Chapitre 5

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En rentrant, je trouvai Maman installée au salon. Depuis quelques années, sa longue chevelure brune avait été transformée en un carré ultra court. Sa féminité n’en demeurait pas moins assumée. De longues boucles pendaient toujours à ses oreilles, du mascara allongeait ses cils et du rouge redessinait le contour de ses lèvres. Mon père s’était toujours agacé des empreintes rosées qu’elle lui laissait sur la joue, mais je savais bien qu’il aimait par-dessus tout ses baisers colorés.

Je vins me blottir contre elle et m’enivrai de son parfum fleuri.

— Excuse-moi Mamoune.

Elle délaissa son livre et tapota sur ses genoux pour m’inviter à y déposer ma tête. Là, elle se mit à caresser mes cheveux comme lorsque j’étais enfant. Je fermai les yeux. Le temps s’étira dans un murmure silencieux. Je n’osais bouger de peur de rompre la beauté de cet instant. C’est finalement Mamé qui mit fin à notre étreinte.

— Qu’est-ce que vous faites dans ce silence de mort ? J’suis pas encore enterrée, que j’sache.

Je me levai et m’avançai pour l’embrasser. D’aussi loin que je me souvienne, je l’avais toujours entendue se moquer de la mort. Ça me faisait toujours rire. Sûrement parce qu’elle ponctuait toujours ses propos d’un clin d’œil pour ne pas m’effrayer. Je gloussai pour la forme mais aujourd’hui, je n’avais pas le cœur à rire.

— Qui veut du café ? proposa-t-elle.

— Installez-vous, je m’en occupe, répondit mon père.

— Apporte aussi quelques biscuits.

Réunis autour de la table de salle à manger, on se rappela le passé. Les longues balades qui se terminaient au Café de la plage, les après-midis au coin du feu à jouer à toutes sortes de jeux.

— Oh et si on jouait au P’tit Bac ?

Le regard qu’échangèrent mes parents me fit regretter instantanément ma proposition. Mais déjà Mamé avait les mains plongées dans le tiroir du buffet. Elle déposa devant chacun d’entre nous le verso d’un vieux courrier ainsi que des crayons à papier.

— Prénoms, animaux, objets ? demandai-je fébrilement.

— T’es plus en CE2 Bibine ! On va corser un peu, décida ma grand-mère en traçant quatre autres colonnes.

— Pays ? osa mon père.

— Métiers ? ajouta ma mère.

Mamé acquiesça avant de rajouter :

— Loisirs et fleurs.

Nous nous regardâmes tous les trois sans broncher.

— Qui donne la première lettre ? demandai-je finalement.

— Honneur au plus jeune.

Les lettres fusaient dans mon esprit, j’essayai de chercher celle d’entre elles qui serait la plus accessible pour ma grand-mère.

— Tu te rappelles de ton alphabet ? me lança Mamé.

Je regardai mes parents, ils se marraient.

— A !

— Original…

Papa et Maman baissèrent encore un peu la tête pour étouffer leur fou-rire.

Alain, Araignée, Assiette…

— TOOOP !

La voix de Mamé me fit sursauter. Un sourire au coin des lèvres, elle énuméra ses réponses.

— Astrid, Agneau, Allumette, Argentine, Architecte, Alpinisme et Anémone. Sept points !

Mon père en avait gagné cinq, ma mère quatre et moi deux, puisque nous avions en commun « Araignée ».

On proposa d’autres lettres.

— TOOOP ! Nelly, Narval, Napperon, Nigéria, Neurologue, Naturisme et Narcisse.

On tiqua sur « Naturisme » mais Mamé s’offusqua de notre « étroitesse d’esprit ». On lui accorda les sept points à contrecœur. Quant à moi j’en avais un seul sur cette partie puisque je n’avais pas été fichue de trouver autre chose que le prénom Noël. Ce jeu commençait à m’énerver. Trois lettres plus tard, on fit les totaux : quatre-vingt-quatre points pour Mamé, soixante-dix-huit pour Maman, soixante-dix pour Papa et, roulements de tambour : quarante-quatre pour moi. Lamentable ! Mamé fanfaronnait. Elle déclara qu’à la première heure du jour, elle nous emmènerait tous les trois chez « les grabataires » à sa place.

J’aidai mon père à préparer le repas pendant que Maman poursuivait sa lecture et que Mamé regardait « N’oubliez pas les paroles ». Je l’entendais chantonner depuis la cuisine.

— Elle nous a foutu une sacrée raclée, dis-je à mon père tandis que j’épluchais les pommes de terre. T’es vraiment sûr qu’elle perd la boule ?

— Elle a des absences, seulement quelquefois. Rien de grave médicalement parlant, mais c’est suffisamment inquiétant pour qu’on ne la laisse pas seule.

La mine renfrognée, je rinçai l’économe, sortis un couteau et taillai les patates en quartiers.

— Je vais rester, annonçai-je.

Mon père me dévisagea.

— Je ne suis pas prête à la voir s’enterrer dans une maison pour vieux. Elle non plus d’ailleurs… J’ai du temps pour m’en occuper en plus. Dis oui, s’il te plait.

— On en parlera avec Maman après le dîner.

Une fois le repas terminé, Mamé veilla un peu, le temps de boire son infusion, puis elle partit se coucher. Comme promis, mon père, ma mère et moi discutâmes de ma proposition.

— Il faudra bien veiller à ce qu’elle prenne son traitement.

— Quel traitement ?

— Du lévothyrox pour sa thyroïde et de l’oméprazole pour ses troubles digestifs. Les boites sont rangées ici. La posologie est indiquée dessus. Chaque soir, c’est bien de remplir le pilulier pour la journée du lendemain. Martine pourra te montrer...

— C’est qui Martine ?

— Son auxiliaire de vie. Elle vient le lundi et le jeudi pour faire le ménage.

— OK, mais puisque je suis là, je peux m’en charger.

Ma mère me sourit.

— On ne va pas supprimer les aides auxquelles elle a le droit. Et lui tenir compagnie sera déjà un travail à plein temps.

Elle était mignonne d’utiliser cet argument plutôt que de pointer du doigt le désordre qui régnait habituellement chez moi.

— Il y a aussi Henry, son kiné. Lui vient le mardi et le vendredi.

— OK…

— Qu’est-ce qu’il y a ?

— Rien, c’est que… On dirait qu’elle est mourante !

— Mais non ! Ça fait quelques années qu’elle a ce suivi régulier. Ça permet de la maintenir en bonne santé.

— Si tu le dis…

Ma mère s’approcha de moi et attrapa deux mèches qu’elle glissa derrière mes oreilles.

— On n’est pas éternels, Lili.

Je détournai les yeux.

— C’est super ce que tu te proposes de faire, mais protège-toi aussi. Ta vie t’attend.

Je haussai les épaules. Ma vie était devenue un bordel sans nom.

— Tu passes l’été ici, le temps de penser à de nouveaux projets et en septembre, tu les concrétises. C’est d’accord ?

— À la condition que de ton côté, tu t’accroches et que tu combattes cette putain de maladie !

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