Chapitre 4

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Ma colère débordait, je la sentais onduler sous ma peau et palpiter au creux de mes veines. J’étais venue à Étretat dans l’espoir de retrouver un bout d’enfance, une parenthèse enchantée dans cette vie d’adulte secouée par la passage d’une tempête, mais je ne m’étais pas préparée à affronter les affres d’un temps que je n’avais pas vu passer.

Mon père me rejoignit et s’assit à mes côtés sous le cerisier.

— Je comprends que tu nous en veuilles…

Je n’en voulais pas tant à mes parents qu’à cette vie qui me volait une partie de moi. Peut-être qu’au fond, je m’en voulais à moi aussi d’avoir passé toutes ces années sans me soucier de Mamé. J’aimais profondément ma famille mais j’étais davantage préoccupée par mon couple, mon boulot, mes projets que par ce qu’ils vivaient. Ils étaient les adultes, ceux sur qui l’on pouvait compter. Ils étaient mes piliers, les gages de mon autonomie et de ma réussite et pour moi, rien ne pouvait ébranler cet équilibre. Alors, peu à peu, j’avais oublié de m’intéresser à eux. Je prenais régulièrement de leurs nouvelles, mais je me contentais généralement d’un simple message envoyé à la va vite avant de me coucher, au lieu de prendre la peine d’appeler. Aujourd’hui la réalité me frappait en plein visage. Que savais-je de leur quotidien ? De leurs espoirs ? De leurs difficultés ?

— Je me suis emportée. Je suis désolée, répondis-je. Je ne vous en veux pas mais je ne comprends pas votre décision.

— Mamé oublie des petites choses. C’est normal, elle vieillit mais vivre seule dans cette grande maison, ça devient difficile.

— Et, il n’existe pas des auxiliaires de vie ? N'y a t-elle pas droit ?

— Elle a déjà des personnes qui viennent faire quelques heures de ménage.

— Ah.

Je ne les connaissais plus.

— Elle refuse, par contre, qu’on vienne lui faire à manger.

Je n'étais pas étonnée, elle avait toujours cuisiné. Même lorsqu'on l'avait platrée, elle s'était toujours débrouillée pour préparer le repas seule.

— Lili, ce n’est pas la première fois qu’elle oublie quelque chose sur le feu. Ça devient dangereux.

Un gros nœud me serra fort la gorge.

— Mais on ne peut tout de même pas l’abandonner dans un hospice ! Je ne sais pas, on ne peut pas essayer de s'en occuper ? On pourrait se relayer…

— Je pense qu’elle a besoin d’une aide constante.

— Et pourquoi ne viendrait-elle pas à la maison ? Je sais, c’est beaucoup d’organisation, il faudrait réaménager…

— Ce n’est pas qu’une simple question de réagencement. On ne peut tout simplement pas s’en occuper.

— Mais pourquoi ? Tu es en retraite ! Et Maman a réduit son temps de travail. Il ne lui reste d’ailleurs plus que quelque mois avant d’être en retraite elle aussi, non ?

Mon père me fixa d’un drôle d’air. Je voyais bien que quelque chose n’allait pas, aussi décidai-je de tempérer mon humeur.

— Lili, écoute… Je… Maman… Elle a reçu ses résultats d’examen. Les nouvelles ne sont pas très bonnes…

Un son sourd et continu vrilla mes tympans tandis que des points lumineux dansait devant moi à la manière d’un kaléidoscope. Quelques temps après ma naissance, on avait diagnostiqué chez ma mère des tumeurs ovariennes. Elle avait été opérée rapidement mais un suivi régulier et un traitement contraignant avaient été mis en place. Quelques années plus tard, une récidive de cancer avait été déclarée. Elle concernait cette fois l’endomètre. Ma mère s’était accrochée et une fois encore, avait vaincu la maladie. Je ne pouvais pas croire que la vie s'acharne autant sur elle. Qu’avait-elle fait pour mériter ça ?

Je ravalai le sac de nœuds qui obstruait ma gorge.

— Où ? parvins-je à peine à formuler.

— Au sein.

— Pourquoi ne m’avez-vous rien dit ?

Mon père garda le silence avant de répondre.

— On ne voulait pas t’inquiéter… Mais il ne faut pas pas perdre espoir Lili ! Ta mère est une battante.

Ça, je n’en doutais pas ! C’était une des personnes les plus combatives que je connaisse. Jamais, durant ces dernières années, elle n’avait baissé les bras. Jamais je ne l’avais vue cesser de sourire.

— Mais avec ce nouveau combat qu’elle doit mener…

— Je comprends. Je suis désolée…

Mes paroles banales ne témoignaient pas du vide que je ressentais au fond de moi. La colère avait laissé place à l’incompréhension. J’imaginais mon sang, encore bouillonnant quelques instants plus tôt, se cristalliser comme de la glace. Mes espoirs s’évanouissaient les uns après les autres comme les cartes d’un château effleurées par la main d’un enfant maladroit. Et, au milieu ce désastre, flottaient les souvenirs d’un temps que je regrettais amèrement. Je les voyais s’envoler et se mêler au vent sans que je ne puisse les retenir plus longtemps.

J’avais soudainement envie de regagner Paris, de me blottir sous ma couette et lire. Lire pour ne pas pleurer. Pour oublier combien la vie peut être injuste parfois. Je voulais retrouver cette insouciance qui m’animait hier encore mais les visages de ma mère et de ma grand-mère s’imposèrent à moi. Je ne pouvais pas les abandonner à leur triste sort. Je leur devais de retrouver la force qu’elles m’avaient insufflée au fur et à mesure des années, car elles étaient les fondations qui avaient forgé ma personnalité et m’avaient élevée à mon plus haut sommet. Sans leurs mains pour sécher mes larmes, sans leur voix pour me guider sur des sentiers plus certains, sans leur regard pour m’aider à voir au-delà de l’horizon, peut-être ne serais-je pas devenue cette femme que j’étais aujourd’hui. Ravalant des larmes que mes aînées n’auraient pas laissé couler, je décidai de ne plus regretter un seul instant et de me montrer présente pour ceux que j’aimais.

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