Chapitre 4 — Lumière dormante

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Je rentrai au bureau comme on rentre d’un champ de bataille : en silence, avec le poids de l’invisible sur les épaules. La clé USB pesait dans ma poche comme un aveu. Une vérité compacte. Froide. Je l'avais tenue tout le trajet comme un talisman, ou une grenade.

Le loquet grippa un instant. Je poussai la porte.

La lumière du plafonnier vibra, hésitante, avant de se stabiliser. Ada dormait sur le vieux canapé, recroquevillée comme un animal blessé. Sa respiration était lente, presque paisible. Ses cheveux roux s’étaient déployés comme un feu éteint sur le coussin défraîchi. Sa canne était posée à portée de main. Ses lunettes, elles, reposaient sur la table basse, délicatement repliées, à côté du cendrier vide.

Elle était belle. Mais pas d’une beauté affichée, pas de celles qui appellent le regard. Non, une beauté désarmante, silencieuse, comme un frisson qui s’attarde sur la peau. Son visage détendu, libre de ses lunettes, semblait flotter hors du temps. Sa bouche entrouverte laissait échapper un souffle calme, et moi, je restais figé, captif de cette image. Il y avait, dans la cambrure de ses reins, dans la chute indolente de ses cheveux, quelque chose de presque obscène tant c’était pur. Je me servis un verre de whisky, lentement, presque cérémoniel. Le liquide ambré captura un éclat de lumière, rare, fragile. Je portai le verre à mes lèvres sans quitter Ada des yeux. Chaque gorgée réchauffait mes entrailles, et mon regard, lui, restait fixé sur elle, avec une envie contenue, une pudeur maladroite. Je buvais pour ne pas parler, pour ne pas faire un geste de trop. Pour rester à distance de ce que je n'avais pas le droit de désirer. J’aurais voulu m’approcher, poser une main sur elle, la couvrir, la protéger... Finalement, je trouvai juste assez de courage pour attraper la vieille couverture jetée sur le dossier du fauteuil, et la déposer doucement sur elle. C’était peu. Ridicule, sans doute. Mais c’était tout ce que je pouvais me permettre. Je n’étais pas cet homme-là. Je n’avais jamais su l'être. Alors je restai planté là, à me convaincre que la contempler était suffisant. Et que le monde pouvait bien continuer de tourner sans moi, tant que ce moment, lui, restait figé.

Je détournai les yeux, pris une profonde inspiration et posai la clé sur le bureau.

Impossible de la réveiller. Pas après ce qu'elle avait vécu.

J’ouvris mon terminal. Pas de réseau. Juste un vieux traitement de texte. Et j’écrivis :

Ada,

Je suis rentré. Tu dormais. J’ai vu Doc H. Il m’a donné quelque chose qui t’appartenait. Une clé USB.

Je dois m’absenter. Voir quelqu’un. Un type qui me doit une faveur. Il pourrait nous aider à déchiffrer la clé.

Reste ici. Repose-toi. Ce lieu est sûr.

Al.

Je sauvegardai le message sur l'écran de l'ordinateur, en espérant que ses dons feraient le reste.

Je pris ma veste et la clef USB. Jetai un dernier regard sur elle. Un battement de plus, juste pour graver cette image. Puis je refermai doucement la porte.

Le dehors m’aspira comme un courant d’air froid. La nuit était toujours aussi lourde, mais différente. Chargée d’un avenir qu’on n’avait pas encore décidé.

Je me mis en route vers le 11ème. Quelqu’un m'y attendait. Un vieux hacker surnommé Byte. Un gosse que j’avais tiré d'une sale histoire de vol de données, des années plus tôt. Depuis, il vivait planqué dans un squat noyé sous les imprimantes 3D, les crypto-miners et les plantes en hydroponie.

S’il y avait une chance de comprendre ce que contenait la clé d’Ada, c'était lui.

Et pour la première fois depuis longtemps, je sentais en moi quelque chose d’autre que la peur ou la fatigue.

Un feu discret. Peut-être même... une raison.

Ada.

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