C 6.1 Déserteur

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Le cargo était haut dans le ciel, les petits hublots arrondis dispersés de manière sporadique dans la grande salle sombre laissaient passer des halos de lumière éclairant la cale d’une douce clarté. Les nombreuses caisses rassemblées au centre en rang très serré et fermement accrochées réverbéraient avec vivacité les rayons du soleil levant de part leur contenu; il s’agissait de roches de magus, les magulithes mentionnées par le Comte Thasec. Celles-ci seraient sans doute livrées à l’Empire à la demande de Vaik.

Le trio était recroquevillé entre ces caisses lourdement chargées de pierres et appréciait la lumière du levant. Erel se tenait le bras, tandis que Gaven se trouvait tout à côté d’elle, pressé contre sa fiancée plus précisément. Lysandre était face au hublot, la tête appuyée sur ses bras posés sur une caisse, le regard perdu vers l’horizon, pensant à son frère aîné. Les lèvres serrées, il revoyait se jouer dans les nuages des scènes de leur joie d’enfant, leur jeu et leur rire partagé. Vaik n’était pas une mauvaise personne, d’aussi loin que ses souvenirs le ramenaient, Lysandre se rappelait qu’il avait toujours veillé à sa sécurité et à son bien-être. C’était quelqu’un d’attentif et de bienveillant.

Un objet, une ombre, passa subitement devant le hublot, arrachant le cadet Draxak des reliques de son passé. Il écarquilla les yeux et redressa la tête aussi rapidement que l’ombre ne passa. Entre ses lèvres entrouvertes, il laissa s’échapper un soupir avant de reprendre sa position initiale. Son regard se perdit de nouveau dans le lointain, devant ses pupilles se dessina la silhouette de son aîné, le grand homme qu’il était, les mains dans le dos et une longue mèche de cheveux lui cachant une partie du visage. Il ne faisait que ruminer la même phrase dans son esprit, encore et encore, “pourquoi faire une chose pareille?” Ses yeux larmoyants baignaient dans la clarté de l’aube se fermaient paresseusement, les lèvres pincées, il soupira encore. Vaik souhaitait-il réellement la paix ? Une perle saline glissa le long de sa joue et s’écrasa sur son coude. Le jeune prince pensait, ressassait tous les bons souvenirs qu’il avait de son aîné et s’accrochait farouchement à l’idée qu’il était toujours l’homme intelligent et bon qu’il avait connu.

Gaven se pencha à l’oreille de sa fiancée, laissant le prince astéen dans ses pensées.

— Est-ce que ça va? Chuchota-t-il

La dafladienne sursauta au contact chaud du souffle du juge master dans son cou. Elle acquiesça d’un simple hochement de tête discret, son bras était fermement maintenu par le bout de tissu qu’elle avait noué en écharpe, la surprise avait réveillé la douleur à son épaule et la fit grimacer. Ce tic douloureux n’échappa pas au regard de l’homme de loi qui s’empressa de saisir la main de sa fiancée. Aussitôt, le cœur dans la poitrine de la guerrière s’emballa, elle sentit le sang lui monter aux joues et détourna la tête du regard bienveillant de son ex-fiancé. Gaven affirma davantage sa présence en se rapprochant d’elle.

— Je vais bien, ne t’en fais pas, chuchota Erel.

— Tu as mal, dit le juge dans l’oreille de sa fiancée.

— C’est normal, mais je supporte encore.

— Je suis désolé.

— Ce n’est pas toi qui m’a blessée.

— Ce n’est pas de ça que je parle.

Erel fronça les sourcils, elle savait où il voulait en venir. Cependant, elle ne se sentait pas encore d’échanger sur le sujet. Elle avait fait un choix, le résultat était sa situation présente, il n’y avait rien à ajouter.

Gaven passa son bras autour de la guerrière et plaça sa main sur sa hanche. Il chuchota de nouveau à son oreille d’une voix intense et suave.

— Je suis heureux que tu sois restée.

Erel leva les yeux vers lui, le visage rougi et les yeux luisants. Elle aurait aimé lui dire qu’elle aussi elle était heureuse, mais aucun mot ne sortit de sa bouche. Un long silence s’installa alors que les deux jeunes gens se fixaient intensément. Les yeux de la guerrière en disaient davantage sur ce qu’elle pensait que de simples mots. Gaven voyait dans sa pupille son propre reflet, mais aussi l’espoir qu’il recherchait tant. Il se pencha vers sa fiancée, la bouche entrouverte, espérant un contact physique. Erel sentit une chaleur vive traverser tout son corps, l’homme qu’elle avait face à elle l’attirait toujours autant et il exerçait son pouvoir sans vergogne. Elle ne put s’empêcher de se pencher à son tour. L’homme de loi sentit ses lèvres trembler, la sensation du baiser humide et chaud de sa fiancée éveilla des souvenirs qu’il n’avait jamais pu refouler. Il saisit sa joue et prolongea ce contact quelques secondes de plus tout en se retenant d’approfondir ce baiser. Il se souvint que Lysandre était à quelques pas d’eux et ne voulait pas attirer l’attention, quand bien même, le prince semblait ne pas faire fi de ses deux compagnons pour le moment.

Le vaisseau poursuivait son avancée dans les cieux d’Idalyce en direction de la capitale impériale portant à son bord trois individus remués par les décisions prises durant leur courte visite des îles d’Aq’Terra.

*

Au même moment, à Astéa, l’Empereur Emett Draxak d’Astéa recevait dans la salle du trône la visite de l’espion Dafladien, Enoch. Son fils aîné, Vaik, se tenait dans l’ombre de son imposant siège, mains derrière le dos et attentif à la scène qui allait se jouer devant ses yeux. L’espion agenouillé devant sa majesté prit la parole en premier.

— Nous avons des informations sur la localisation d’Odexat, l’ancien juge master se trouverait au port Khale. D’après notre source, il dirigerait une guilde de chasseurs de trésors. Il semblerait qu’il n'ait pas abordé les événements de la bataille d’Amdapor, argua d’un ton grave Enoch.

— Notre général serait devenu pilleur de trésor? Quelle ironie, marmonna l’Empereur dans son épaisse barbe blanche.

— Il agirait au couvert de cette guilde sous un nom d’emprunt. Cependant la description correspond parfaitement à notre homme, reprit l’espion d’un air satisfait.

— Un nom d’emprunt... c’est drôle... souffla l’Empereur.

Décontenancé par l’incohérence du monarque, Enoch écarquilla les yeux et resta silencieux. Le vieillard était avachi sur son trône dans une position singulière, le dos voûté, la tête dans les épaules, ses deux mains étaient posées sur ses genoux comme s’il était une poupée de chiffon désarticulée. Il ne bougeait pas, il restait vissé à son siège, le regard bas et les lèvres tremblantes.

Vaik profita de ce moment pour sortir de l’ombre que lui offrait le siège de son paternel et se dressa d’un air hautain et froid entre les deux hommes.

— Ramenez-le à Astéa, il doit être interrogé, nous déciderons de sa sentence à ce moment-là, trancha le fils aîné d’une voix forte.

— Très bien, monseigneur, termina Enoch.

L’espion se redressa pour quitter la salle mais, il fut stoppé par un signe de main du prince Vaik.

— Ce n’est pas vous qui irez à sa rencontre, ajouta-t-il en affichant un sourire en coin malicieux.

— Monseigneur, si je peux me permettre... balbutia le dafladien.

— Les juges s’en chargeront, vous ne connaissez pas Odexat, eux si. Puis je ne vous fais pas confiance, vous pouvez disposer maintenant. L’Empereur a besoin de repos.

De nouveau, il lui fit signe de la main, cette fois pour le chasser de la salle du trône. Enoch plissa les sourcils mais ne put se défendre. Le seigneur Astéen avait parlé et il connaissait sa place. Il n’était pas un ennemi mais n’était pas particulièrement accepté non plus. De plus, il ne souhaitait pas contrarier le futur empereur. La santé du monarque semblait empirer, un jour il semblait perdre l’esprit et un autre il toussait à en perdre un poumon. Dans le château, les rumeurs allaient bon train et tout le monde savait que c’était Vaik qui gérait désormais les affaires de l’Empire. Au grand regret du peuple Astéen qui ne portait pas son cœur à l’aîné Draxak.

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