C5.2 Red Roots
Au moment où le silence commençait de nouveau à peser sur les épaules de la guerrière, l’hôte tapa à la porte de leur chambre et entra sans vraiment avoir attendu une réponse de leur part. Il portait un plateau qu’il posa sur le bureau : “un cadeau de bienvenue” annonça-t-il avant de repartir aussi rapidement qu’il n’était venu. Lysandre esquissa un sourire en coin, satisfait de voir que sa tactique était la bonne, il se précipita vers le plateau en question et observa son agencement avec intérêt.
Rien de bien particulier pourtant, trois tasses de thé en porcelaine un peu émaillée et une théière qui laissait échapper de son bec verseur un nuage fumant laissant croire que son contenu serait bouillant. Un sachet de thé était déjà dans le corps arrondi de la théière car il en dépassait un fil blanc dont l’extrémité était rattachée à un petit carré en carton permettant sans doute de connaître l’origine des plantes qui infusent. Le cadet retourna chaque coupelle et chaque tasse, en analysa toutes les aspérités et grogna lorsque son investigation ne donna rien, déçu il s’écroula sur son lit en marmonnant de nouveaux stratagèmes.
Gaven regarda avec tendresse la scène puis prit la suite du jeune seigneur avant qu’Erel ne serve le thé. Il posa sa main sur l’épaule de sa fiancée en lui demandant d’attendre un peu, il ouvrit le couvercle de la théière, observa l’intérieur, puis retira le sachet et enfin lut les informations sur le carton attaché au bout :
“Sève de Dracanea cultivée Mer des sables”
Il renifla le liquide jaunâtre puis se tourna vers Erel. Il lui demanda de sentir la fragrance du thé pour lui en donner les ingrédients, la guerrière n’était pas une spécialiste, mais il s’agissait très certainement d’un thé à la menthe assez basique. Le juge se tourna vers le seigneur Astéen.
— Monseigneur, il s’agit de thé à la menthe, mais l’étiquette le décrivant est étrange, commença le magistrat.
Le garçon se leva d’un bond de son lit et se précipita sur l’étiquette en question. Il se frottait le menton en analysant cette nouvelle information. Erel ne put s’empêcher de sourire face à l’enthousiasme de ce jeune homme, elle le laissa mijoter un peu et se triturer le cerveau avant de lui souffler une réponse.
— La Dracanea est une plante du Nord du Daflad, proche du désert. Sa sève est rouge, et elle survit en toute circonstance. Elle représente dans notre folklore, protection et défense, commença la Dafladienne.
— Donc on a une sève rouge, une plante qui représente protection et défense et la mer de sable, ce lieu existe-t-il? S’interrogea le garçon.
— Non, Altesse, ce lieu n’existe pas. C’est un conte du Daflad qui parle d’une mer couleur sable d’où les premiers hommes du désert seraient nés et qui seraient à l’origine du royaume du Daflad.
— Beaucoup trop de coïncidence, les origines du Daflad, la sève rouge et la protection... Voyons, réfléchissons, marmonna le seigneur Astéen.
— Sinon on peut essayer d’aller à la taverne Red Roots... Ricana Gaven.
Lysandre tapa dans ses mains en lâchant un “mais bien sûr”, puis se hâta de quitter l’auberge miteuse pour rejoindre le lieu dit. Erel s’esclaffa de rire, une intonation qui sonna comme du miel aux oreilles du magistrat, le Draxak avait une énergie débordante qui déteignait sur ses acolytes.
Le Red Roots est un pub Aq’Terrien réputé dans les beaux quartiers de la ville. Il se trouvait proche de l’académie de magie et donc surplombait l’île. On pouvait y observer une vue imprenable sur la mer de nuage depuis une terrasse panoramique de charme et boire des cocktails qui avaient fait la gloire de cet établissement. Inutile de préciser que cet établissement est donc fréquenté par la noblesse de l’île et par les magiciens les plus affluents. Ainsi, les Astéens entrèrent dans la taverne du bon goût et de l’élégance de la cité flottante dans des tenues peu adaptées qui les feraient se faire remarquer très rapidement. Lysandre marmonna entre ses dents un “astucieux” en se frottant toujours le menton, si bien que ce dernier était rougi par le passage répété de ses phalanges. Erel n’était pas impressionnée par la manœuvre car dans l’armée, ils avaient l’habitude de ce genre de manœuvre. Pour débusquer un espion ou un ennemi, il faut le faire venir en terrain peu connu. Cela ne manqua pas, et le trio fut rapidement approché par un serveur qui les sonda de haut en bas d’un air dédaigneux. Il ne cacha pas son dégoût face à eux et leur suggéra de quitter les lieux poliment. Les Astéens n’eurent pas le temps de répondre qu’un homme vêtu d’un costume noir trop serré se positionna derrière eux en les poussant d’un air pressé vers la sortie. Lysandre s’agaça alors que les deux soldats ne réagirent pas et suivirent docilement le gardien des lieux.
Le mastodonte les guida jusqu’à la sortie de l’établissement de luxe. Il glissa discrètement au trio d’attendre à 200 m à droite de l’entrée principale. Les Astéens s’exécutèrent. Gaven était un habitué de ce genre de pratique. Dans l’armée, il avait souvent été en mission d’infiltration, et donc ce genre de procédé lui était familier. Au point de rendez-vous, il n’y avait rien, pas de porte, pas de trappe, pas d'être humain... le néant. Le trio s’interrogea un moment, observa les environs et enfin s’agaça de cette attente. Gaven pensait s’être trompé. Après tout, les indices étaient vagues et auraient pu les mener à divers endroits de la ville. Ils s’apprêtaient à rebrousser chemin lorsqu’une personne apparut comme par magie devant eux, retirant sa cape d’invisibilité. Lysandre se frotta le menton, un sort bien avancé et bien risqué en ces lieux car le magus était particulièrement concentré et donc instable. Ce mage était soit un érudit de l’académie, soit un étudiant. Il ne pouvait en être autrement aux yeux du seigneur Astéen. Leur intriguant interlocuteur les pria de le suivre et s’abstint de répondre à n’importe laquelle de leurs questions.
Le mage passa derrière le bâtiment, s’écarta vers ce qui ressemblait à un local à poubelles, mais contourna ce dernier pour arriver devant une trappe. Celle-ci était recouverte par des broussailles et scellée via une incantation qu’Erel n’aurait jamais pu retenir, tellement la phrase était à rallonge. Le passage menait au sous-sol du bar, d’épais tuyaux en métal serpentaient au plafond, et alors qu'ils s'enfonçaient dans un couloir sombre dont la seule lumière provenait d'une lampe tenue par le rebelle qui les avait accueillis. Certains de ces tuyaux fuyaient et le bruit des gouttes d’eau s’écrasant sur le sol en béton du corridor rythmait leur marche. Ce passage aboutissait sur une salle rectangulaire aux murs bétonnés et à l’éclairage tamisé, une simple table trônait au centre et quelques chaises déparaillées. Seuls deux individus se trouvaient déjà dans la cachette, un homme d'environ quarante ans et une femme trentenaire au look particulièrement aguicheur. Tous deux se présentèrent comme étant des rebelles travaillant pour le Comte Thasec. Malgré les espérances de Lysandre, ces personnes n'étaient pas là pour les guider dans le quartier général de la rébellion, mais bien auprès du dit Comte.
Il semblerait donc que le gouvernant d’Aq’Terra soit bien plus impliqué auprès de la rébellion que le jeune seigneur astéen ne l’avait prévu. La neutralité des îles célestes était donc un leurre ? Il se posa la question un moment mais revint rapidement à la conversation présente afin de n’en perdre aucune nuance, intégrant et cherchant à interpréter tout ce que ces nouveaux individus allaient pouvoir lui apporter. Gaven avait les bras croisés et se méfiait particulièrement de ces interlocuteurs. L’agencement de cette pièce rendait la fuite particulièrement difficile. Si cela avait été un traquenard, ils étaient finis. Heureusement, ses craintes ne se confirmèrent pas. Erel était plus sereine que l’on aurait pu le croire. Il y avait là une chance pour elle de fausser compagnie aux astéens et donc de s’échapper du château. Pourtant, elle n’était pas sûre à ce moment-là de ce qu’elle voulait. Rester ou partir ? Les deux possibilités avaient des conséquences non négligeables sur sa vie mais aussi sur la relation qu’elle avait avec son ex-fiancé. Le ressuscité était certes un traître, mais lorsque la paix serait retrouvée, que feraient-ils ? Que ce soit un royaume plutôt qu’un autre, le problème se posait. Qu’allaient-ils devenir ?
Les trois rebelles face à eux ouvrirent un portail magique sur l'un des murs blanchâtres de la pièce. Le mage fredonna une nouvelle formule très rapidement, si bien que le trio ne distingua aucune syllabe de l’incantation. Cela ressemblait plutôt à un marmonnement indicible et grave. La femme fatale leur expliqua que ce portail allait les mener dans une chambre de la demeure du Duc. Ce dernier était au courant de leur visite, ils seraient enfermés dans la pièce jusqu’à ce que l’on vienne les chercher. Un dernier regard, une dernière phrase avant de se lancer dans le vortex émettant une lumière intense et séraphique. Le quadragénaire leur adressa une ultime menace comme pour les dissuader de faire quelque chose de stupide. S’il savait !
Traverser un tel portail n’est pas une chose agréable ; cela vous donne l’impression d’être étiré dans tous les sens, de tourner dans le vide pendant quelques secondes, de faire des loopings dans le ciel. Puis, cette course infernale est arrêtée brutalement lorsque vos pieds touchent le sol de l’autre côté. La plupart des êtres humains non habitués à ce type de transport vomissent la première fois. Pour les plus aguerris, la traversée n’est pas agréable pour autant. Certains effets secondaires peuvent également avoir lieu, tels que des maux de tête, une perte de connaissance, ou encore des douleurs musculaires.
Aucun de nos trois protagonistes n’était particulièrement coutumier de ce genre de transport. Même Lysandre, qui avait pourtant appris à utiliser la magie, n’avait que très peu emprunté ce genre de passage. Ainsi, en sortant de l’autre côté du portail, chacun d’eux était étourdi, se tenant au mur ou au meuble le plus proche de la pièce pour éviter de tomber. Cette sensation ne dura que quelques secondes et se dissipa aussi vite qu’elle était venue, mais ce n’est pas quelque chose qu'ils oublieraient de sitôt !
Ils atterrirent dans une chambre, comme l’avait prédit la femme rebelle. Celle-ci était décorée avec goût : un grand lit à baldaquin sur une plateforme en marbre blanc avec des draps en soie vert pâle, une coiffeuse en bois blanc, un tapis en peau de monstre immaculé, et un bureau avec une chaise dont les coussins étaient verts d’eau. Un bouquet de fleurs fraîches était posé sur ce même bureau et dégageait une odeur de jasmin dans toute la pièce. Les grandes fenêtres au style gothique offraient une vue magnifique sur la vie nocturne d’Aq’Terra. Cette chambre pourrait paraître presque occupée, si l’on omettait le fait que c’était un point de passage entre les rebelles et le gouvernant des îles.
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