C7.5 Haine
La guerrière plissa les yeux, elle n’avait pas entendu parfaitement ce que son nouvel interlocuteur avait prononcé mais elle avait compris au ton employé que cela n’était pas très amical. Le pilote hurla à la belligérante de faire quelque chose, le vaisseau allait pouvoir décoller dans quelques minutes mais il fallait se débarrasser du gêneur. Erel hocha la tête, descendit et s’avança vers l’importun.
La puissante silhouette de l’homme en face d’elle était celle d’Enoch Forth, des mèches de cheveux noirs passaient devant ses prunelles alors qu’il la fixait d’un air menaçant.
— Repars d’où tu viens, Enoch. Ce qui se passe ici te dépasse. Je n’ai pas le choix, s’expliqua Erel calmement.
— Menteuse ! Tu cherchais depuis le départ un prétexte pour rejoindre la rébellion, cracha Enoch furieusement.
Erel souffla, comment pouvait-on raisonner un homme qui refusait de voir la vérité. D’ailleurs, quelle vérité ? La guerrière ne savait même pas tout à fait comment expliquer la situation. Elle aurait pu lui parler des cristaux artificiels, des expériences sur les êtres humains, du scientifique fou, du Labyrinthus ou encore de Vaik, mais qu’est-ce que cela aurait changé ? Consciente que son ex-camarade soldat ne pouvait pas comprendre et ne devait pas être mis au courant de telles machinations, elle se contenta de lui demander une nouvelle fois de partir.
— Dis-moi, quand tu couchais avec le juge master, tu pensais à la dague que tu lui planterais dans le dos, ou bien tu appréciais simplement sa compagnie ? Questionna le soldat d’un ton sarcastique.
— Je te l’ai dit, ça ne te regarde pas, répondit froidement la belligérante en serrant les mâchoires.
— Tu n’as jamais aimé ce pauvre garçon aveugle, n’est-ce pas ? Tu préfères son frère jumeau peut-être ? Ou bien tu les suis tous les deux comme un vulgaire petit chien... enfin, chienne dans ton cas visiblement, ricana Enoch.
— C’est indigne de toi, Enoch.
— Tu n’es pas une guerrière du Daflad, tu ne l’as jamais été. Un parasite !
Enoch leva les poings et s’avança vers la femme qui lui faisait face froidement. Erel n'était clairement pas à son avantage pour un combat au corps-à-corps et à mains nues. Son épaule était toujours douloureuse, et donc elle ne disposait que d’un seul bras pour combattre. Le guerrier en avait probablement conscience et souhaitait prendre rapidement l’ascendant sur son adversaire.
La dafladienne écarta les jambes, en appui sur ses cuisses, elle se préparait à riposter. Il fallut qu’elle attende que son rival se trouvât suffisamment proche d’elle pour envoyer à toute vitesse sa jambe gauche sur le flanc de son ennemi. Un coup rapide mais peu puissant qui servait surtout à tester l’équilibre du challenger. Enoch encaissa sans mal l’attaque maladroite et se projeta en avant, poing droit élancé vers le visage du concurrent.
Erel esquiva sur la gauche, saisit le bras d’Enoch, et lui donna un coup de genou dans l’estomac. L’homme tomba à genoux, les yeux injectés de sang, toussant et chuintant des vulgarités entre ses dents. Erel se dirigea vers le vaisseau. Elle ne souhaitait pas affronter davantage son ancien compagnon de bataille. Malgré toutes les horreurs qu’il avait pu prononcer, la dafladienne n’avait pas le cœur à éprouver de la haine envers lui.
Hélas, ce n’était pas le cas d’Enoch, qui haïssait farouchement cette femme, pour diverses raisons plus ou moins valables. En tout cas, il souhaitait la livrer à Vaik Draxak afin d’être enfin accepté dans le château comme un véritable soldat, ce qu’il a toujours été. La forte silhouette se redressa plus rapidement qu’Erel ne l’avait anticipé et attrapa son adversaire du côté de son bras valide pour la forcer à se retourner et lui coller un crochet du gauche. Les phalanges d’Enoch rencontrèrent la mâchoire d’Erel, faisant basculer la femme violemment sur la droite. Un goût métallique emplit la bouche de la guerrière qui cracha un filet rougeâtre. Elle eut le temps de se redresser pendant qu’Enoch l’insultait et l’accablait de toute sa haine. Elle se positionna de nouveau, jambes écartées, un poing levé. Erel n’allait pas laisser le soldat l’emporter sans au moins se défendre, perdre n’était pas une option, elle n’avait d’autre choix que de vaincre. Les dents serrées, la guerrière chercha à faire le vide dans sa tête, concentrée uniquement sur les mouvements de son adversaire. De par sa physionomie et sa blessure, elle devait absolument éviter les coups de son ennemi, car elle ne serait pas en capacité de les encaisser. Il fallait également qu’elle trouve le moyen d’en finir vite.
Le pilote dans le cockpit du vaisseau s’acharnait à rapidement allumer tous les interrupteurs nécessaires, à calculer l'itinéraire et enregistrer la clé d’identification fournie par Lysandre. Tout cela pendant qu’il voyait les deux combattants s’affronter. Les préparatifs seraient bientôt achevés.
Enoch se lança une fois de plus en avant pour frapper du poing l’ennemi, Erel se contenta d’esquiver. Elle guida le challenger à sortir du "ring". Elle se déplaça avec minutie, sans perdre de vue son assaillant vers l’arrière du vaisseau. Le moteur ronflait de plus en plus fort, les réacteurs arrières qui étaient au départ bleus rougissaient lentement. Cela annonçait que la machine serait bientôt prête à fendre le ciel à toute vitesse.
Enoch poursuivait sans réfléchir l’ennemi, guidé par sa haine. Il hasardait parfois des coups qui passaient à plusieurs centimètres de son adversaire en jurant à en perdre haleine. Erel ne comprenait pas d’où lui venait cette colère viscérale contre elle alors qu’elle n’avait rien fait pour la mériter. Cependant, elle devait s’occuper de la personne qui lui barrait la route, et elle avait un plan.
Une fois de plus, le gaillard essaya de frapper la femme au visage. Cette fois, elle s’empara de son bras, le tira vers le souffle chaud du réacteur puis le projeta sous la puissante vague de chaleur en utilisant ses pieds. Enoch Forth se protégea le visage avec ses mains. Il sentit ses vêtements fondre sur sa peau. Lentement, elle se détacha de son bras, ses cheveux brûlèrent dégageant une forte odeur de poulet grillé. L’homme hurla de douleur alors que la chair rose commençait à noircir. Il se jeta sur le sol espérant échapper au souffle incandescent de l’appareil, mais il était trop tard. Sa propre chair se consumait de l’intérieur. Enoch injuria la guerrière encore une fois avec le peu de force qui lui restait, rampant tant bien que mal vers elle, laissant derrière lui une coulée de liquide physiologique et des lambeaux de chair calcinée.
Erel observait son ancien camarade brûler vif, c’était son œuvre, et elle n’avait jamais souhaité en arriver là. Tuer ses ennemis ne l’avait jamais réellement affectée, pour elle, c’était la guerre et donc l’ordre des choses. Ici, elle se retrouvait face à un "allié" qu’elle voyait se consumer.
Cette situation la heurta, il ne s’agissait pas d’un "ennemi". Elle avait tué un Dafladien, un citoyen de son pays. C’est avec horreur qu’elle regarda le commandant du Daflad s’éteindre alors que le pilote hurla qu’ils pouvaient partir. Sous le choc, Héso dû venir chercher Erel et la secouer par l’épaule pour qu’elle quitte des yeux le corps sans vie d’Enoch. La femme balbutia quelques mots que l’homme ne put entendre si proche du réacteur, elle avait les yeux perdus dans le vide et était aussi pâle qu’un linge. Le domestique-pilote secoua à plusieurs reprises sa co-pilote. La vue du cadavre souleva son estomac et par réflexe, il se mit la main devant la bouche, lui aussi était horrifié par la scène et son odeur. Il saisit sa collègue par la main et lui lança quelques mots se voulant gentils afin qu’elle se ressaisisse, mais vu que rien ne semblait ramener Erel à la réalité, le pilote la gifla. Se tenant la joue, la guerrière posa son regard foncé sur Héso d’un air hébété. Elle le remercia et monta avec lui dans le cargo à la hâte, sans se retourner cette fois.
Ils quittèrent alors le château d’Astéa, pour toujours, du moins ils l'espéraient.
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