C5.1 Infiltration
Les protagonistes étaient dans la ville d’Aq’Terra sur les îles flottantes d’Idalyce. Cette ville était le centre des échanges entre tous les pays du monde, son histoire est marquée par toutes les cultures et les ethnies, l’on pouvait alors contempler les différentes architectures, l’art des quatre coins du monde, une cuisine atypique, et un mélange de langues et de cultures que l’on ne retrouvait nulle part ailleurs en Idalyce. La terre neutre était le berceau de la mixité et de la tolérance... enfin, presque. Les mages faisaient partie d’une caste bien différente ; à Aq’Terra, on ne mettait pas en avant son ethnie, mais bien son intelligence. Les grands érudits n’hésitaient pas à dénigrer les plus faibles et avaient un pouvoir immense sur la cité.
L’académie de magie disposait de ses propres règles et était très influente ; les citoyens devaient donc s’accommoder des caprices des mages. Mais cela ne semblait pas trop perturber la sérénité des rues Aq’Terriennes. Après tout, ils s’estimaient heureux de leur “sort” quand ils apercevaient l’enfer que vivaient les habitants “d’en-bas” à cause de la guerre.
La cité flottante n’était cependant pas une terre d’accueil pour les réfugiés ; les mages s’en étaient assurés, car cela aurait troublé l’ordre de neutralité dans lequel la ville s’était camouflée depuis si longtemps. Ainsi, les réfugiés pouvaient “transiter” par Aq’Terra, mais jamais ils n’y seraient accueillis pour éviter les représailles de l’Empire Astéen.
Toutes ces informations, Gaven et Erel les obtinrent sans vraiment poser de question. Les habitants étaient ouverts à la discussion et se passionnaient tout particulièrement pour les événements “d’en-bas”. Ils évoquaient la guerre comme si elle leur était lointaine et que jamais elle ne viendrait frapper les cieux. Pourtant, d’après Erel, personne n’était à l’abri. Gaven écoutait attentivement les histoires de chacun. Il ne cherchait pas à donner son point de vue ni à persuader ses interlocuteurs ; il était seulement attentif. Le visage de l’homme de loi Astéen était impassible, quelque peu froid, le regard plongé dans celui de la personne qui parlait. Erel essayait d’être aussi concentrée que lui, mais son regard était inexorablement attiré par le visage de Gaven. Elle ne l’avait pas souvent vu sans son armure, car jusqu'ici, soit il était en fonction et donc il avait enfilé ses immondes plaques de métal noire, soit ils s’évitaient de manière à se croiser le moins possible dans leur appartement.
Le juge n’était pas dupe, et il sentait le regard de sa fiancée se poser sur lui. Il ne savait pas ce qu’elle pensait de lui, mais leur dernière conversation avait redonné espoir au magistrat. En lui s’alluma une petite lueur, de l’espoir. Il espérait sincèrement et profondément que leur relation pourrait, d’une manière ou d’une autre, reprendre là où ils l’avaient laissée. C’était naïf, il en avait conscience, mais il ne pouvait pas étouffer cet espoir.
Lysandre les avait rejoints en fin de journée, le soleil tombait dans la mer de nuages et allait s’écraser sur l’horizon. Ils remontèrent la cité des cieux pour rejoindre le quartier du marché. Le soleil orange et doux couvrit les impériaux d’une douce lumière, les pavés oranges faisaient ressortir cette luminosité, la réverbération sur les vitres et les étals rendaient le spectacle presque désagréable à leurs rétines, si bien qu’ils furent dans l’obligation de plisser les yeux de manière presque extrême pour supporter l’intense lumière qui passait dans leur champ de vision. Dans ce laps de temps, durant lequel le soleil imposa sa puissance à la rétine humaine, Erel ferma les yeux en avançant mais se heurta au juge master qui marchait devant elle. Aussitôt, elle s’excusa en bégayant alors que son poignet était fermement tenu par son ex-fiancé. Gaven lui asséna un sourire doux en lui expliquant que ce n’était pas grave, puis lui prit la main pour la guider dans la clarté du coucher de soleil. La dafladienne rougit aussitôt, son cœur bondit dans sa poitrine, sa main était chaude et tendre. Ce contact, la guerrière le reconnaissait, elle l’avait par le passé recherché avec avidité et désespoir.
Lysandre fit mine de ne rien voir et s’abstint de tout commentaire. Il savait où était sa place, et il aimait voir son général aussi heureux. Depuis qu’il était rentré au service de la famille impériale, il n’avait jamais vu le magistrat sourire, ou du moins pas d’aussi loin qu’il se souvienne. Le cadet Draxak était presque ému, malgré le fait qu’il n’avait pas pu voir clairement le sourire du juge master car il était aussi aveuglé qu’eux.
Ils arrivèrent devant l’auberge et entrèrent, Lysandre avait bien tout orchestré. Le bâtiment était sobre et exigu, l’intérieur sentait le café et le vieux cuir, le hall d’accueil était très sombre avec des sièges et des canapés en cuir craquelés, il y avait plus de monde que l’on pourrait croire d’un tel établissement. Beaucoup de gens des quatre coins d’Idalyce qui ne daignèrent même pas adresser un regard aux nouveaux entrants. Lysandre se chargea d’aborder la personne chargée de l’accueil en utilisant un dialecte étrange et un peu surjoué, le jeune homme essaya de prendre un accent Ordellien mais confondit certaines expressions d’Ordella, le pays le plus à l’ouest d’Idalyce, avec celles du Daflad. Ils obtinrent une chambre pour trois, alors que l’hôte d’accueil les regarda en biais d’un air suspicieux.
Ils montèrent de vieux escaliers en bois mal vernis pour rejoindre le premier et seul étage de l’auberge, ils remontèrent un long couloir dont les murs et le sol en bois étaient marqués par les années, sous leur pas, le plancher gémit comme s’ils étaient rentrés dans la gorge d’une bête féroce. L’endroit était peu voire pas du tout décoré et faisait extrêmement triste, toutes les portes étaient noires et portaient au-dessus de leur encadrement un numéro écrit en orange, la lumière pourtant si vive de l’extérieur ne semblait pas pouvoir pénétrer la bâtisse, les ténèbres devaient y avoir élu domicile pour rendre cet endroit encore plus morne et désolé.
La chambre était plus “gaie” que le couloir, deux lits côte à côte parés de draps blancs immaculés séparés par une table de chevet en bois clair sur laquelle reposait un vase arrondi et garni de fleurs fraîches. La fenêtre face au lit offrait une vue sur l’arrière-cour du bâtiment, le soleil était donc de l’autre côté du bâtiment mais cela n’empêchait pas la pièce de bénéficier d’un éclairage agréable et chaleureux. Le tapis au sol était d’origine dafladienne, Erel reconnut le savoir-faire des tisseurs de son pays natal. Les motifs et les couleurs étaient, elles aussi, très utilisés dans le royaume du Daflad, des formes asymétriques d’un rouge vermeil sur un fond bleu clair.
Un bureau de très petite taille et une chaise étaient dans l’angle de la pièce et la salle de bain derrière les lits, séparée par une simple cloison. La salle d’eau était minuscule, sans fenêtre et à peine fonctionnelle.
Lysandre ricana. “Une chambre pour trois avec seulement deux lits?” Cette phrase s’échappa d’un ton dédaigneux de sa bouche alors qu'il claqua la langue entre ses dents. Gaven suggéra à Erel de se relayer pour la nuit ainsi quelqu’un monterait la garde dans la chambre durant la nuit et ainsi cela résoudrait le problème de Lysandre. Erel accepta, sinon quoi, elle aurait dû dormir avec Lysandre? Non, elle aurait certainement fini compressée dans les bras de Gaven, cette pensée la fit frémir.
Ils s’installèrent tous dans la petite chambre, Erel sur la chaise, Gaven sur un lit et Lysandre sur un autre. La guerrière ne put s’empêcher de briser le silence qui s’était installé entre eux et qui la mettait si mal à l’aise.
— Sire Lysandre, votre accent tout à l’heure, je ne veux pas vous froisser mais... c’était assez peu convaincant.
— Vous trouvez? Tant mieux alors, ricana le prince impérial.
— Comment ça? S’étonna la belliqueuse.
— Oh! C’était fait exprès. J’ai annoncé qu’une Dafladienne s’était échappée et cherchait la rébellion. J’ai également donné le lieu dans lequel les rebelles allaient pouvoir nous trouver. Cependant, même si l’on peut donner ma description aux rebelles, personne n’a vu la guerrière en question. En prenant cet accent pitoyable, j’ai fait semblant de camoufler “mes origines” à l’aubergiste. Ainsi, il sait que nous sommes du Daflad mais que nous nous cachons. Lorsque les rebelles viendront lui demander s'il a vu une personne correspondant à ma description, il leur parlera de moi mais surtout de toi, Erel, qu'il a eu l’occasion de voir, expliqua calmement l’Astéen.
— Pourquoi votre description seule ne suffirait-elle pas? S’interrogea Gaven.
— J’y ai réfléchi. J’ai essayé d’imaginer ce que penseraient les rebelles en apprenant qu’un jeune garçon, arrivé d'on ne sait où, se met à colporter la rumeur selon laquelle une soldate se serait échappée. D’une part, ils ne peuvent pas prendre le risque de se compromettre pour un simple soldat. Ensuite, même si la curiosité l’emporte, comment prendre contact avec quelqu’un le plus discrètement possible? J’en suis arrivé à la conclusion que l’auberge du marché était le lieu le plus commun de la ville, et pour finir, si Erel pouvait être décrite par quelqu’un d'autre que moi, alors la rébellion reconnaîtrait leur guerrière et penserait que la rumeur serait fondée. J’ai donc utilisé cet accent désastreux pour attirer la curiosité de notre hôte, et ça a fonctionné, étant donné qu'il a jeté un coup d’œil sur chacun d’entre nous, argumenta le seigneur d’Astéa d’un ton triomphant.
— C’est malin, je dois le reconnaître. Mais pour la prise de contact, il y a des lacunes, reprit Erel.
— Je vous écoute, Madame, surprenez-moi, s’étonna Lysandre.
— Comment vont-ils nous contacter dans un lieu si clos? Ils ne vont pas juste se présenter à l’accueil et taper à notre porte. Le danger serait bien trop élevé, et un lieu tel que celui-ci est parfait pour une embuscade, continua la guerrière satisfaite de sa remarque.
— Vous avez raison, je pense qu’ils passeront par un intermédiaire anonyme pour nous faire aller dans un autre endroit. En fait, je ne serais même guère étonné d’apprendre que dans l’auberge il y a une arrière-salle où se réunirait la rébellion, ricana Lysandre.
— Beaucoup de conjecture, uniquement pour parler au Comte Thasec. Vous auriez pu demander une audience avec lui, vous prenez de gros risques, seigneur Lysandre, s’agaça Erel.
— Je suis contraint d’agir ainsi, Madame. J’enquête sur les activités de mon aîné depuis quelques temps déjà et s'il me soupçonnait alors il se méfierait davantage, puis, il pourrait très bien m’enfermer dans le château pour m’empêcher d’agir.
— Vous avez si peu foi en votre propre frère? S’étonna la belliqueuse.
— Erel, ça suffit, ordonna Gaven.
— Laissez donc. Oui, Madame, nous ne pouvons nous fier à personne car dans le château d’Astéa tout n’est que “jeu”, un jeu politique que les nobles pratiquent sans vergogne et qui est impitoyable. Chacun étant conduit par ses propres ambitions. Je sais que mon frère est un homme bien, mais je sais également qu’en ce moment, il complote quelque chose. Je veux l’empêcher de se faire avoir par les nobles Astéens, je le protégerai, argumenta le jeune homme avec détermination.
Erel baissa la tête, "un homme bien", vraiment ? La Dafladienne n’ajouta rien et Lysandre replongea dans ses machinations. Le prince était plutôt doué, c’était indéniable, mais sa bonté et sa naïveté ne jouaient pas en sa faveur lorsqu'il s’agissait du “jeu” auquel il se trouverait, un jour, contraint de jouer.
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