C4.1 Audience
Les fuyards haletaient, leur escapade dans le dédale de la prison du désert les ayant affaiblis. L’adrénaline de la liberté retrouvée avait gonflé leurs veines et l’air aride de cette terre désolée leur brûlait les poumons. Leur cœur battait à l’unisson, avec force, rendant la moindre inspiration saccadée et difficile.
Bahn était le premier étonné de leur réussite, il avait suivi son nouvel allié sans se poser de question, il valait mieux cela que de rester à croupir dans sa geôle sableuse. Red-an était accompagné d’une femme aux cheveux noirs et frisés, sa peau foncée faisait ressortir ses grands yeux dorés et sa silhouette généreuse se tenait en haut de la dune scrutant l’horizon comme si elle pouvait voir à plusieurs kilomètres.
Le nouveau compagnon du capitaine lui tapa dans l’épaule en rigolant à gorge déployée, ils étaient victorieux et avaient filé sous le nez du plus puissant juge de l’armée Astéenne. Un coup dur pour l’Empire, ce qui ravit Red-an.
La femme à la peau marbrée se tourna vers les hommes en soulevant un sourcil, elle ne partageait pas l’engouement de son camarade de toujours. Elle connaissait Red-an depuis qu’il l’avait fait sortir de sa forêt. Elle vivait dans les bois de Sylvesonge, plus précisément, elle faisait partie d’une tribu de ces cimes. La tribu des Madows, une communauté matriarcale recluse dans les bosquets depuis plusieurs siècles. Seuls les hommes sont autorisés à quitter les bois pour s’aventurer et commercer dans les villes voisines, les femmes s’occupent de la cité boisée en la gouvernant et en priant la Forêt chaque jour afin de pouvoir vivre en paix et caché. Duskara, de son nom, avait fui cet ordre établi pour découvrir le monde, en prenant cette décision elle quitta sa famille et tout ce qu’elle avait connu pour toujours.
Red-an avait trouvé sa camarade alors qu’il fuyait lui aussi ses origines pour savourer une toute autre liberté. Tous deux devinrent alors des vagabonds du ciel, des pillards de reliques et des aventuriers sans port d’attache. Ils volaient à travers tout Idalyce sans contrainte. Du moins c’est ce que les pirates racontèrent à l’ancien capitaine Dafladien. Bahn n’était pas du genre à boire les paroles des autres sans se poser de questions, cependant, pour cette fois, il s’abstint et préféra profiter des avantages de la situation.
Les circonstances avaient réuni ces trois protagonistes dans la même prison, Red-an connaissait l’histoire du capitaine déchu mais il ne lui avait pas proposé de quitter la prison avec eux pour rien. D’une part, il savait se battre, ce qui n'était pas négligeable, étant donné qu'ils ont dû assommer plusieurs gardes afin de s’évader, mais aussi parce que le capitaine avait été la victime de l’injustice que faisait subir l’Empire à tous ses opposants. Il avait également entendu le juge l’appeler “frère”. Ainsi, l’ironie qu’entraînait la situation amusait le pirate. L’ancien capitaine du Daflad savait exactement ce qu’il devait faire à présent, il avait perdu son honneur, mais son instinct combatif et sa foi sans faille envers son pays le poussaient à rejoindre les rangs de la rébellion, quand bien même cela pourrait l’exposer à bien d’autres dangers.
La troupe incongrue s’élança dans les terres arides et abandonnées afin de trouver un moyen de rejoindre les îles flottantes d’Aq’Terra.
*
Gaven était rentré dans la cité impériale, il devait faire son rapport à l’Empereur en personne. Le cœur serré, il descendit la passerelle de débarquement, dans son for intérieur il espérait croiser Erel mais il savait qu’elle ne serait pas présente. Seule sa collègue Grace l’attendait dans son armure de juge noirâtre dont le heaume était serti à son sommet d’une couronne de fleurs.
Les Magistrats échangèrent un simple hochement de tête à peine visible et firent claquer leur armure métallique à l’unisson dans les couloirs du château. Ce son fit s’écarter à la hâte tous les domestiques ou simples soldats qui se trouvaient sur leur chemin, personne n’osait barrer la route d’un juge par peur des représailles. L’aristocrate joufflu aux mauvaises manières suivait les représentants de la loi à petite foulée, soufflant et chuintant, de grosses gouttes de sueur perlées sur son front immense s’écrasaient dans sa moustache foisonnante.
Grace n’avait pas besoin de parler pour comprendre que quelque chose n’allait pas, elle avait appris à connaître son supérieur et elle voyait bien qu’il était contrarié. Elle hésita un moment à lui parler de son ex-fiancée, des vérités qu’elle avait affrontées durant son absence, de son comportement qui attirait de plus en plus l’attention du seigneur Vaik et de l’état de santé de l’Empereur alors elle se tut. Par lâcheté, par mépris pour la Dafladienne ou par jalousie, peu importe, Grace protégeait son supérieur et pas cette ressortissante du royaume adverse.
Erel était sortie des beaux appartements du juge master pour accompagner sa partenaire dans les besognes quotidiennes. Son visage était pâle, plus que d’habitude, ses yeux rougis par les larmes et son air était toujours aussi grave qu’à l’accoutumé. Elle portait la tenue réglementaire des domestiques et astiquait les armures anciennes exposées dans l’entrée principale du château. Un grand hall aux murs arrondis et dont le plafond hémisphérique était orné d’une peinture offrant une scène de guerre et de pardon entre les hommes et les Dieux.
Angie frottait gaiement les pièces métalliques en chantonnant un air Dafladien qui n’arrangeait rien à l’état de sa camarade. Le refrain de l’air fredonné par sa camarade était connu de tous les Dafladiens :
Héros de l'aube, dans la lumière des divinités,
Nous avançons, intrépides, dans l'immensité.
Avec l'acier et la magie, unis dans l’obscurité,
Notre chant de guerre, résonne en écho pour l’éternité.
Ce chant conte l’histoire des héros de l’aube, les premiers humains à se dresser contre les puissances des ténèbres. Un vieux conte pour enfant, les ténèbres n’ayant jamais existé telle quelle, la guerre entre les humains avait toujours fait rage en Idalyce. Ainsi les ténèbres de cette ère étaient l’Empire d’Astéa, du moins aux yeux d’Erel, mais qu’en était-il pour les Astéens? Eux aussi devaient avoir leur chant présentant leur adversaire comme des monstres sanguinaires alors que finalement tout ce qu’ils désiraient c’était la liberté et la paix.
Un son assourdissant s’éleva dans le hall, celui-ci résonnait dans la pièce arrondie amplifiant ainsi la marche hâtive des magistraux. L’ombre des juges se dessina en haut des escaliers, Erel leva les yeux et observa leur passage, comme la plupart des servants. Elle reconnut l’armure de Gaven, et celle de l’autre juge qu’elle avait déjà croisée. Un homme à forte carrure les suivait au pas de course, il ressemblait à un petit bonhomme maladroit et comique, un bouffon qui suivait son maître.
Angie lâcha maladroitement une pièce de fer qui s’écrasa bruyamment sur le sol. Les magistraux ralentirent pour finalement s’arrêter. Gaven se tourna vers la provenance du bruit. La genouillère oxydée avait roulé jusqu’au pied de l’amazone, elle se baissa pour la ramasser. La belliqueuse savait que sa partenaire l’avait fait exprès, elle jeta rapidement un coup d’œil dans sa direction alors qu’elle était baissée. La soubrette esquissa un sourire complice et un clin d’œil à sa camarade. Intérieurement, Erel insulta la domestique de plusieurs noms d’oiseaux mais elle lui en était également reconnaissante, bien qu’elle ne l’admettrait jamais.
Le juge master s’était tourné dans sa direction, durant quelques instants ils s’observèrent sans échanger de mots, ils étaient inutiles. La vue de l’armure astéenne était insoutenable pour la Dafladienne, elle ne se faisait pas à l’idée que l’homme qu’elle connaissait autrefois pouvait porter cette immondice, lui qui avait tant de valeur, était si idéaliste et fervent de la paix. Erel détestait cette armure, viscéralement, pourtant, elle était heureuse de voir que Gaven était rentré, qu’il allait bien. Une pensée qu’elle savait inadaptée et dangereuse pour ses propres valeurs, mais avec tout ce qu’elle avait appris, qu’on lui avait asséné comme le plus violent des coups d’épée, elle était rassurée de le voir. Peut-être possédait-il une partie des réponses qu’elle recherchait, peut-être qu’un jour ils se comprendraient de nouveau?
Leur contact visuel se prolongea, la soubrette serrait contre elle le morceau de métal, des larmes lui montèrent aux yeux de manière incontrôlable. Angélique lui chuchota d’y aller, de rejoindre le juge master, de faire ce qu’elle avait envie en souriant de son air toujours aussi bienveillant. Erel fit un pas en avant, pas très grand mais suffisamment engageant pour que le juge master s’en aperçoive et en fasse de même. Le cœur du magistrat battait très fort dans sa poitrine et lui martelait les tempes alors que pour la première fois depuis son arrivée il voyait enfin un geste de sa fiancée qui lui prouvait qu’elle avait d’une manière ou d’une autre encore des sentiments pour lui.
C’était sans compter les circonstances de son retour, l’aristocrate bedonnant se racla la gorge d’un air agacé. Il enjoignit les juges d’avancer entre deux expirations difficiles. Gaven s’arrêta, Erel aussi. Ils ne s’étaient pas quittés des yeux, mais le devoir du juge l’avait rattrapé. Il devait faire son rapport.
À contrecœur, il brisa ce contact visuel avec sa compagne et reprit son chemin vers la salle d’audience de l’Empereur suivi de près par Grace et l’aristocrate.
Le souverain était assis sur un trône en marbre noir dont le dossier était creusé à même un pilier fait du marbre matériau. Le plafond était haut, serti de pics et de banderoles rouges descendant en cascade vers les passants. Le monarque avait le dos courbé et la bouche couverte par sa main alors qu’il toussait difficilement, terriblement... maladivement. Une quinte de toux qui dura alors que le cortège traversa la pièce et ce même après qu’ils aient eu le temps de poser le genou à terre face à leur souverain. Quelques gouttes de sang traversèrent l’interstice entre ses doigts, tâchant les gants immaculés du gouvernant Astéen. L’Empereur s’éclaircit la gorge et reprit son souffle avant de laisser son général lui exposer la situation.
— Votre Altesse, après avoir interrogé Bahn Caelistis à la prison de Sombrecarcère, j’ai appris que les rebelles se rassemblaient à Aq’Terra, les îles flottantes, pour préparer leurs troupes sous l’initiative de la princesse Ainhoa Thal’en du Daflad, commença le juge master d’un ton sans émotion.
— Poursuivez, juge master, haleta le monarque difficilement.
— La princesse est protégée par son oncle, le comte Thasec de Quevedo, mais il semblerait que la rébellion ne soit qu’une façade pour masquer les réelles intentions de la princesse. Elle cherche les cristaux du roi-dieu.
Le souverain leva un sourcil, son regard perçant traversa l’armure du juge master pour y chercher la vérité. Voilà longtemps qu’il n’avait pas entendu parler de cette histoire de cristaux. Les pierres d’un roi élu par le peuple Dieu. Un conte pour enfant, comme la plupart des histoires, celui-ci a une belle fin pour l’humanité et est porteur d’une morale qui sert à forger les jeunes esprits. Cette légende se raconte de génération en génération depuis des siècles, depuis si longtemps qu’il serait impossible de la dater avec exactitude. Avec le temps celle-ci avait été remaniée bien entendu, mais l’essence était la même, les êtres humains n’étaient pas destinés à la sagesse divine. Du moins, c’est ce que l’Empereur avait retenu de cette petite histoire. Il n’était pas le genre d’homme à donner crédit à ces frivolités. Les Dafladiens devaient être désespérés, pensa le monarque voûté sur son trône, chercher des artefacts qui n’existent probablement que dans les livres en été la preuve.
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