Chapitre 9 — Ceux qui effacent.
Le bruit venait du couloir. Net. Sec. Trop précis pour être un hasard.
Mes doigts se refermèrent sur la crosse de mon arme. Derrière moi, Ada était immobile. Elle ne tremblait pas. Elle écoutait un autre monde.
— Deux hommes, dit-elle. Un lourd, un rapide. Le premier boite. L’autre vérifie chaque caméra encore active.
Je la fixai, incapable de lui demander comment elle savait tout ça. Parce que je savais déjà. Et j’en avais peur.
— Ils sont venus pour moi, ajouta-t-elle.
Iska s’était rapprochée. Elle avait dégainé une lame fine, dissimulée sous sa manche. Un vieux réflexe.
— C’est qui, exactement, ils ?
Ada baissa la tête. Elle cherchait ses mots. Ou à les éviter.
— Ceux qui m’ont créée. Ou modifiée. Je ne sais plus. Ceux qui ont essayé… de m’effacer.
Un frisson me traversa.
Le premier coup de feu claqua. La cloison vibra. Un pan de mur explosa.
— Par là ! criai-je.
Je poussai Ada vers une trappe d’entretien repérée à l’aller. Iska la suivit. Je me glissai à mon tour, juste avant qu’un tir n’éclate le montant où ma tête se trouvait une seconde plus tôt.
Le couloir d’évacuation était étroit, humide, mal ventilé. Ada avançait sans hésiter. Elle voyait. Autrement.
— On ne pourra pas les semer, dit-elle. Ils ont nos signatures thermiques. Mais… je peux brouiller les signaux. Si je me concentre.
Elle s’arrêta. Posa les mains contre la paroi.
Ses doigts se crispèrent. Les lumières de maintenance s’éteignirent. Un bourdonnement monta dans les murs. Les caméras s’évanouirent.
— Ça les ralentira quelques minutes. Je n’ai pas pu faire plus sans me griller. Mais… je suis aveugle, maintenant. J’ai coupé mes accès. Il ne reste que le noir.
Elle était essoufflée. Une sueur fine perlait sur son front. Je pris son bras, doucement.
— Tu as fait ce qu’il fallait.
Iska ouvrait la voie jusqu’à une issue derrière une conduite disloquée. J’enfonçai le battant.
La nuit.
Nous débouchâmes derrière les docks de Vitry, dans une zone morte. Des containers éventrés, des abris de fortune. L’odeur de l’essence, du métal, et celle, plus sourde, du vieux sang.
Je pris une ruelle latérale. Ada peinait, mais ne demandait rien. Sa main effleurait les murs. Sa canne ponctuait chaque pas d’un claquement sec, obstiné. Son visage restait tendu, mais elle avançait avec une concentration douloureuse. Comme si chaque geste exigeait d’elle plus qu’elle ne voulait l’avouer.
— Je connais cet endroit, murmura-t-elle. Je crois… que j’y ai été. Avant.
Je me retournai.
— Avant quoi ?
Pas de réponse.
Un silence. Puis Iska s’arrêta net.
— On ne peut pas continuer comme ça. Il faut des réponses. Il faut savoir ce qu’elle est. Qui elle est.
Ada ne broncha pas.
— Moi aussi, dit-elle. Je ne veux plus être un mystère. Ni pour vous. Ni pour moi.
Je sortis la clé USB. Toujours sur moi. Toujours brûlante.
— Byte n’a décrypté qu’un seul fichier. Il y en avait d’autres.
Iska croisa les bras.
— Alors on y retourne ?
— Trop risqué. Préviens ton frère. Qu’il change de planque.
Ada prit la parole. Une voix calme, mais étranglée.
— Il existe peut-être une sauvegarde miroir. Une redondance du système. Conservée ailleurs. C’est une sensation… forte. Comme si mon corps s’en souvenait.
Je la regardai. Elle était droite. Résolue. Et dans ses traits fermés, je vis cette volonté nue, cette peur domptée.
Elle se tendit, vibrante. Ses mâchoires serrées, ses mains tremblantes. Elle forçait le contact. Avec l’invisible. Avec ce qui restait du réseau autour. Chaque seconde semblait la consumer de l’intérieur.
Mais elle tenait bon.
Nous étions traqués. Fatigués. Presque vidés.
Et pourtant, une chose me hantait.
Ce n’était que le début.
Et cette fois, je ne la laisserais pas tomber.
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