C5.4 Assassin

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Le jeune prince semblait pourtant particulièrement agité. Il ne pouvait partager sa colère avec ses complices. Il avait du mal à gérer ses propres émotions, et il termina par frapper le mur de la chambre violemment sans rien dire, d’un geste compulsif qui laissa confus ses deux compagnons. Gaven se hâta de prendre en charge la main blessée de son seigneur, le guida dans la salle de bain pour nettoyer le sang. Mais il n’y avait dans la chambre rien qui serait suffisant pour bander la plaie qu’il s’était infligée sur les parties proéminentes des phalanges. Les deux hommes sortirent de la chambre pour aller demander de l’aide à l’hôte de l’auberge. Erel patienta paisiblement dans la chambre, allongée sur un lit en fœtus, la tête tout autant retournée que le seigneur Astéen par des révélations qui ne semblaient pas en être et des énigmes encore irrésolubles.

Perdue dans ses pensées, la guerrière tournait dans le lit, agacée par la situation lorsque soudainement la vitre de la chambre se brisa. Une personne tout en noir, dont le visage était recouvert d’un tissu noir, bondit sur le lit, plaqua la dafladienne et lança son bras en diagonale pour asséner un coup mortel à la gorge de sa cible. Erel retint le bras qui prenait de l’élan, arrêtant la pointe de la dague juste au-dessus de sa gorge. Les deux individus se lancèrent dans une épreuve de force. La dafladienne essaya de faire bouger son adversaire, de le déséquilibrer, ou de s’extraire de son emprise, mais rien n’y fit. Plus la lutte se prolongeait, plus son bras lui faisait mal malgré l’adrénaline et l’accélération des battements de son cœur. Il fallait qu’elle agisse vite pour sauver sa vie face à cette personne bien décidée à la neutraliser. La guerrière se dandinait comme un ver pour au moins sortir son point vital de la trajectoire de la lame, elle la laissa alors s’écraser dans son épaule. Une douleur vive embrasa son épaule gauche, elle en grinça des dents, mais au moins le visage de son adversaire était désormais à sa portée car il était tombé de tout son poids vers elle. Sans plus d’élan, Erel mit un coup de tête dans le nez de son ennemi et roula de l’autre côté du lit alors que celui-ci était déséquilibré par cette attaque. La porte n’était pas loin, c’était sa chance ! Elle s’élança en se tenant le bras vers la sortie.

Son détracteur lui saisit les cheveux, la poussa vers le mur à côté de son échappatoire, et l’utilisa pour frapper la tête de la belliqueuse. Des étoiles dans les yeux, Erel mit quelques secondes à reprendre ses esprits alors que son assaillant avait saisi sa dague et allait finir par l’achever.

La porte s’ouvrit brutalement, une détonation résonna. Erel avait l’oreille droite qui sifflait fortement et la tête qui tournait. Elle se tenait au mur lorsque, en se tournant tant bien que mal vers l’origine du bruit, elle croisa le canon d’une arme à magus qui dépassait de l’encadrement de la porte.

Son ennemi s’étala sur le sol comme une poupée de chiffon, de tous ses membres, lâchant son arme et n’émettant aucun son d’aucune sorte. La mort. Voilà ce que le canon de la nouvelle arme lui avait apportée. Erel se prépara à devoir affronter une nouvelle personne. Les poings serrés, la jambe droite en arrière et solidement appuyée sur sa jambe gauche, la guerrière se préparait à une attaque vive et puissante.

L’individu traversa le passage, sourit à la femme qui se tenait maintenant face à lui, et intercepta sa jambe alors qu’elle l’avait lancée à pleine puissance sur lui. Il ne la relâcha pas immédiatement, se tenant là sans bouger, tenant le membre de la guerrière pour lui laisser le temps de comprendre ce qu’il se passait.

Erel écarquilla les yeux, la mâchoire tombante. Elle crut être victime d’une hallucination lorsqu’elle se plongea dans les prunelles vertes de sa nouvelle cible. Une fois de plus, un fantôme surgissait du passé. Les Caelistis semblaient avoir un certain don pour cela. Bahn lui souriait toujours, fier de voir que la combativité de sa coéquipière n’avait pas été ébranlée par la découverte de la survie de son ex-fiancé. Hélas, peu de temps pour les retrouvailles, le bruit avait certainement attiré l’attention de Gaven et Lysandre qui étaient plus bas dans le même bâtiment. Bahn savait très bien que son frère ne supporterait pas de le voir parler avec celle qu’il aimait tant.

Le capitaine du Daflad salua sa subordonnée chaleureusement, la prit dans ses bras quelques instants, et lui demanda de le suivre.

Erel, paralysée par ce choix qu’elle n’avait toujours pas réussi à faire, resta immobile, sans voix face à ce nouveau dilemme. Le capitaine comprit. Il savait ce que ressentait Erel pour son frère, malgré sa déception, il comprenait que ce choix n’était pas simple pour son amie. Il lui tendit la main, réitéra sa demande, mais il en connaissait déjà la réponse. Seule la guerrière semblait douter alors que son propre cœur avait déjà choisi, et ce, depuis longtemps. Plus longtemps qu’elle ne l’admettrait elle-même.

La dafladienne croisa les mains sur sa poitrine et secoua la tête en signe de négation. Elle ne pouvait pas le suivre, son cœur était scindé en deux, entre son devoir et ses sentiments. Les sentiments l’emportèrent, le visage de Gaven était la seule chose qui lui venait à l'esprit, sa main dans la sienne, ses bras, son odeur. Tout. Bahn sourit, il perdait une bonne guerrière, mais il était heureux de voir qu’elle avait enfin retrouvé la personne qu’elle avait toujours aimée.

— Ne t’en fais pas. Je comprends ton choix, Erel. Prends soin de lui, d’accord, lança amicalement le capitaine Bahn.

— Je vous demande pardon... je ne voulais pas... souffla la jeune femme face à son indécision.

— La rébellion te sera toujours ouverte, Erel. Je sais pourquoi tu fais ça. Tu es en sécurité avec lui. Tu nous rejoindras quand tu seras prête ou quand nous aurons enfin gagné cette guerre.

Erel se mit à pleurer, elle regarda son capitaine s’enfuir par la fenêtre brisée alors que des bruits de course se faisaient entendre dans les escaliers. Il était temps pour le capitaine rebelle de partir. Il jeta un dernier regard vers son amie alors qu’il était accroupi dans le cadre de l’ouverture. Un dernier sourire et peut-être un adieu définitif. La belliqueuse tomba à genoux, se tenant le bras et recroquevillée vers l’avant. Elle avait envie d’hurler son désespoir et en même temps son soulagement. Aussi douloureux que cela lui fut sur le moment, elle était enfin libérée d’un poids qui pesait bien trop sur ses épaules.

Gaven pénétra dans la chambre à la hâte, saisit les épaules de sa fiancée, la serra dans ses bras sans même faire attention à sa blessure. Lysandre s’occupait de l’identité du cadavre qui gisait au sol, le crâne transpercé par une balle.

Erel ne put leur raconter ce qu’il s’était passé immédiatement. Il lui fallut reprendre ses esprits en premier lieu pour ensuite pouvoir avouer ce qu’elle venait d’abandonner. Les deux Astéens apprirent alors qu’Erel avait refusé de rejoindre la rébellion pour rester à Astéa comme une captive, mais aux côtés de Gaven. Le juge master ne put retenir son sourire et afficha sans honte son soulagement, les actes de sa compagne valaient plus d’un millier de déclarations. Elle lui avait donné la preuve que leur amour n’était pas mort. L’espoir retrouvé, Gaven s’occupa des premiers soins de la plaie de sa fiancée alors que Lysandre menait l’enquête. Dans la poche de l’accoutrement de l’assassin, il trouva un ordre de mission, ce dernier étant clairement une récompense sur sa tête. Lysandre pensa en premier lieu à un ordre du Comte Thasec. Bien que très risqué de sa part, il garda cependant son opinion pour lui, tout comme la note de l’assassin dans sa poche, puis quitta de nouveau la chambre pour prévenir le gérant qu’un cadavre s’y trouvait et qu’une fenêtre était brisée. Les autorités Aq’Terriennes feraient le reste. Cependant, il ne fallait pas qu’ils attirent l’attention, alors ils durent quitter l’auberge avant que la police des îles flottantes n’arrive, pour rejoindre l’aérogare où ils pourraient trouver un vaisseau pour rentrer.

Gaven n’avait d’attention que pour Erel, l’euphorie de ses sentiments répandait en lui une sérénité qu’il n’avait pas eu l’occasion de ressentir depuis longtemps. Il comptait se délecter de chaque seconde de cette joie, il ne lâcha pas sa bien-aimée des yeux et avait pris sa main, se promettant de ne plus jamais la lâcher de nouveau jusqu’à ce qu’il puisse lui offrir le foyer qu’il lui avait promis.

C’est ainsi que s’acheva l’aventure du trio Astéen à Aq’Terra. Ils quittèrent les îles flottantes au petit matin après avoir somnolé sur les bancs de l’aérogare pendant plusieurs heures. Un cargo fut préparé et le pilote accepta de les faire passer "clandestinement" jusqu’à Astéa sans savoir qu’il s’adressait à l'un des princes de la capitale impériale. Erel avait le cœur lourd, encore endolori par la décision qu’elle avait prise, mais la réaction de son ex-fiancé l’avait confortée dans son choix. Lysandre était très silencieux et il rumina les informations ingurgitées afin de comprendre les actes de son frère aîné. Il ne put en aucun cas imaginer que son frère souhaitait réellement s’emparer du monde entier et devenir un dieu. Étant le plus pragmatique de la maison Draxak, jamais il ne prendrait au sérieux des contes pour enfants.

Chacun dans ses pensées, ils étaient serrés dans la cale d’un cargo et pourtant si distants, chacun dans sa réflexion, encore sonné par ce qu’ils venaient d'apprendre.

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