abstraction de mon passé, mais il revenait sans cesse à moi, comme un fardeau enchaîné à mes chevilles, qui me tirait vers le fond.
— Non, je suis partie parce que le niveau était trop bas et qu’on ne finissait jamais le programme, avais-je rétorqué.
Menteuse, avais-je pensé.
— D’ailleurs, Noah, c’est ma cousine.
Un frisson me parcourut le dos quand ces mots sortirent de sa bouche. Et si mon passé ressurgissait ? Et si c’était encore pire ici ?
Une autre allusion à mon passé me secoua l’estomac quelque temps plus tard. C’était un matin ensoleillé, je lisais tranquillement quand Henry, un Black aux cheveux frisés que je connaissais de l’école primaire, vint à ma rencontre.
— Tu sais, j’ai vu ma cousine l’autre jour.
— C’est qui ? avais-je demandé, sans trop y prêter attention.
— Capucine.
Ce nom m’écorchait les oreilles, et un goût d’amertume s’installa sur mon palais.
— C’est cool… Et ?
— Elle m’a demandé si tu courais toujours comme un poney toute seule dans la cour.
Au début, je ne compris pas. Puis je me rappelai de la primaire, quand je m’amusais seule avec mon ami imaginaire. Là, je saisis la moquerie… et ce fut de trop. Les larmes roulèrent sur mes joues, tandis qu’Henry restait interdit.
— J’ai dit quelque chose de mal ?
— Non, rien, tout va bien.
Et je pris la fuite, sans un mot de plus.

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