Acte 1 : Une fugue fugace ?
2 ans après...
Oh ! Je n’en peux plus ! S’appesantir dans une prison dorée n’est plus agréable pour moi. Comment la cour ose-t-elle ne pas me prendre au sérieux ? D’après eux, je suis une enfante pourrie gâtée, aucunement contente de son destin de princesse. Il n’y a rien de plus hypocrite que de médire dans mon dos ! Il fallait que je sorte de là à tout prix ! Échevelée, je me laisse tomber dans le champ de pavots. Je suis à perdre haleine et à sentir mes joues rosir après l’effort.
La brise fraîche du matin caresse ma peau brunâtre, mais cela n’apaise en rien mon agacement. J’étouffe dans ce palais d’un père royal qui n’a que faire de moi. Personne ne semble s’en apercevoir mais c’est sûr qu’il préfère mon frère Polydore. J’ ai eu envie de m’échapper même si je n’ai pas eu le droit d’être là. Loin de la cohue fraternelle et de la négligence de mes parents.
Allongée dans l’herbe humide, je ferme mes yeux à la teinte smaragdine pour me délecter de cet instant de tranquillité et entrouvre les lèvres pour percevoir les délicates nuances poivrées des fleurs autour de moi.
Les premiers rayons du soleil dorent les nuages sur ce ciel brun orangé tacheté de rose. Les teintes de l’aurore se fondront bientôt en un splendide bleu atmosphérique et ses cotonneux compagnons se pareront de blanc. J’imagine cueillir les cumulonimbus et arracher la voûte céleste. Je tends la main, mais seul le vide se trouve sous mes doigts. Les sons se coincent dans ma gorge avant que je n’ai eu l’action de hurler ma frustration et mon découragement.
Encore plus désappointée, n’écoutant pas mes articulations craquer, je me relève brusquement et cours. Je martèle le sol de mes pas, espérant effacer la douleur et le mal être intérieur qui me dévorent depuis l’enfance. Mes cheveux noirs s’entremêlent sous le vent adamantin. Le lin de ma robe absorbe la rosée du matin tandis je file inconsciemment (vers) ma destinée sur la plaine infiniment verdoyante.
***
Exténuée, je m’affale en plein dans une petite prairie de graminées et de corolles orangées, symboles d’angoisse pour moi. Comme pour m’arrimer à la réalité, je sers dans ma main gauche une poignée de colza, ermite d’un champ à dix lieues de moi. Les yeux clos, au creux de mes doigts, je sens l’harmonie du cosmos à travers la nature frémissante. Cette sensation unique me procure une sorte d’extase et une vague d’adrénaline déferle dans mon corps. Mes poils se hérissent et je pressens toute la magie de l’endroit. En parfaite symbiose avec ce pouvoir, mes muscles se détendent et ma respiration s’apaise. C’est si rare d’être en adéquation avec moi-même que j’en profite. À chaque battement de mon cœur, je perçois ma propre capacité s’épanouir comme une fleur, étouffant ainsi ma frustration.
D’abord minuscule et confuse, une mauvaise sensation s’immisce dans mes pensées, parasite voulant sucer ma soif de vie plus juste. Bientôt, un souvenir apparaît subrepticement dans mon esprit et brise sans vergogne ce moment fragile.
Mes paupières s’ouvrent abruptement et mon souffle est coupée. Comme si j’étais dans un simple rêve, je me réveille avec un arrière-goût amer dans la bouche. Et dire que cela aurait pu être éternellement magique. Non, les soucis se font sentir avec plus de force dans cette prairie. Toujours allongée, je cale mon ressentiment sous mes coudes.
Je ressens un ersatz de déception en voulant ressaisir ce bien-être et le manquant totalement. À dix milles à la ronde, je n’ai pas vu ce qui se pointe au loin. La masse de nuages gris, presque noirs, dévore goulûment le ciel. J’ai à peine le temps de me lever, que cet orage d’une rapidité surnaturelle est au dessus et qu’une pluie grandiloquente s’abat sur moi.
« Boum !!! » Je m’affole, ne sachant que faire. Mon cœur se serre. Mes jambes et mes bras commencent déjà à trembler. La température a chuté drastiquement. C’est violent.
« C’est comme si l’Océan voulait une part sur les terres. » pensé-je.
Ma peau est inondée de larmes et ma robe péplos blanc chagriné ne ressemble plus à rien. Je tente de soutenir le tissu léger qui est devenu lourd et transparent. Mes pupilles sont écartées par la vive lumière comme celles d’une lapine apeurée sous l’effet de flambeaux. L’odeur d’ozone à mes narines, un autre éclair tombe. Je suis aveuglée.
En outre, je ne vois aucunement la menace qui sous-tend vers moi. Une fois un peu remise de mes émotions et de mon éblouissement, je scrute les alentours. Quelque chose d’incroyable se produit à quelques pas de moi. Le champ, il y a quelques temps verdoyant, a disparu, noyé dans une mer de flammes dont l’épicentre est un grand olivier centenaire. C’est un brasier, énorme et d’une lumière irréelle. Il est tout simplement majestueux. Je suis en pleine contemplation.
***
Soudain, des vagissements coupent ma transe. Ceux-ci ont l’air presque humains. Comme ceux d’un bébé. Cela me froisse l’âme. Dans toute l’intégralité de ma vie, je n’ai jamais ressenti ça. Serait-ce le vent qui fait chanter la plaine ou … autre chose ? Non, la pensée qui me vient à l’esprit est fantasque. C’est impossible que ce soit le brasier qui émette ce genre de bruit. Je crois que je délire.
« C’était comme s’il m’appelait… à l’aide. » cogité-je.
L’écho dans ma tête est un fragment de vérité. Je n’aurais aucune prétention à le contredire. En effet, les flammes s’amenuisent sous l’effet du torrent d’eau qui se déverse du ciel ou de je ne sais où. Telle une sorte d’Océan qui lèche ardemment le sable de la rive, l’eau gagne du terrain. Serait-ce le déluge ? Serait-ce la fin des temps qui gagne les hommes ? Et moi, devant ce brasier… qui me parle. En tout cas, qui me fait comprendre quelque chose… Comme… Je suis l’élu des Dieux. Choquée par ce blasphème proféré dans mon esprit, j’arrête mes divagations.
« À l’aide ! »
Il a parlé ?! Je relève les yeux le temps d’un clignement de paupières, carrément interloquée. Je n’ai pas rêvé. L’incompréhension puis l’inquiétude grignotent mon visage. Je ne sais que faire. Prise sous l’émotion, le piétinement est pour moi une source de réconfort et de réflexion. Devrais-je avancer vers ce brasier au risque de m’y brûler ? Ou devrais-je passer mon chemin et ne pas écouter cet appel à l’aide ? Subitement, mes pieds se prennent dans ma robe et je trébuche pitoyablement sur le sol boueux, déchirant un morceau de l’étoffe si précieuse. Je jette un œil sur le spectacle à mes côtés. Le feu, animé de vie comme une personne, est devenu moins safre et recule progressivement face à l’inondée que se prend la terre entière.
« Père, sauvez-moi ! Que quelqu’un me sauve !! » répète-t-il plusieurs fois, affolé.
— Ce n’est pas possible… Oui, c’est impensable. Et pourtant… Pourtant… Je ne sais si je dois le faire et comment procéder à ton sauvetage mais je vais t’aider ! Ne t’en fais pas, petit feu dont je ne sais pas le nom !! Je viens à ta rescousse !!!
Je ne vais pas courir à toutes jambes et m’enfuir. Je n’écoute pas ma sagesse me signifier que c’est de la folie et qu’il y a quelque chose d’anormal dans l’air. Dans toute cette situation en fait. Mon intuition prend le relais de ma raison et guide mes pas à l’aveuglette. Comme un sémaphore, cette lumière me guide dans cette obscurité aqueuse. Ce n’est pas qu’une impression. Plus je m’avance vers la direction du flamboyant compagnon, plus la giboulée semble redoubler en intensité, se faire plus violente et me frapper de toute part. L’élément aquatique envahit la moindre parcelle de mon corps, de ma vision et du sol. Je dois faire vite sinon je me fondrais presque en lui.
Ce n’est plus une simple pluie, cela devient une averse de giflées qui me coupent parfois le souffle. Mon corps tressaute et je frissonne. Cependant, je n’abandonnerais pas. Plus je fixe le feu, plus ce froid se dissipe. Une force au-delà des mots, trépassant bien ces maux, me pousse à toujours avancer et m’aide à ne jamais me soustraire au sol malgré les vagues-rafales. La terre est désormais gorgée d’eau, emplie jusqu’à plus soif mais c’est comme si je marchais sur un sol stable, tirée vers l’avant par une main secourable.
Tout au long de ce chemin plein d’embûches, je reste hypnotisée par le brasier devant moi. Malgré que ce dernier n’est plus que l’arbre à consumer et n’ait que ça comme source de survie, il flamboie toujours autant une de ces auras, d’un halo doré et toute aussi mirobolante. Il dégage quelque chose de mystique qui élève mon âme. Je ressens des fourmillements dans mon ventre et mon cœur palpite plus vite. Cela me fouette le sang et met mes sens aux aguets. Mon ouïe se fait plus affûté aux craquements de bois ou de graminées. Mes narines se remplissent d’odeurs de pluie, de mucus, de musc et autres. Mon regard se fait plus vif et passe à travers les gouttes pour n’observer que celui que je veux sauver absolument. Ma détermination est à présent sans faille.
« Bienvenue chez toi » font écho deux voix.
Je ne suis plus qu’ à une lieue que le feu s’approche déjà de moi. Sans que cela soit logique même pour moi, je ne recule pas. Je n’ai pas peur. Le brasier me tend les bras et les flammes me lèchent le corps sans me blesser. Celles-ci se mélangent comme de la peinture diluée dans l’eau et fusionnent avec moi. Les flammes font parure sur mon corps et remplaceraient presque ma robe péplos. Je l’accueille définitivement en mon sein. Le pouvoir qui dort déjà en moi s’agite follement. Mon merveilleux don gonfle d’une certaine jouissance et embrase mon intérieur comme un feu de Bengale. Je suis grisée. C’est une chaleur bienfaisante. Mes yeux étincellent d’un éclat nouveau. Une magnifique étincelle vibrante. Un feu intérieur qui ne serait jamais éteint.
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