C3-3 Insurgé

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Se tenant droit comme un i, les épaules en arrière et le torse bombé, Enoch observait avec un certain dédain sa camarade de guerre. Lysandre était toujours près de son bureau et ordonna gentiment à Angélique de quitter la pièce. La scène qui allait se jouer ne devait pas devenir un sujet de commérage des servants.

La soubrette s’exécuta sans discuter, elle s’inclina poliment et quitta la pièce. Erel avait envie d’en faire de même, mais dans son cas, cela ne lui était pas permis. Enoch lui barrait le chemin de son imposante stature et sa main était déjà sur le pommeau de son épée. L’ex-guerrière n’était pas armée et n’avait aucune chance de passer en force.

Le cadet des Draxak posa ses notes, frotta nerveusement le col de son costume et se positionna à côté d’Enoch. Il était bien plus petit et mince que le grand gaillard Dafladien, mais son regard était illuminé d’une forte détermination. Si le soldat avait la carrure du guerrier, le jeune homme avait le gabarit du leader. Lysandre passa une main gantée dans ses cheveux pour les repousser en arrière avant de reprendre la parole de sa voix douce.

— Alors tu n’étais pas au courant? S’​​​​​​​étonna le jeune seigneur

Erel se contenta de secouer la tête alors que les larmes lui montèrent aux yeux. Pour ne pas montrer sa faiblesse, elle pencha la tête en avant et appuya sur ses globes oculaires pour faire s’écouler le liquide salin sur le sol. La fière Dafladienne ne pouvait pas se laisser aller devant n’importe qui, et encore moins devant un Astéen.

— Erel n’était pas vraiment dans le secret de nos manœuvres. C’est Bahn qui se chargeait de tout, il voulait la préserver de cette vérité, continua Enoch.

— Il tenait beaucoup à toi, n’est-ce pas? J’ai cru comprendre que c’était le frère jumeau de Gaven. Ils se ressemblent vraiment?

— Oui et non, physiquement peut-être. Mais Bahn est un homme pour qui l’honneur représente tout, alors que Gaven, c’est un homme qui n’a rien à faire des honneurs. Il veut juste protéger ceux qu’il aime peu importe les moyens, expliqua Enoch.

La servante avait toujours la tête baissée, elle était comme prise au piège de cette conversation. Elle ne voulait pas entendre tout ça, elle refusait d’accepter qu’Enoch avait raison. Depuis toujours, elle s’était cachée derrière son capitaine, il était le rempart entre le monde et elle. Finalement, pour une guerrière, elle ne comprenait pas grand-chose à la guerre, à ses réelles implications, ses machinations et ses plans. Y avait-il réellement un plan dans tout ça ? Le militaire reprit son rapport sur la situation.

— La régente du Daflad n’est pas décédée, son suicide a été orchestré pour lui permettre de diriger dans l’ombre la rébellion. La princesse Ainhoa Thal’en Daflad se trouverait donc auprès de son oncle, le Comte Thasec de Quevedo. Les îles flottantes sont les terres neutres des plus grands érudits. C’est un lieu à la fois stratégique et très dangereux pour la rébellion. Je pense qu’ils réunissent leur force là-bas, mais qu’incessamment sous peu, ils seront contraints de se déplacer. En infiltrant leurs rangs, je pourrais peut-être découvrir où.

— C’est une mission dangereuse, lança Lysandre en se frottant le menton.

— Je le sais, mon seigneur, mais plus vite la princesse abandonnera sa vendetta personnelle, plus vite la paix s’installera, répondit froidement Enoch.

— Elle n’abandonnera jamais... soupira Erel.

— Comment ça? S’​​​​​​​intrigua le jeune seigneur.

— Vous lui avez tout pris, son trône, son père, son mari, sa vie... elle n’a plus rien à perdre et elle luttera jusqu’au bout, continua la Dafladienne d’une voix tremblante.

— Plus rien à perdre! Et son peuple alors? C’est nous qui mourons et perdons nos vies... tout ça pour quoi? S’​​​​​​​énerva l’ancien capitaine Dafladien.

— Pour nos terres, nos droits, nos ancêtres, notre famille, notre peuple!

Erel avait fièrement relevé la tête et laissa apparaître son visage rougi par la tristesse. Elle avait les poings serrés et faisait face à Enoch d’un air insolent. Elle le trouva lâche, il préférait la paix pour son propre confort, mais il y avait plus d’enjeu que ça! Accepter de se faire annexer sans broncher était une honte pour toute l’histoire de leur pays, pour les gens qui s’étaient battus par le passé pour la liberté. L’ex-second du capitaine de l’armée saisit par le col de son uniforme l’Amazone qui lui faisait face. Sa naïveté et sa crédulité l’agaçaient. Erel arma son bras pour frapper son adversaire lorsqu’il fut retenu par la main ferme du jeune seigneur.

— Je vous en prie, calmez-vous! Ordonna-t-il sèchement.

Les deux Dafladiens se séparèrent sans pour autant rompre le contact visuel.

— Tu places ta foi en quelque chose qui n’existe pas! Gaven l’a compris, il se tue à la tâche pour protéger ta vie. Ça me dégoûte. Tu parles d’honneur et de droits, tu ne vois même pas ce que les autres font pour toi. Et c’était également le cas avec Bahn, fulmina Enoch.

— Cela suffit, je pense que ce sera tout pour aujourd’hui. Vous devriez reprendre vos activités, madame. Nous nous reverrons en présence du juge master, je pense que cela éclaircira un peu plus la situation, le coupa Lysandre.

Le jeune seigneur se frotta le derrière de la tête en souriant d’un air penaud. La belligérante n’en avait pas terminé avec Enoch, mais il n’était pas venu le temps de régler les comptes. Comme le fit précédemment sa partenaire, la soubrette s’inclina poliment et quitta la pièce.

Derrière la porte, l’attendait sagement appuyée contre un mur sa camarade. Angie s’avança silencieusement vers sa compagne d’infortune, l’observa de la tête aux pieds et ne put s’empêcher de remarquer son visage baigné de larmes. Elle saisit les épaules de son amie et la tira contre elle, l’enveloppa de ses petits bras fins, caressa ses cheveux et chuchota à son oreille que tout allait bien se passer.

Erel se laissa faire, non pas qu’elle soit adepte des contacts physiques, mais durant un bref instant cela fut rassurant pour elle. Une douce chaleur émanait du corps de la servante, une chaleur qu’elle ne sentait nulle part dans ce maudit château.

La guerrière mit fin à cette étreinte rapidement en se frottant les yeux. Elles avaient des tâches à accomplir et elles avaient perdu assez de temps.

Les soubrettes reprirent leurs besognes quotidiennes, la Dafladienne eu une pensée pour le juge master. Gaven prenait de gros risques pour la garder en sécurité, mais pourquoi se faire passer pour mort afin d’atteindre cet objectif ? Comment la princesse espérait-elle vaincre l’Empire en simulant un suicide ? Pourquoi la reddition n’est-elle pas une bonne solution ? Beaucoup trop de questions flottèrent dans son esprit. La guerrière n’avait pas pour habitude de réfléchir à ce genre de chose ; en tant que soldate, elle était habituée à suivre les ordres. Cela avait un côté très rassurant de laisser les autres réfléchir au meilleur plan, de n’avoir qu’à faire ce que l’on nous dit. Qui plus est, en cas d’échec, on ne se sentait pas responsable de la mort des autres…

Ces pensées l’écoeurèrent. Enoch n’avait pas complètement tort. Depuis toujours, elle appréciait que les autres décident à sa place. Elle avait entièrement confiance aux frères Caelistis, elle ne s’était jamais demandé si leur choix était bon ou non. La guerrière n’avait que très peu pris de décision, son destin ne lui appartenait pas depuis longtemps. Cette indolence lui a valu de se retrouver prisonnière dans les griffes de la contrée adverse, coincée par son propre fiancé. Quelle ironie !

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