PREMIERS FRISSONS
La matinée s’était déroulée comme à son habitude : course d’orientation, puis était arrivée la permanence. C’était Mme Jule qui surveillait, black, jolie et très maquillée. Elle avait demandé qui voulait aller au CDI. Corentin s’était retourné vers moi, un air interrogateur, j’avais acquiescé... après tout pourquoi pas, je n’étais jamais allée au CDI. Mme Jule nous avait dit que l’on pouvait y aller, j’étais contente de quitter les grincements des brasseurs d’air. Nous étions passés dans la coursive au-dessus de la 4/3, le soleil tapait fort. Il faisait chaud... Avec nous se trouvaient Lïa, Jérémy et quelques autres. Nous avions pénétré le second étage, au-dessus du hall. Celui auquel on peut accéder par les deux grands escaliers du hall. Le sol orange couinait quand on le foulait et une odeur de renfermé embaumait le couloir. Nous étions arrivés devant la porte et avions baissé notre volume sonore. Jérémy avait toqué à la fenêtre de la vieille porte, et avait ouvert. Nous étions entrés, et nous avions posé nos affaires. Nous étions désormais en quête d’une place... ce qui est dur à trouver. Alors, Corentin et moi, nous avions décidé de nous asseoir sur le petit muret, devant la fenêtre. Celle qui donne sur la cour des 6/5. Le soleil tapait fort dehors et quand on ouvrait un livre, la lumière qui se reflétait sur les pages neige était éblouissante. J’avais attrapé une BD aléatoire, Corentin une feuille de chinois. Plus loin, Jérémy lisait un Astérix et Obélix. Le muret n’était pas très confortable et plutôt étroit, je m’étais alors assise par terre, aux pieds de Corentin. Il avait son dos contre la fenêtre et étendait ses jambes croisées. J’avais posé la tête contre ses cuisses... après tout pourquoi pas. J’avais ensuite enroulé, je ne sais ni comment ni quand, mon bras gauche autour de sa jambe qu’il avait repliée. Je tenais donc mon livre, un bras enroulé sans raison autour de sa jambe, dans le CDI. Après tout pourquoi pas... Je tournais la page quand j’avais senti sa main me caresser les cheveux et ensuite se poser délicatement sur mon épaule. Un frisson avait parcouru mon corps tout entier... Sûrement cette maudite clim... Mon débardeur me parut comme étouffant et les lettres que je lisais se mélangeaient dans ma tête, et moi, comme une andouille, je tournais la page alors que je n’avais compris que deux mots de la précédente. La peau rugueuse de sa main réchauffait mon épaule droite qu’il caressait l’air de rien, doucement, comme si personne ne devait le voir... J’hésitai un très long moment avant de — enfin ! — me décider à toucher timidement de ma main droite la sienne. Je l’avais montée, l’air de me gratter le cou, avant de la laisser là, juste pour que mes micro-poils effleurent les siens. Je ne voyais plus les mots, mais je continuais inlassablement à tourner sans raison les pages. Un petit doigt se glissant dans un autre. Encore une page... À quoi tu joues. Des mains moites. Des pas qui résonnent sur le plancher et une vibration qui remonte ma colonne. Je tourne la page. Un deuxième doigt, et un troisième, et je sens sa paume contre la mienne. J’ai les mains moites, je tourne la page, encore sans raison. Je sens son pouce me caresser la main, des frissons parcourent mon corps. Et je me prends une décharge électrique, je tourne la page, qui n’est d’ailleurs plus qu’un mélange de blanc et de noir. Sa jambe tremblote, je transpire plus. Il me fait un putain d’effet incontrôlable. Je tourne la page, c’est la dernière de couverture, mais je ne m’en rends pas compte.Tout mes ens sont comme éteins, il ne reste plus rien, plus de conscience, plus de pensées juste cette mains qui me caresse tendrement, volant ce moment interdit. Ce supplice dura 30 minutes. J’étais comme mise à nu émotionnellement. Plus de barrière, plus rien, juste lui et moi, et une confiance absolue.

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