Chapitre 11

4 minutes de lecture

L’histoire de Mamé Fanette (1)


Une nuit d’hiver, tandis que les flocons blancs tourbillonnaient dans le vent, des rugissements se firent entendre. Naquit alors une enfant aussi frêle qu’une brindille qui émit un petit hoquet en réponse aux cris de douleurs de sa mère.

— Je ne suis pas certain qu’elle survive, dit le médecin penché sur la petite masse ensanglantée qu’il tenait entre ses mains.

— Tu m’en diras tant ! Si encore ç'avait été un bonhomme. Mais non ! Fallait que ce soit une pleurnicheuse même pas capable de braire comme il se doit !

Ainsi furent les premiers mots qui accompagnèrent la venue au monde de la jeune Françoise. Pour noyer sa déception – plus que pour fêter l’arrivée de son nouveau-né – le père de famille déboucha une bouteille d’eau de vie et en offrit un verre au docteur.

— Ma foi, vous boirez bien un p’tit canon ! L’alcool a cette vertu de nous faire oublier ce que la vie nous inflige.

L’accoucheur accepta de partager l’émoi de son patient et, après quelques verres se résolut à s’en aller, laissant Marcel noyer seul son désespoir dans le reste de sa bouteille.

— Elle est toute fripée. On dirait ces espèces de fleurs que t’aimes tant ! déclara-t-il en lorgnant sa fille d’un air mauvais.

Marcel faisait référence aux pivoines dont Marguerite s’échinait, chaque printemps, à en faire de gros bouquets. Le sourire aux lèvres, la jeune femme huma l’odeur de son bébé comme elle se plaisait à le faire, le nez penché au-dessus de ces corolles généreuses et bombées.

— Ça sert à rien de t’attacher, elle finira elle aussi par faner !

Sur ces mots, Marcel éteignit la lampe à pétrole et partit se coucher, plongeant sa femme et son enfant dans l’obscurité du silence. Indifférente aux paroles de son époux, Marguerite pressa sa petite fille contre son sein.

— Ne l’écoute pas, murmura-t-elle à son oreille. Les hommes sont vils et sans cœur. Lui ne sait pas la force qui coule en toi. Mais moi je t’aime et crois en toi ! Dors ma petite fleur ! Ma jolie Fanette ! N’oublie pas que c’est en hiver, que fleurissent les perce-neige !

Les mots durs de son père s’étaient transformés en poudre d’amour et, déposée sur son front tout chaud comme la rosée du matin sur un bouton fleuri, elle plongea la petite Françoise dans un sommeil paisible.

Les saisons se succédèrent et, fidèle aux promesses de sa mère, l’enfant s’épanouit. Elle était aussi discrète qu’intrépide si bien que sa curiosité mêlée à sa générosité faisaient d’elle une petite fille dotée d’intelligence et de bonté. Marcel s’acharnait à l’ignorer mais jamais Fanette ne s’en était offusquée. Elle avait grandi sans son regard, celui de sa mère lui suffisant amplement. Ainsi, se désintéressait-elle complètement de lui, du moins le considérait-elle comme n’importe quel autre homme.

Mais à mesure qu’elle évoluait, son regard s’affûta et bientôt elle le méprisa. Pour les souffrances qu’il infligeait à sa mère en continuant de l’engrosser alors même que la Nature avait rendu son verdict plusieurs fois déjà. Marcel s’obstinait à vouloir un fils en dépit des fausses couches de ces dernières années et la jeune Françoise craignait que sa mère ne succombe à une énième grossesse.

La guerre se déclara et Marcel fut mobilisé. Malgré le contexte oppressant dans lequel Marguerite et Fanette vivaient, le cœur de l’enfant s’en trouva plus léger. Cependant, elle comprit bien vite qu’aucun homme n’en valait un autre. Partout où elle posait les yeux, les silhouettes masculines se révélaient dominantes, acerbes et opportunistes. Il leur suffisait de cogner du poing sur la table pour qu’aussitôt ils obtiennent ce qu’ils étaient venus chercher. Sans compter toutes ces horreurs dont elle était témoin, infligées par la volonté haineuse d’un homme pour qui le désir de pouvoir valait plus que la nature humaine. Du haut de son jeune âge, Fanette se jura de ne jamais laisser un homme pénétrer le jardin secret de son cœur.

Sa rage redoubla lorsqu’elle trouva sa mère gisant au milieu de la cuisine. Violentée pour avoir osé refuser aux officiers allemands les faveurs de son corps, Marguerite souffla à sa fille ses derniers espoirs.

— Ne laisse jamais rien ni personne te cueillir sans l’avoir décidé. Sois la rose dont les épines seront gages de ta liberté.

À dix ans, Fanette se retrouva seule au milieu d’un monde à l’agonie. Elle fut recueillie par une Tante éloignée et, entourée d’une flopée de marmots, apprit malgré elle, à devenir maman. Comme une seconde mère, elle berça, soigna, consola. Elle aima ces enfants comme elle avait aimé celle qui l’avait mise au monde et ne put s’empêcher de trembler pour eux. L’angoisse sourde de voir cette guerre prendre place au sein de leur foyer s’insinuait en elle à chaque instant. Mais, une nuit où le ciel pleuvait des bombes, Fanette regarda la Mort dans les yeux et hurla à s’en décoller les poumons que jamais elle ne plierait devant elle !

Ce qui ne nous tue pas, nous rend plus fort ! Cette maxime devint la devise de Fanette.

À douze ans, elle assista à la libération française et accueillit le retour de son père. D’abord étonné de voir la jeune fille débrouillarde et déterminée qui avait prit la place de sa gamine, Marcel jugea bon de rester fidèle à lui-même.

— Peu m’importe que tu saches allumer un poêle ou réparer mon transistor, tu n’es rien d’autre qu’une femme. Et les femmes ne sont dignes ni de mon intérêt ni de mon admiration. Perds pas ton temps à te prouver que tu vaux mieux qu’un homme. Tu n’es qu’une fleur qui pliera tôt ou tard sous le poids d’un talon.

Fanette serrait les dents et attendait que son père se couche pour s’exercer à ne dépendre ni de lui ni de personne d’autre. Durant les quatre années qui suivirent, elle lut, annota, compila tout ce qu’elle pouvait apprendre du monde. Puis elle rencontra Augustine et sa vie trouva le sens qui lui manquait jusqu’alors.

Annotations

Versions

Ce chapitre compte 1 versions.

Vous aimez lire Rêves de Plume ?

Commentez et annotez ses textes en vous inscrivant à l'Atelier des auteurs !
Sur l'Atelier des auteurs, un auteur n'est jamais seul : vous pouvez suivre ses avancées, soutenir ses efforts et l'aider à progresser.

Inscription

En rejoignant l'Atelier des auteurs, vous acceptez nos Conditions Générales d'Utilisation.

Déjà membre de l'Atelier des auteurs ? Connexion

Inscrivez-vous pour profiter pleinement de l'Atelier des auteurs !
0