Chapitre 5 - Sully

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Elsie a l’air offusqué. Moi, tout ce que je vois, c’est Asher en train de rouler des pelles. Évidemment, ça ne me fait ni chaud ni froid, parce que j’ai l’habitude, et parce que c’est un grand garçon qui fait bien ce qu’il veut. Non ? Je sonde Elsie du regard, mais ses yeux sont toujours grands ouverts en direction de mon colocataire.

— Ils… se connaissent ? bafouille-t-elle sans tourner la tête vers moi.

— Heu… Non ? tenté-je, à mi-chemin entre la question et la réponse.

Elsie me dépasse en quelques enjambées rapides, puis attrape le bras de la jeune fille, presque déjà lovée contre le torse d’Asher. Je décide de la suivre, ne serait-ce que pour ne pas rester planté au milieu du salon comme un idiot.

— Ellery ? C’est pas à ça que je pensais. Pas du tout à ça.

Elsie secoue la tête en s’adressant à la jeune fille et je pince mes lèvres pour me retenir de rire. Je ne sais même pas ce qu’elle essaie de faire.

— C’est bien toi qui m’a dit qu’on sortait pour se changer les idées, non ? bougonne son amie.

Je lâche un sourire narquois en pivotant vers cette fille que je ne connais peut-être pas si bien que ça, tout compte fait. Quelque part, je ne l’ai jamais vue dans un tel contexte. Les soirées pyjama qu’elle organisait avec Jordyn et leurs copines sont loin derrière nous, et elles n’avaient pas lieu dans une fraternité.

De son côté, Ellery réagit comme une ado qui se ferait réprimander par sa mère. Sa voix flotte légèrement, et j’imagine qu’elle a dû boire quelques verres pour en arriver là.

— Oui, grogne Elsie, pour danser un peu, tu sais, décompresser avant la rentrée ? Pas se jeter sur le premier mec venu ?

Elle agite les mains, puis se tourne vers moi comme pour chercher du soutien. Je ne suis pas sûr de savoir pourquoi, mais ça me plaît bien.

— C’est qui ? articulé-je lentement.

— Ma coloc, soupire Elsie à voix basse. Putain, je suis même pas sûre qu’elle ait dix-huit ans.

Je grimace sans me départir de mon sourire. Asher et Ellery se sont déjà éloignés et ont repris leur affaire, pas franchement perturbés d’avoir été interrompus.

— Asher en a à peine dix-neuf, t’en fais pas pour eux, chuchoté-je en me rapprochant, pour qu’elle m’entende par-dessus le brouhaha ambiant.

Elsie dévisage nos colocs respectifs un instant avec une moue presque dégoûtée. Ses bras, qu’elle avait jusque là gardés croisés contre sa poitrine, retombent mollement le long de son corps.

— Tu sais quoi ? J’ai besoin d’un verre, moi aussi. Je dois être la seule personne dans cette pièce à pouvoir légalement en boire un, marmonne-t-elle.

Sa bouche n’est plus pincée, et son expression s’est adoucie. Malgré tout, je sens dans ses épaules, dans ses bras figés, une tension que je connais bien. Même sans être sur le court, j’ai pris l’habitude de repérer ces signes presque imperceptibles qui, au moment de l’échange, peuvent paralyser. Elle est là sans l’être, son esprit est ailleurs, j’en mettrais ma main à couper.

Encore une fois, Elsie m’abandonne au milieu du salon, entre une partie de beer pong et nos colocs dont les lèvres semblent avoir fusionné définitivement. Je l’aperçois au fond de la cuisine, à l’autre bout de la maison. Sa main droite serre un gobelet rouge, et le sourire qu’elle adresse à la fille en face d’elle me fait plisser les yeux, tant je doute qu’il soit réel. Je ne crois pas qu’elle m’en ait déjà adressé d’aussi éclatants.

— Mec, j’ai cherché Asher partout, et cette baraque est immense, soupire Duncan en me retrouvant.

Sans dire un mot, je pointe du doigt notre ami et regarde Duncan d’un air blasé.

— Il est beaucoup trop chaud. Au bout d’un quart d’heure, Sully, t’imagines ? Je crois qu’on tient son record, se marre Duncan tout en se rapprochant de la table de beer pong.

Mais je ne regarde plus Asher ni Ellery depuis un long moment déjà. Mon regard s’est ancré dix mètres plus loin, au fond de la cuisine bondée. L’espace est saturé d’étudiants, et pourtant, je la vois parfaitement. Sa robe en lycra noir ne la dissimule pas parmi les autres invités, bien au contraire. Elle est une femme parmi ces filles. A peine plus âgée, mais ces cinq ans qui ont été tout un monde entre nous si longtemps, ne me font plus le même effet.

Je m’efforce de me concentrer sur ma partie de beer pong, enchaînant les verres au rythme des coups gagnants de mes adversaires. Au bout d’un certain temps, je ne sens plus les éclaboussures, ni les cris de Duncan, ni la musique qui résonne dans mes tympans. Je flotte quelque part entre la fatigue et l’ivresse, conscient du réveil brutal qui m’attendra demain matin.

— C’est qui ? susurre une voix féminine dans mon dos.

Tout à coup, deux mains se plaquent sur mes yeux, un baiser humide claque dans ma nuque.

— Je commençais à penser que t’avais demandé un transfert, dis-je dans un sourire en me retournant.

Ava dépose ses mains sur mes épaules, pas troublée le moins du monde de ne pas m’avoir vu pendant deux mois. Ses cheveux bruns, presque entièrement colorés d’un dégradé de rouge orangé attirent inexorablement le regard vers nous. Je l’embrasse au coin des lèvres, indécis sur la façon de la saluer dans un endroit aussi… fréquenté. Clairement pas le genre de rencontre dont on a l’habitude, elle et moi.

Ses longs cils papillonnent un instant, et, merde, si j’adore l’avoir rien que pour moi derrière la porte de ma chambre, là, je ne sais plus où me mettre. Mes mains sont moites, la faute à ces marques d’affection publiques. Ava le sait, je suis sûr de le lui avoir déjà expliqué.

— C’est comme ça que tu me dis bonjour ?

Elle esquisse un sourire narquois, puis attrape ma nuque sans prévenir. Sa bouche s’écrase sur la mienne, je lui rends son étreinte quelques secondes avant de m’écarter doucement.

— Content de te revoir aussi, Ava, raillé-je.

La pichenette qu’elle reçoit dans l’épaule lui fait tirer la langue, et la voilà déjà repartie, ne laissant derrière elle que son parfum sucré et entêtant.

Le temps qu’on a passé ensemble depuis le début de notre première année n’a fait qu’augmenter, si bien qu’au bout d’un an, notre relation a… évolué. Les termes sont définis, annoncés, on est potes avec quelques avantages, rien de plus. Sauf que, ces derniers mois, Ava essaie de me persuader qu’on ferait un super couple. Honnêtement, ça serait presque amusant si ça n’était qu’à moi qu’elle en parlait. Mais ses copines se sont mises à insister, et je commence à avoir envie de tout envoyer balader.

— J’y vais, Duncan. On se voit demain, n’oublie pas de ramener Asher, plaisanté-je en lui adressant un clin d’œil discret.

Asher et Ellery ne sont plus dans les parages. Duncan hoche à peine la tête, investi comme jamais dans sa partie de beer pong, et Elsie ne m’a pas adressé un seul regard depuis son petit coin de cuisine. Je l’ai observée discuter longuement avec au moins trois personnes, et ça me m’agace d’avoir eu le temps de compter.

Sur le pas de la porte d’entrée, alors que les battants s’apprêtent à se refermer derrière moi, j’ai tout juste le temps d’entendre la voix moqueuse d’Elsie.

— Vos aurevoirs laissent à désirer, monsieur Warren.

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