Chapitre 8 - Elsie

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J’essaie de me retourner, mais Sully me stoppe par un non sec et… plaintif ? Je me mords les lèvres, amusée par sa mine déconfite et sa tentative de se cacher en rapprochant son nez le plus près possible de la table.

— C’est encore plus flagrant, Warren. On ne voit que toi, insisté-je en me marrant à moitié.

Sully gémit et finit par cacher sa tête dans ses bras. De longues secondes s’écoulent avant qu’il ne m’adresse la parole dans un murmure étouffé.

— C’est bon ? Elle est partie ?

Oh. Je n’avais donc pas besoin d’observer Ava-manucure-parfaite et sa copine récupérer leur commande pour comprendre que c’était d’elles dont Sully se cachait.

— T’avais l’air beaucoup plus content hier soir quand elle est venue te voir, non ? le taquiné-je.

Ok, c’est pas tout à fait vrai. Du fond de la cuisine des Sig Phi, j’ai pris le temps de les regarder. Il est resté planté comme un piquet au milieu du salon, tandis qu’elle bourdonnait autour de lui avec entrain. Après ça, Mike 2006 a ouvert le frigo et m’a bloqué la vue pendant cinq bonnes minutes, révoquant mon accès à cette scène croustillante.

— Je… C’est pas glorieux, Els. T’es sûre que tu veux parler de ça ? bougonne Sully en se frottant la nuque.

Je roule des yeux et pose les coudes sur la petite table ronde qui nous sépare.

— Pas besoin. Tu veux un plan cul, et elle veut être avec toi ? deviné-je sans mal.

Sully s’arrête un instant, regarde autour de lui comme pour vérifier que nous soyons vraiment seuls, puis acquiesce.

— Ouais. Enfin, je sais même pas si je veux encore la voir… comme ça, marmonne-t-il, gêné. Ecoute, Els, je sais pas si t’as envie de savoir ce genre de trucs sur moi.

Je secoue la tête, faussement ennuyée.

— Sully ? Je suis au courant. Que tu n’as plus treize ans, précisé-je. Les années passent de la même façon, en Italie.

Son sourire s’élargit à nouveau, et je sens mon cœur se serrer presque imperceptiblement.

— Je sais. Je suis trop vieille pour comprendre, c’est ça ? lui dis-je en plissant les yeux d’un air de défi.

Il se détend légèrement, appuyé contre le dossier de sa chaise. Mon regard glisse de ses épaules à ses bras, avant de s’arrêter sur ses mains. Il ne me répond toujours pas, alors je me décide à plonger mes yeux dans les siens. Les secondes s’écoulent, et nous nous livrons une bataille de regards impitoyable.

— Evidemment. Si je devais te décrire, je dirais que tu es… âgée, commente-t-il enfin.

Je réprime un sourire pour conserver un ton aussi sérieux que le sien.

— Ok, Warren. Je peux t’aider à annoncer la fin de son CDD à Ava, ou je peux rentrer direct à la maison de retraite.

— Putain, Elsie, ricane-t-il avant de soupirer profondément. Vas-y, je t’écoute.

Pendant la demi-heure qui suit, je tente d’expliquer patiemment à Sully que non, un “je préfère qu’on en reste là, on se voit sur le campus ?” par message n’est pas ce qui permettra à Ava de passer à autre chose facilement. D’après ce qu’il me dit, elle est plutôt dans l’attente d’une évolution positive de leur relation, et ça risque d’être difficile de le lui faire entendre.

J’insiste un peu plus, prise de compassion pour cette pauvre fille, et Sully cède enfin, acceptant de lui accorder un moment dans sa semaine surchargée. Nous finissons par quitter l’Everglade Cafe peu avant sa fermeture, poussés vers la sortie par quelques employés déjà attelés au nettoyage des tables.

— Tu me tiendras au courant ? demandé-je en glissant mes mains dans les poches arrière de mon short.

J’aurais dû faire psycho, tout compte fait. Mais qu’est-ce qui me prend, au juste, à m’impliquer dans la vie sentimentale des autres ? Mes relations amoureuses n’ont été qu’une suite d’échecs cuisants, de tromperies et de trahisons. Nouveau départ, Elsie, rappelle-toi.

Sully me répond par un léger signe de tête, et alors que je m’apprête à tourner les talons, il m’interpelle.

— Eh, Els ? T’as continué à jouer au tennis, après le lycée ?

Forcément. Il fallait qu’il s’en rappelle, et qu’il m’en parle. Merde, c’est pas possible de se souvenir d’autant de trucs ! Je jouais déjà beaucoup, avant mon départ, mais comme nous n’étions pas du tout dans les mêmes catégories d’âge, nous ne nous croisions jamais sur les courts.

— Non, pas plus que ça, mens-je.

— Si tu veux venir voir la fin d’un entraînement, tu peux. On pourra débriefer de ma discussion avec Ava. Je vais avoir besoin de retours constructifs, me sourit-il.

— Pour le tennis, ou pour les filles ?

— Je suis pas sûr que tu puisses m’aider, niveau tennis, lance-t-il en m’adressant un clin d’œil.

Je me fous de lui, mais ce qu’il ne sait pas, c’est que j’ai les mains moites, et que je suis mortifiée à l’idée qu’il découvre mes projets en matière de tennis. Lui confier ce secret que je bâtis en silence depuis des années, qu’il sache que je m’entraîne sans relâche depuis que j’ai quitté les États-Unis, et que je joue peut-être aussi bien que lui, ça me paraît inimaginable.

— J’y vais, Warren. Bon courage, avec Ava.

Sully me salue d’un rapide hochement de tête, puis repart dans la direction opposée en trottinant. S’il allait chez lui, il m’aurait suivie, puisque son pavillon et ma résidence sont voisins. Peut-être s’est-il résolu à aller voir Ava tout de suite ?

Lorsque je rejoins ma chambre après quelques minutes de marche, Ellery m’attend au pied levé.

— T’étais où ? Asher m’a envoyé un message, s’écrie-t-elle sur un ton trahissant son impatience.

Je prends sur moi pour ne pas effriter son enthousiasme avec ce que m’a dit Sully à propos d’Asher, et lui sourit gentiment. Je ne sais pas dans quel monde Ellery me voit comme sa nouvelle confidente, sachant que nous nous connaissons depuis à peine quarante-huit heures, mais étonnamment, le courant passe plutôt bien entre nous. J’ai l’impression de me revoir à la sortie du lycée, et c’est presque comme si ces quelques années loin de chez moi n’avaient jamais existé.

— Dis moi tout.

Ellery se lance dans un monologue sur Asher, et je ne peux m’empêcher de la trouver adorable.

— T’imagines, Elsie ? C’est lui qui m’a envoyé le premier message. Il veut me revoir ! Et avant la fin de la semaine ! Et puis, regarde cet emoji. C’est un cœur rose, pas un rouge tout simple.

Je vais dans son sens, et pour être honnête, je trouve ça aussi mignon qu’elle. Une petite pointe de jalousie s’immisce dans ma poitrine, me ramenant aux discussions que Mattia et moi pouvions avoir, au début de notre relation. Depuis quelques semaines, j’arrive enfin à imaginer ma vie sans lui. J’ai beau douter des intentions d’Asher concernant Ellery, je ne dirais pas non à un peu de tendresse, moi aussi.

— Il me dit qu’il aimerait que je vienne le voir jouer, il a un match jeudi, s’extasie Ellery en pressant la paume de sa main contre sa poitrine. Elsie ? Tu crois que…

— Je viendrai avec toi, acquiescé-je face à sa petite moue suppliante.

Ce que je ne lui précise pas, c’est que ce n’est pas Asher, que j’ai envie de voir jouer.

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